Pie XI

259ᵉ pape ; de 1922 à 1939

19 mars 1937

Lettre encyclique Divini Redemptoris

Sur le communisme athée

Table des matières

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, en la fête de saint Joseph,
patron de l’Eglise uni­ver­selle, le 19 mars 1937

A nos véné­rables frères Patriarches, Primats, Archevêques, Évêques et autres Ordinaires des lieux, demeu­rant en paix et en com­mu­nion avec le Siège apostolique

Vénérables Frères,
Salut et Bénédiction apostolique !

La pro­messe d’un Rédempteur illu­mine la pre­mière page de l’his­toire humaine ; aus­si, la ferme espé­rance de jours meilleurs adou­cit le regret du para­dis per­du et sou­tint le genre humain che­mi­nant au milieu des tri­bu­la­tions ; mais, quand fut venue la plé­ni­tude des temps, le Sauveur du monde, par son appa­ri­tion sur terre, com­bla l’at­tente et inau­gu­ra, dans tout l’u­ni­vers, une nou­velle civi­li­sa­tion, la civi­li­sa­tion chré­tienne, autre­ment plus par­faite que tous les pro­grès réa­li­sés jusque-​là, au prix de tant d’ef­forts, chez cer­tains peuples privilégiés.

2. Mais, la lutte entre le bien et le mal, triste héri­tage de la faute ori­gi­nelle, conti­nua à sévir dans le monde ; l’an­cien ten­ta­teur n’a jamais ces­sé, par ses pro­messes fal­la­cieuses, de trom­per le genre humain. C’est pour­quoi, au cours des siècles, on a vu les bou­le­ver­se­ments se suc­cé­der jus­qu’à la révo­lu­tion actuelle, qui est déjà déchaî­née ou qui devient sérieu­se­ment mena­çante presque par­tout, peut-​on dire, et dépasse, par l’am­pleur et la vio­lence, ce qu’on a éprou­vé dans les per­sé­cu­tions anté­rieures contre l’Église. Des peuples entiers sont expo­sés à retom­ber dans une bar­ba­rie plus affreuse que celle où se trou­vait encore la plus grande par­tie du monde à la venue du Rédempteur.

3. Ce péril si mena­çant. Vous l’a­vez déjà com­pris, Vénérables Frères, c’est le com­mu­nisme bol­che­vique et athée, qui pré­tend ren­ver­ser l’ordre social et saper jusque dans ses fon­de­ments la civi­li­sa­tion chrétienne.

I – Attitude de l’Église en face du communisme

Condamnations antérieures

4. En face d’un pareil dan­ger, l’Eglise Catholique ne pou­vait se taire et, en fait, elle n’a pas gar­dé le silence. Le Siège Apostolique, qui a pour mis­sion spé­ciale la défense de la véri­té, de la jus­tice, de tous les biens éter­nels niés et com­bat­tus, par le com­mu­nisme, le Siège Apostolique. tout par­ti­cu­liè­re­ment, n’a pas man­qué d’é­le­ver la voix. Depuis l’é­poque où des groupes intel­lec­tuels pré­ten­dirent libé­rer la civi­li­sa­tion humaine des liens de la morale et de la reli­gion, Nos pré­dé­ces­seurs atti­rèrent l’at­ten­tion du monde, d’une façon claire et expli­cite, sur les consé­quences de la déchris­tia­ni­sa­tion de la socié­té humaine. Quant au com­mu­nisme, déjà en 1846, Notre véné­ré Prédécesseur, Pie IX, de sainte mémoire, por­tait une condam­na­tion solen­nelle, confir­mée plus tard dans le Syllabus, contre « cette doc­trine néfaste qu’on nomme le com­mu­nisme, radi­ca­le­ment contraire au droit natu­rel lui-​même ; pareille doc­trine, une fois admise, serait la ruine com­plète de tous les droits, des ins­ti­tu­tions, des pro­prié­tés et de la socié­té humaine elle-​même« 1.

Plus tard. Notre Prédécesseur, Léon XIII, d’im­mor­telle mémoire, dans son Encyclique Quod Apostolici mune­ris, défi­nis­sait le com­mu­nisme : « Une peste mor­telle qui s’at­taque à la moelle de la socié­té humaine et qui l’a­néan­ti­rait« 2. Avec clair­voyance Léon XIII mon­trait qu’à l’o­ri­gine de l’a­théisme des masses, en cette époque de pro­grès tech­nique, se trouve une phi­lo­so­phie qui, depuis des siècles, tente de sépa­rer la science et la vie de la foi et de l’Eglise.

Actes du présent pontificat

5. Nous-​même, durant Notre pon­ti­fi­cat, Nous avons sou­vent dénon­cé, et avec une pres­sante insis­tance, les cou­rants d’a­théisme qui croissent d’une façon alar­mante. En 1924, quand Notre mis­sion de secours reve­nait des pays de l’Union Soviétique, Nous avons pro­tes­té contre le com­mu­nisme, dans une allo­cu­tion spé­ciale, qui s’a­dres­sait au monde entier3.

Dans Nos Encycliques Miserentissimus Redemptor ((8 mai 1928 : A. A. S., vol. XX (1928), pp. 165–178.)), Quadragesimo anno4, Caritate Christi5, Acerba ani­mi6, Dilectissima Nobis7, Nous avons fait entendre une solen­nelle pro­tes­ta­tion contre les per­sé­cu­tions déchaî­nées en Russie, au Mexique et en Espagne.

On n’a pas encore oublié les allo­cu­tions que Nous pro­non­cions l’an der­nier, lors de l’i­nau­gu­ra­tion de l’Exposition mon­diale de la Presse catho­lique, dans l’au­dience accor­dée aux réfu­giés espa­gnols et dans Notre mes­sage à l’oc­ca­sion de la fête de Noël.

Même les enne­mis les plus achar­nés de l’Eglise, qui dirigent de Moscou cette lutte contre la civi­li­sa­tion chré­tienne, témoignent, par leurs attaques inces­santes en paroles et en actes, que la Papauté conti­nue fidè­le­ment, encore de nos jours, à défendre le sanc­tuaire de la reli­gion chré­tienne et qu’elle a mis en garde contre le péril com­mu­niste plus sou­vent et d’une manière plus per­sua­sive que n’im­porte quel autre pou­voir public de ce monde.

Nécessité d’un nouveau document solennel

6. Malgré ces aver­tis­se­ments pater­nels plu­sieurs fois renou­ve­lés et qu’à Notre grande satis­fac­tion Vous avez, Vénérables Frères, fidè­le­ment com­mu­ni­qués et com­men­tés à Vos fidèles, en plu­sieurs Lettres pas­to­rales récentes, même en des Lettres col­lec­tives, mal­gré tout, pro­pa­gé par d’ha­biles agi­ta­teurs, le dan­ger va s’ag­gra­vant de jour en jour. C’est pour­quoi il est de Notre devoir, croyons-​Nous, d’é­le­ver à nou­veau la voix en un docu­ment plus solen­nel, selon l’ha­bi­tude du Siège Apostolique, Maître de véri­té ; du reste, un pareil docu­ment répond au désir de tout l’u­ni­vers catho­lique. L’écho de Notre voix, Nous en avons la ferme confiance, sera enten­du par­tout où se trouvent des esprits libres de pré­ju­gés et des cœurs sin­cè­re­ment dési­reux du bien de l’hu­ma­ni­té : d’au­tant plus que Notre parole est aujourd’­hui dou­lou­reu­se­ment confir­mée par le spec­tacle des fruits amers pro­duits par les idées sub­ver­sives. Les effets que Nous avions pré­vus et annon­cés se mul­ti­plient ter­ri­ble­ment ; ils se réa­lisent dans les pays déjà domi­nés par le com­mu­nisme ou ils menacent tous les autres pays du monde.

7. Nous vou­lons donc encore une fois, dans une brève syn­thèse, expo­ser les prin­cipes du com­mu­nisme athée, tels qu’ils se mani­festent sur­tout dans le bol­che­visme, et mon­trer ses méthodes d’ac­tion. A ces faux prin­cipes, nous oppo­se­rons la lumi­neuse doc­trine de l’Eglise, Nous indi­que­rons de nou­veau, avec insis­tance, par quels moyens la civi­li­sa­tion chré­tienne, la seule « Cité » vrai­ment « humaine », peut échap­per à ce fléau sata­nique et se déve­lop­per encore davan­tage pour le véri­table bien-​être de l’humanité.

II – Doctrine et fruits du communisme

La doctrine

Pseudo-​idéal.

8. Le com­mu­nisme d’au­jourd’­hui, d’une manière plus accu­sée que d’autres mou­ve­ments sem­blables du pas­sé, ren­ferme une idée de fausse rédemp­tion. Un pseudo-​idéal de jus­tice, d’é­ga­li­té et de fra­ter­ni­té dans le tra­vail, imprègne toute sa doc­trine et toute son acti­vi­té d’un cer­tain faux mys­ti­cisme qui com­mu­nique aux foules, séduites par de fal­la­cieuses pro­messes, un élan et un enthou­siasme conta­gieux, spé­cia­le­ment en un temps comme le nôtre, où par suite d’une mau­vaise répar­ti­tion des biens de ce monde règne une misère anor­male. On vante même ce pseudo-​idéal, comme s’il avait été le prin­cipe d’un cer­tain pro­grès éco­no­mique : quand il est réel, ce pro­grès s’ex­plique par bien d’autres causes, comme l’in­ten­si­fi­ca­tion de la pro­duc­tion indus­trielle dans des pays qui en étaient presque pri­vés, la mise en valeur d’é­normes richesses natu­relles, l’emploi de méthodes bru­tales pour faire d’im­menses tra­vaux à peu de frais.

Matérialisme évolutionniste de Marx.

9. La doc­trine, que le com­mu­nisme cache sous des appa­rences par­fois si sédui­santes, a aujourd’­hui pour fon­de­ment les prin­cipes du maté­ria­lisme dia­lec­tique et his­to­rique déjà prô­nés par Marx ; les théo­ri­ciens du bol­che­visme pré­tendent en déte­nir l’u­nique inter­pré­ta­tion authen­tique. Cette doc­trine enseigne qu’il n’existe qu’une seule réa­li­té, la matière, avec ses forces aveugles ; la plante, l’a­ni­mal, l’homme sont le résul­tat de son évo­lu­tion. De même, la socié­té humaine n’est pas autre chose qu’une appa­rence ou une forme de la matière qui évo­lue sui­vant ses lois ; par une néces­si­té iné­luc­table elle tend, à tra­vers un per­pé­tuel conflit de forces, vers la syn­thèse finale : une socié­té sans classe.

Dans une telle doc­trine, c’est évident, il n’y a plus de place pour l’i­dée de Dieu. il n’existe pas de dif­fé­rence entre l’es­prit et la matière, ni entre l’âme et le corps : il n’y a pas de sur­vi­vance de l’âme après la mort, et par consé­quent nulle espé­rance d’une autre vie. Insistant sur l’as­pect dia­lec­tique de leur maté­ria­lisme, les com­mu­nistes pré­tendent que le conflit, qui porte le monde vers la syn­thèse finale, peut être pré­ci­pi­té grâce aux efforts humains. C’est pour­quoi ils s’ef­forcent de rendre plus aigus les anta­go­nismes qui sur­gissent entre les diverses classes de la socié­té ; la lutte des classes, avec ses haines et ses des­truc­tions, prend l’al­lure d’une croi­sade pour le pro­grès de l’humanité.

Par contre, toutes les forces qui s’op­posent à ces vio­lences sys­té­ma­tiques, quelle qu’en soit la nature, doivent être anéan­ties comme enne­mies du genre humain.

Le sort de la personne humaine et de la famille.

10. De plus, le com­mu­nisme dépouille l’homme de sa liber­té, prin­cipe spi­ri­tuel de la conduite morale ; il enlève à la per­sonne humaine tout ce qui consti­tue sa digni­té, tout ce qui s’op­pose mora­le­ment à l’as­saut des ins­tincts aveugles. On ne recon­naît à l’in­di­vi­du, en face de la col­lec­ti­vi­té, aucun des droits natu­rels à la per­sonne humaine ; celle-​ci, dans le com­mu­nisme, n’est plus qu’un rouage du sys­tème. Dans les rela­tions des hommes entre eux, on sou­tient le prin­cipe de l’é­ga­li­té abso­lue, on rejette toute hié­rar­chie et toute auto­ri­té éta­blie par Dieu, y com­pris l’au­to­ri­té des parents.

Tout ce qui existe de soi-​disant auto­ri­té et subor­di­na­tion entre les hommes dérive de la col­lec­ti­vi­té comme de sa source pre­mière et unique. On n’ac­corde aux indi­vi­dus aucun droit de pro­prié­té sur les res­sources natu­relles ou sur les moyens de pro­duc­tion, parce qu’ils sont l’o­ri­gine d’autres biens, et que leur pos­ses­sion entraî­ne­rait la domi­na­tion d’un homme sur l’autre. Voilà pré­ci­sé­ment pour­quoi ce genre de pro­prié­té pri­vée devra être radi­ca­le­ment détruit, comme la pre­mière source de l’es­cla­vage économique.

11. En refu­sant à la vie humaine tout carac­tère sacré et spi­ri­tuel, une telle doc­trine fait néces­sai­re­ment du mariage et de la famille une ins­ti­tu­tion pure­ment conven­tion­nelle et civile, fruit d’un sys­tème éco­no­mique déter­mi­né. On nie par consé­quent l’exis­tence d’un lien matri­mo­nial de nature juridico-​morale qui soit sous­trait au bon plai­sir des indi­vi­dus ou de la col­lec­ti­vi­té et, par suite, on rejette l’in­dis­so­lu­bi­li­té de ce lien. En par­ti­cu­lier, le com­mu­nisme n’ad­met aucun lien spé­cial de la femme avec la famille et le foyer.

En pro­cla­mant le prin­cipe de l’é­man­ci­pa­tion de la femme, il l’en­lève à la vie domes­tique et au soin des enfants pour la jeter dans la vie publique et dans les tra­vaux de la pro­duc­tion col­lec­tive au même titre que l’homme ; le soin du foyer et des enfants est dévo­lu à la col­lec­ti­vi­té. Enfin on retire aux parents le droit de l’é­du­ca­tion, que l’on consi­dère comme un droit exclu­sif de la com­mu­nau­té, c’est seule­ment au nom de la com­mu­nau­té et par délé­ga­tion que les parents peuvent encore l’exercer.

Ce que deviendrait la société.

12. Que devien­drait donc la socié­té humaine fon­dée sur de tels prin­cipes maté­ria­listes ? Elle serait une col­lec­ti­vi­té sans autre hié­rar­chie que celle du sys­tème éco­no­mique. Elle aurait pour unique mis­sion la pro­duc­tion des biens par le tra­vail col­lec­tif et pour unique fin la jouis­sance des biens ter­restres dans un para­dis où cha­cun « don­ne­rait selon ses forces et rece­vrait selon ses besoins. » C’est à la col­lec­ti­vi­té que le com­mu­nisme recon­naît le droit ou plu­tôt le pou­voir dis­cré­tion­naire d’as­su­jet­tir les indi­vi­dus au joug du tra­vail col­lec­tif, sans égard à leur bien-​être per­son­nel, même contre leur propre volon­té, et quand il le faut, par la vio­lence. L’ordre moral aus­si bien que l’ordre juri­dique ne serait plus, dès lors, qu’une éma­na­tion du sys­tème éco­no­mique en vigueur ; il ne serait fon­dé que sur des valeurs ter­restres, chan­geantes et caduques.

Bref, on pré­tend ouvrir une ère nou­velle, inau­gu­rer une nou­velle civi­li­sa­tion résul­tant d’une évo­lu­tion aveugle : « une huma­ni­té sans Dieu ! »

13. Enfin quand l’i­déal col­lec­ti­viste sera deve­nu pour tous une réa­li­té, au terme uto­pique de cette évo­lu­tion, où la socié­té ne connaî­tra plus les dif­fé­rences de classes, l’Etat poli­tique, aujourd’­hui ins­tru­ment de domi­na­tion des capi­ta­listes sur les pro­lé­taires, per­dra toute sa rai­son d’être et « dis­pa­raî­tra de lui-même ».

Cependant, en atten­dant cet âge d’or, le com­mu­nisme consi­dère l’Etat et le pou­voir poli­tique comme le moyen le plus effi­cace et le plus uni­ver­sel pour arri­ver à ses fins.

14. Vénérables Frères, voi­là le nou­vel Evangile que le com­mu­nisme bol­che­vique et athée pré­tend annon­cer au monde, comme un mes­sage de salut et de rédemp­tion ! Système rem­pli d’er­reurs et de sophismes, oppo­sé à la rai­son comme à la révé­la­tion divine : doc­trine sub­ver­sive de l’ordre social puis­qu’elle en détruit les fon­de­ments mêmes, sys­tème qui mécon­naît la véri­table ori­gine, la nature et la fin de l’Etat, ain­si que les droits de la per­sonne humaine, sa digni­té et sa liberté.

La diffusion

Promesses éblouissantes.

15. Mais com­ment se fait-​il qu’un tel sys­tème, depuis long­temps dépas­sé scien­ti­fi­que­ment, et démen­ti par la réa­li­té des faits, puisse se répandre aus­si rapi­de­ment dans toutes les par­ties du monde ? C’est que bien peu de per­sonnes ont su péné­trer la vraie nature du com­mu­nisme ; le plus sou­vent on cède à la ten­ta­tion habi­le­ment pré­sen­tée sous les plus éblouis­santes pro­messes. Sous pré­texte de ne vou­loir que l’a­mé­lio­ra­tion du sort des classes labo­rieuses, de sup­pri­mer les abus réels pro­vo­qués par l’é­co­no­mie libé­rale et d’ob­te­nir une répa­ra­tion plus équi­table des richesses (objec­tifs par­fai­te­ment légi­times, sans aucun doute), en pro­fi­tant de la crise éco­no­mique mon­diale, le com­mu­nisme réus­sit à faire péné­trer son influence même dans les milieux sociaux où par prin­cipe on rejette le maté­ria­lisme et le ter­ro­risme. Et comme toute erreur contient une part de vrai, cet aspect de la véri­té, auquel Nous avons fait allu­sion, a été mis habi­le­ment en relief sui­vant les temps et les lieux pour cacher au besoin la bru­ta­li­té repous­sante et inhu­maine des prin­cipes et des méthodes du com­mu­nisme ; on séduit ain­si des esprits dis­tin­gués au point d’en faire à leur tour des apôtres auprès des jeunes intel­li­gences trop peu aver­ties pour décou­vrir les erreurs intrin­sèques au sys­tème. Les fau­teurs de com­mu­nisme ne manquent pas non plus de mettre à pro­fit les anta­go­nismes de race, les divi­sions et les oppo­si­tions qui pro­viennent des dif­fé­rents sys­tèmes poli­tiques, enfin le désar­roi qui règne dans le camp de la science sépa­rée de Dieu, pour s’in­si­nuer dans les Universités et appuyer les prin­cipes de leur doc­trine sur des argu­ments pseudo-scientifiques.

Le libéralisme a frayé la voie au communisme.

16. Pour com­prendre com­ment le com­mu­nisme a réus­si à se faire accep­ter sans exa­men par les masses ouvrières, il faut se rap­pe­ler que les tra­vailleurs étaient déjà pré­pa­rés à cette pro­pa­gande par l’a­ban­don reli­gieux et moral où ils furent lais­sés par l’é­co­no­mie libé­rale. Le sys­tème des équipes de tra­vail ne leur don­nait même plus le temps d’ac­com­plir les devoirs reli­gieux les plus impor­tants, aux jours de fête : on ne s’est pas mis en peine de construire des églises à proxi­mi­té des usines ni de faci­li­ter la tâche du prêtre ; au contraire, on a favo­ri­sé le laï­cisme et conti­nué son œuvre. On recueille donc l’hé­ri­tage des erreurs tant de fois dénon­cées par Nos Prédécesseurs et par Nous-​même ; il n’y a pas à s’é­ton­ner qu’en un monde déjà lar­ge­ment déchris­tia­ni­sé se pro­page l’er­reur communiste.

Propagande insidieuse et étendue.

17. De plus, la dif­fu­sion si rapide des idées com­mu­nistes, qui s’in­filtrent dans tous les pays grands et petits, civi­li­sés ou moins déve­lop­pés, au point qu’au­cune par­tie du monde n’y échappe, cette dif­fu­sion s’ex­plique par une pro­pa­gande vrai­ment dia­bo­lique, telle que le monde n’en a peut-​être jamais vue : pro­pa­gande diri­gée par un centre unique et qui s’a­dapte très habi­le­ment aux condi­tions des dif­fé­rents peuples ; pro­pa­gande qui dis­pose de grands moyens finan­ciers, d’or­ga­ni­sa­tions gigan­tesques, de Congrès inter­na­tio­naux, de forces nom­breuses et bien dis­ci­pli­nées ; pro­pa­gande qui se fait par des tracts et des revues, par le ciné­ma, le théâtre et la radio, dans les écoles et même dans les Universités, qui enva­hit peu à peu tous les milieux même les meilleurs, si bien que le poi­son pénètre presque insen­si­ble­ment et tou­jours davan­tage les esprits et les cœurs.

Conjuration du silence dans la presse.

18. Un troi­sième fac­teur contri­bue lar­ge­ment à la dif­fu­sion du com­mu­nisme, c’est la conju­ra­tion du silence dans une grande par­tie de la presse mon­diale non catho­lique. Nous disons conju­ra­tion, car on ne sau­rait expli­quer autre­ment le fait qu’une presse aus­si avide de com­men­ter les menus inci­dents de la vie quo­ti­dienne ait pu si long­temps gar­der le silence au sujet des hor­reurs com­mises en Russie, au Mexique et dans une grande par­tie de l’Espagne, qu’elle parle rela­ti­ve­ment peu d’une orga­ni­sa­tion mon­diale aus­si vaste que le com­mu­nisme diri­gé par Moscou. Cette conju­ra­tion est due en par­tie à des rai­sons ins­pi­rées par une poli­tique à courte vue ; elle est favo­ri­sée par diverses orga­ni­sa­tions secrètes, qui depuis long­temps cherchent à détruire l’ordre social chrétien.

Conséquences douloureuses

Russie et Mexique.

19. Cependant les dou­lou­reux effets de cette pro­pa­gande sont sous nos yeux. Là où le com­mu­nisme a pu s’af­fir­mer et domi­ner, – et ici Nous son­geons avec une par­ti­cu­lière affec­tion pater­nelle aux peuples de la Russie et du Mexique,- il s’est effor­cé par tous les moyens de détruire (et il le pro­clame ouver­te­ment) la civi­li­sa­tion et la reli­gion chré­tiennes jusque dans leurs fon­de­ments, d’en effa­cer tout sou­ve­nir du cœur des hommes, spé­cia­le­ment de la jeu­nesse. Evêques et prêtres ont été ban­nis, condam­nés aux tra­vaux for­cés, fusillés et mis à mort de façon inhu­maine ; de simples laïques, pour avoir défen­du la reli­gion, ont été sus­pec­tés, mal­me­nés, pour­sui­vis et traî­nés en pri­son et devant les tribunaux.

Horreurs du communisme en Espagne.

20. Et là où, comme en Notre chère Espagne, le fléau com­mu­niste n’a­vait pas eu le temps encore de faire sen­tir tous les effets de ses théo­ries, il s’est déchaî­né, hélas ! avec une vio­lence plus furieuse. Ce n’est pas l’une ou l’autre église, tel ou tel couvent qu’on a abat­tus, mais quand ce fut pos­sible, ce sont toutes les églises et tous les cou­vents et toute trace de la reli­gion chré­tienne qu’on a vou­lu détruire, même quand il s’a­gis­sait des monu­ments les plus remar­quables de l’art et de la science ! La fureur com­mu­niste ne s’est pas conten­tée de tuer des évêques et des mil­liers de prêtres, de reli­gieux et de reli­gieuses, s’en pre­nant plus par­ti­cu­liè­re­ment à ceux et à celles qui jus­te­ment s’oc­cu­paient avec plus de zèle des ouvriers et des pauvres, mais elle fit un nombre beau­coup plus grand de vic­times par­mi les laïques de toute classe, qui, encore main­te­nant, chaque jour, peut-​on dire. sont mas­sa­crés en masse pour le seul fait d’être bons chré­tiens ou du moins oppo­sés à l’a­théisme com­mu­niste. Et cette épou­van­table des­truc­tion est per­pé­trée avec une haine, une bar­ba­rie, une sau­va­ge­rie qu’on n’au­rait pas cru pos­sibles en notre temps. Aucun par­ti­cu­lier de juge­ment sain, aucun homme d’Etat, conscient de sa res­pon­sa­bi­li­té, ne peut, sans fré­mir d’hor­reur, pen­ser que les évé­ne­ments d’Espagne pour­raient se répé­ter demain en d’autres nations civilisées.

Fruits naturels du système.

21. Or, on ne peut dire que de telles atro­ci­tés soient de ces phé­no­mènes pas­sa­gers qui accom­pagnent d’or­di­naire toute grande révo­lu­tion, des excès iso­lés d’exas­pé­ra­tion comme il s’en trouve dans toutes les guerres ; non, ce sont les fruits natu­rels d’un sys­tème qui est dépour­vu de tout frein inté­rieur. Un frein est néces­saire à l’homme pris indi­vi­duel­le­ment comme à l’homme vivant en socié­té. Même les peuples bar­bares trou­vèrent ce frein dans la loi natu­relle gra­vée par Dieu dans l’âme humaine. Et quand cette loi natu­relle fut mieux obser­vée, on vit des nations anciennes mon­ter à un niveau de gran­deur qui étonne encore, plus qu’il ne convien­drait, des obser­va­teurs super­fi­ciels de l’his­toire. Mais lorsque du cœur des hommes l’i­dée même de Dieu s’ef­face, leurs pas­sions débri­dées les poussent à la bar­ba­rie la plus sauvage.

Lutte contre tout ce qui est divin.

22. C’est, hélas ! le spec­tacle qui s’offre à nous : pour la pre­mière fois dans l’his­toire nous assis­tons à une lutte froi­de­ment vou­lue et savam­ment pré­pa­rée de l’homme contre « tout ce qui est divin« 8. Le com­mu­nisme est par sa nature anti­re­li­gieux et consi­dère la reli­gion comme « l’o­pium du peuple », parce que les prin­cipes reli­gieux qui parlent de la vie d’outre-​tombe empêchent le pro­lé­taire de pour­suivre la réa­li­sa­tion du para­dis sovié­tique, qui est de cette terre.

Le terrorisme.

23. Mais on ne foule pas aux pieds impu­né­ment la loi natu­relle et son Auteur : le com­mu­nisme n’a pu et ne pour­ra réa­li­ser son but, pas même sur le plan pure­ment éco­no­mique. Il est vrai qu’en Russie il a contri­bué à secouer hommes et choses d’une longue et sécu­laire iner­tie et à obte­nir par des moyens sou­vent sans scru­pules quelques suc­cès maté­riels ; mais nous savons par des témoi­gnages non sus­pects, dont cer­tains sont récents, que de fait, ce qu’il s’é­tait pro­mis, il ne l’a pas atteint ; sans comp­ter l’es­cla­vage que le ter­ro­risme a impo­sé à des mil­lions d’hommes. Même sur le ter­rain éco­no­mique, on ne peut se pas­ser de la morale, du sen­ti­ment moral de la res­pon­sa­bi­li­té, pour lequel il n’y a pas de place dans un sys­tème aus­si maté­ria­liste que le com­mu­nisme. Pour en tenir lieu, il n’y a que le ter­ro­risme, tel que pré­ci­sé­ment nous le voyons main­te­nant en Russie, où les anciens cama­rades de conspi­ra­tion et de lutte se détruisent les uns les autres : un ter­ro­risme qui. au demeu­rant, ne réus­sit pas à endi­guer la cor­rup­tion morale, ni même à empê­cher la désor­ga­ni­sa­tion de la struc­ture sociale.

Une pensée paternelle pour les peuples opprimés, en Russie

24. En par­lant ain­si, Nous ne vou­lons aucu­ne­ment condam­ner en masse les peuples de l’Union Soviétique, aux­quels Nous por­tons une affec­tion paternelle.

Nous savons que beau­coup d’entre eux gémissent sous le joug qui leur est impo­sé de force par des hommes sou­vent étran­gers aux véri­tables inté­rêts du pays et Nous recon­nais­sons que beau­coup d’autres ont été trom­pés par des espé­rances fal­la­cieuses. Ce que Nous accu­sons, c’est le sys­tème, ses auteurs et ses fau­teurs, qui ont consi­dé­ré la Russie comme un ter­rain plus pro­pice pour faire l’ex­pé­rience d’une théo­rie éla­bo­rée depuis des dizaines d’an­nées, et qui de là conti­nuent à la pro­pa­ger dans le monde entier.

III – La lumineuse doctrine de l’Église

25. Après avoir expo­sé les erreurs et les moyens d’ac­tion vio­lents et trom­peurs du com­mu­nisme bol­che­vique et athée, il est temps désor­mais, Vénérables Frères, de leur oppo­ser briè­ve­ment la vraie notion de la « Cité humaine », de la Société humaine, telle que Vous la connais­sez, et telle que nous l’en­seignent la rai­son et la révé­la­tion par l’in­ter­mé­diaire de l’Eglise Magistra gen­tium.

La réalité suprême : Dieu

26. Au-​dessus de tous les êtres, il y a l’Etre unique, suprême, sou­ve­rain, c’est-​à-​dire Dieu, Créateur tout-​puissant de toutes choses, Juge infi­ni­ment sage et juste de tous les hommes. Cette réa­li­té suprême de Dieu est la condam­na­tion la plus abso­lue des impu­dents men­songes du com­mu­nisme. Ce n’est point, en effet, parce que les hommes croient en Dieu que Dieu existe ; mais c’est parce que Dieu existe que tout homme, ne fer­mant pas volon­tai­re­ment les yeux devant la véri­té, croit en Lui et Lui adresse ses prières.

Nature de l’homme et de la famille d’après la raison et la foi

27. Ce que la rai­son et la foi disent de l’homme, Nous l’a­vons résu­mé, quant aux points fon­da­men­taux, dans l’Encyclique sur l’é­du­ca­tion chré­tienne9.

L’homme a une âme spi­ri­tuelle et immor­telle ; il est une per­sonne, admi­ra­ble­ment pour­vue par le Créateur d’un corps et d’un esprit, un vrai « micro­cosme », comme disaient les anciens, c’est-​à-​dire un petit monde, qui vaut (à lui seul) beau­coup plus que l’im­mense uni­vers inani­mé. En cette vie et dans l’autre, l’homme n’a qu’un Dieu pour fin der­nière ; par la grâce sanc­ti­fiante, il est éle­vé à la digni­té de fils de Dieu et incor­po­ré au royaume de Dieu dans le corps mys­tique du Christ. C’est pour­quoi Dieu l’a doté de pré­ro­ga­tives nom­breuses et variées : le droit à la vie, à l’in­té­gri­té du corps, aux moyens néces­saires à l’exis­tence ; le droit de tendre à sa fin der­nière dans la voie tra­cée par Dieu ; le droit d’as­so­cia­tion, de pro­prié­té, et le droit d’u­ser de cette propriété.

28. Comme le mariage et le droit à son usage natu­rel sont d’o­ri­gine divine, ain­si la consti­tu­tion et les pré­ro­ga­tives fon­da­men­tales de la famille ont été déter­mi­nées et fixées par le Créateur lui-​même, et non par les volon­tés humaines ni par les faits économiques.

Dans l’Encyclique sur le mariage chré­tien ((Lettre Encycl. Casti connu­bii, 31 déc. 1930 (A. A. S., vol. XXII, 1930, pp. 539–592).)) et dans Notre Encyclique, men­tion­née plus haut, sur l’é­du­ca­tion, Nous Nous sommes éten­du lon­gue­ment sur ces questions.

Nature de la société

Droits et devoirs mutuels de l’homme et de la société.

29. En même temps Dieu des­ti­na l’homme à vivre en socié­té comme sa nature le demande. Dans le plan du Créateur, la socié­té est un moyen natu­rel, dont l’homme peut et doit se ser­vir pour atteindre sa fin, car la socié­té est faite pour l’homme et non l’homme pour la socié­té. Ce qui ne veut point dire, comme le com­prend le libé­ra­lisme indi­vi­dua­liste, que la socié­té est subor­don­née à l’u­ti­li­té égoïste de l’in­di­vi­du, mais que, par le moyen de l’u­nion orga­nique avec la socié­té, la col­la­bo­ra­tion mutuelle rend pos­sible à tous de réa­li­ser la vraie féli­ci­té sur terre : cela veut dire encore que c’est dans la socié­té que se déve­loppent toutes les apti­tudes indi­vi­duelles et sociales don­nées à l’homme par la nature, apti­tudes qui, dépas­sant l’in­té­rêt immé­diat du moment, reflètent dans la socié­té la per­fec­tion de Dieu, ce qui est impos­sible, si l’homme reste isolé.

Ce der­nier but de la socié­té est lui-​même, en der­nière ana­lyse, ordon­né à l’homme, afin que, recon­nais­sant ce reflet des per­fec­tions divines, par la louange et l’a­do­ra­tion, il le fasse remon­ter à son Créateur. Seul l’homme, seule la per­sonne humaine, et non la col­lec­ti­vi­té en soi, est doué de rai­son et de volon­té mora­le­ment libre.

30. Ainsi de même que l’homme ne peut se sous­traire aux devoirs qui, selon la volon­té de Dieu, le lient envers la socié­té civile, et que les repré­sen­tants de l’au­to­ri­té ont le droit, dans les cas où l’in­di­vi­du s’y refu­se­rait sans rai­son légi­time, de le contraindre à l’ac­com­plis­se­ment de son devoir ; de même la socié­té ne peut frus­trer l’homme des droits per­son­nels que le Créateur lui a concé­dés et dont Nous avons signa­lé plus haut les plus impor­tants ; elle ne peut lui en rendre, par prin­cipe, l’u­sage impos­sible. Il est donc conforme à la rai­son et à ses exi­gences qu’en der­nier lieu toutes les choses de la terre soient ordon­nées à la per­sonne humaine, afin que, par son inter­mé­diaire, elles retournent au Créateur. A l’homme, à la per­sonne humaine s’ap­plique vrai­ment ce que l’Apôtre des Gentils écrit aux Corinthiens sur l’é­co­no­mie du salut : « Tout est à vous, mais vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu« 10. Tandis que le com­mu­nisme, ren­ver­sant l’ordre des rela­tions entre l’homme et la socié­té, appau­vrit la per­sonne humaine, voi­là les hau­teurs où s’é­lèvent la rai­son et la révélation !

L’ordre économique et social.

31. De l’ordre éco­no­mique et social Léon XIII a expo­sé les prin­cipes direc­teurs dans l’Encyclique sur la ques­tion du tra­vail11, ces prin­cipes, dans Notre Encyclique sur la recons­truc­tion de l’ordre social12.

Nous les avons adap­tés aux exi­gences du temps pré­sent. De plus, insis­tant encore sur la doc­trine sécu­laire de l’Eglise tou­chant le carac­tère indi­vi­duel et social de la pro­prié­té pri­vée, Nous avons pré­ci­sé le droit et la digni­té du tra­vail, les rap­ports de col­la­bo­ra­tion qui doivent exis­ter entre ceux qui pos­sèdent le capi­tal et les tra­vailleurs, le salaire dû en stricte jus­tice à l’ou­vrier pour lui et pour sa famille.

32. Dans cette même Encyclique, Nous avons mon­tré que les moyens de sau­ver le monde actuel de la ruine dans laquelle le libé­ra­lisme amo­ral nous a plon­gés, ne consistent ni dans la lutte des classes ni dans la ter­reur, beau­coup moins encore dans l’a­bus auto­cra­tique du pou­voir de l’Etat, mais dans l’ins­tau­ra­tion d’un ordre éco­no­mique ins­pi­ré par la jus­tice sociale et les sen­ti­ments de la cha­ri­té chré­tienne. Nous avons mon­tré com­ment une saine pros­pé­ri­té doit se baser sur les vrais prin­cipes d’un cor­po­ra­tisme sain qui res­pecte la hié­rar­chie sociale néces­saire, et com­ment toutes les cor­po­ra­tions doivent s’or­ga­ni­ser dans une har­mo­nieuse uni­té, en s’ins­pi­rant du bien com­mun de la socié­té. La mis­sion prin­ci­pale et la plus authen­tique du pou­voir civil est pré­ci­sé­ment de pro­mou­voir effi­ca­ce­ment cette har­mo­nie et la coor­di­na­tion de toutes les forces sociales.

Hiérarchie sociale et prérogatives de l’Etat.

33. Afin d’as­su­rer cette col­la­bo­ra­tion orga­nique et cette tran­quille har­mo­nie, la doc­trine catho­lique reven­dique pour l’Etat la digni­té et l’au­to­ri­té d’un vigi­lant et pré­voyant défen­seur des droits divins et humains, dont les Saintes Ecritures et les Pères de l’Eglise parlent si sou­vent. Il est faux que tous les hommes aient les mêmes droits dans la socié­té civile et qu’il n’existe aucune hié­rar­chie légi­time. Qu’il nous suf­fise de rap­pe­ler les Encycliques de Léon XIII, indi­quées plus haut, en par­ti­cu­lier celle qui concerne le pou­voir de l’Etat ((Lettre Encycl. Diuturnum illud, 20 juin 1881(Acta Leonis XIII, vol. I, pp. 210–222).)) et celle qui traite de la consti­tu­tion chré­tienne de l’Etat ((Lettre Encycl. lmmor­tale Dei, 1er nov. 1885(Acta Leonis XIII, vol. II, pp. 146–168).)).

Ces Encycliques exposent clai­re­ment au catho­lique les prin­cipes de la rai­son et de la foi qui le ren­dront capable de se pré­mu­nir contre les erreurs et les dan­gers de la concep­tion bol­che­vique de l’Etat. La spo­lia­tion des droits et l’as­ser­vis­se­ment de l’homme, la néga­tion de l’o­ri­gine pre­mière et trans­cen­dante de l’Etat et de son pou­voir, l’hor­rible abus de l’au­to­ri­té publique au ser­vice du ter­ro­risme col­lec­ti­viste, tout cela est pré­ci­sé­ment le contraire de ce qu’exigent la morale natu­relle et la volon­té du Créateur. La socié­té civile et la per­sonne humaine tirent leur ori­gine de Dieu et sont par lui mutuel­le­ment ordon­nées l’une à l’autre ; aucune des deux, par consé­quent, ne peut se sous­traire à ses devoirs envers l’autre, ni renier ou dimi­nuer les droits de l’autre.

C’est Dieu qui a réglé ces rap­ports mutuels dans leurs lignes essen­tielles ; le com­mu­nisme com­met une usur­pa­tion injuste quand il impose, au lieu de la loi divine basée sur les prin­cipes immuables de la véri­té et de la cha­ri­té, un pro­gramme poli­tique de par­ti, pro­ve­nant de l’ar­bi­traire humain et tout rem­pli de haine.

Beauté de la doctrine de l’Église

34. Quand elle enseigne cette lumi­neuse doc­trine, l’Eglise n’a pas d’autre but que de réa­li­ser l’heu­reux mes­sage chan­té par les anges sur la grotte de Bethléem, à la nais­sance du Rédempteur : « Gloire à Dieu… et paix aux hommes…« 13 ; paix véri­table et vraie féli­ci­té, même ici-​bas, autant qu’il est pos­sible, en vue de pré­pa­rer la féli­ci­té éter­nelle, mais paix réser­vée aux hommes de bonne volonté.

Cette doc­trine se tient à égale dis­tance des erreurs extrêmes comme des exa­gé­ra­tions des par­tis ou des sys­tèmes qui s’y rat­tachent : elle garde tou­jours l’é­qui­libre de la jus­tice et de la véri­té ; elle pro­clame la juste mesure dans la théo­rie et en assure la réa­li­sa­tion pro­gres­sive dans la pra­tique, s’ef­for­çant de conci­lier les droits et les devoirs de tous, l’au­to­ri­té avec la liber­té, la digni­té de l’in­di­vi­du avec celle de l’Etat, la per­son­na­li­té humaine du subor­don­né avec l’o­ri­gine divine du pou­voir ; la juste sou­mis­sion, l’a­mour ordon­né de soi-​même, de sa famille et de sa propre patrie avec l’a­mour des autres familles et des autres peuples, sen­ti­ment fon­dé sur l’a­mour de Dieu, père, pre­mier prin­cipe et fin der­nière de tous les hommes. Elle ne sépare pas le sou­ci modé­ré des biens tem­po­rels de la sol­li­ci­tude pour les biens éter­nels. Si elle subor­donne les pre­miers aux autres, sui­vant la parole de son divin fon­da­teur : « Cherchez d’a­bord le royaume de Dieu et sa jus­tice et tout le reste vous sera don­né par sur­croît« 14, elle est bien loin tou­te­fois de se dés­in­té­res­ser des choses humaines et d’en­tra­ver le pro­grès et les avan­tages maté­riels : au contraire, elle les aide et les favo­rise de la manière la plus rai­son­nable et la plus effi­cace. Ainsi, bien que l’Eglise n’ait jamais, sur le ter­rain éco­no­mique et social, pré­sen­té de sys­tème tech­nique déter­mi­né, ce qui d’ailleurs ne lui appar­tient pas, elle a pour­tant clai­re­ment indi­qué, sur cer­tains points, des direc­tives qui, tout en s’a­dap­tant dans le concret à des appli­ca­tions diverses selon les dif­fé­rentes condi­tions de temps, de lieux et de peuples, montrent la bonne voie pour assu­rer l’heu­reux pro­grès de la société.

35. La sagesse, la valeur de cette doc­trine est admise par tous ceux qui la connaissent véri­ta­ble­ment. Avec rai­son, des hommes d’Etat émi­nents ont pu affir­mer qu’a­près avoir étu­dié les divers sys­tèmes sociaux, ils n’a­vaient rien trou­vé de plus sage que les prin­cipes expo­sés dans les Encycliques Rerum nova­rum et Quadragesimo anno. Jusque dans les pays non catho­liques, et même non chré­tiens, on recon­naît la grande valeur sociale des doc­trines de l’Eglise. C’est ain­si qu’un homme poli­tique émi­nent, non chré­tien, de l’Extrême-​Orient, n’hé­si­tait pas à pro­cla­mer, il y a un mois à peine, que l’Eglise avec sa doc­trine de paix et de fra­ter­ni­té chré­tienne apporte une très pré­cieuse contri­bu­tion à l’é­ta­blis­se­ment et au main­tien si labo­rieux de la paix entre les nations. Enfin, des rap­ports authen­tiques arri­vant au Centre de la Chrétienté affirment que les com­mu­nistes eux-​mêmes, s’ils ne sont pas tota­le­ment cor­rom­pus, lors­qu’on leur expose la doc­trine sociale de l’Eglise, en recon­naissent la supé­rio­ri­té sur les doc­trines de leurs chefs et de leurs maîtres. Ceux que la pas­sion aveugle et à qui la haine ferme les yeux devant la lumière de la véri­té, ceux-​là seuls la com­battent obstinément.

Est-​il vrai que l’Église n’a pas agi en conformité avec sa doctrine ?

36. Mais les enne­mis de l’Eglise, for­cés de recon­naître la sagesse de sa doc­trine, l’ac­cusent cepen­dant de n’a­voir pas su confron­ter ses actes à ses prin­cipes et affirment en consé­quence la néces­si­té de cher­cher d’autres voies. Combien cette accu­sa­tion est fausse et injuste, toute l’his­toire du Christianisme le démontre.

Pour ne rap­pe­ler ici que quelques faits carac­té­ris­tiques, c’est le Christianisme qui, le pre­mier, pro­cla­ma géné­reu­se­ment, avec une ardeur et une convic­tion incon­nues aux siècles pré­cé­dents, la vraie et uni­ver­selle fra­ter­ni­té de tous les hommes, à quelque race ou condi­tion qu’ils appar­tiennent ; il contri­bua ain­si puis­sam­ment à l’a­bo­li­tion de l’es­cla­vage, non par des révoltes san­gui­naires, mais par la force inté­rieure de sa doc­trine, en fai­sant voir à l’or­gueilleuse patri­cienne de Rome, dans son esclave, une soeur dans le Christ.

C’est le Christianisme qui adore le Fils de Dieu fait homme par amour des hommes et deve­nu « Fils du Charpentier », « Charpentier » lui-​même15 ; c’est le Christianisme qui consa­cra la vraie digni­té du tra­vail manuel, tâche autre­fois mépri­sée, au point que l’hon­nête Marcus Tullius Cicéron, résu­mant l’o­pi­nion géné­rale de son temps, ne crai­gnit pas d’é­crire ces paroles qui, aujourd’­hui, feraient honte à n’im­porte quel socio­logue : « Tous les arti­sans s’oc­cupent de métiers mépri­sables, car l’a­te­lier ne peut rien avoir de noble.« 16

37. Fidèle à ses prin­cipes, l’Eglise a régé­né­ré l’hu­ma­ni­té. Sous son influence, ont sur­gi d’ad­mi­rables œuvres de cha­ri­té, des cor­po­ra­tions puis­santes d’ar­ti­sans et de tra­vailleurs de toutes caté­go­ries : le libé­ra­lisme du siècle pas­sé s’en est moqué, parce qu’elles étaient des orga­ni­sa­tions du moyen âge ; mais elles s’im­posent aujourd’­hui à l’ad­mi­ra­tion de nos contem­po­rains, qui, en divers pays, cherchent à les faire revivre. Lorsque d’autres cou­rants entra­vaient son œuvre et empê­chaient son influence salu­taire, l’Eglise, et cela jus­qu’à nos jours, ne ces­sait pas d’a­ver­tir les éga­rés. Il suf­fit de rap­pe­ler avec quelle fer­me­té, quelle éner­gie et quelle constance Notre Prédécesseur Léon XIII a reven­di­qué pour l’ou­vrier le droit d’as­so­cia­tion, que le libé­ra­lisme régnant dans les plus puis­sants Etats s’a­charne à lui refu­ser. Même à l’heure actuelle, la doc­trine de l’Eglise exerce une influence plus grande qu’il ne paraît ; car le pou­voir des idées sur les faits est cer­tai­ne­ment consi­dé­rable, bien qu’il soit invi­sible à mesurer.

38. On peut dire en toute véri­té que l’Eglise, à l’i­mi­ta­tion du Christ, a pas­sé à tra­vers les siècles en fai­sant du bien à tous. Il n’y aurait ni socia­lisme ni com­mu­nisme si les chefs des peuples n’a­vaient pas dédai­gné ses ensei­gne­ments et ses mater­nels aver­tis­se­ments. Mais ils ont vou­lu éle­ver, sur les bases du libé­ra­lisme et du laï­cisme, d’autres construc­tions sociales, qui tout d’a­bord parais­saient puis­santes et gran­dioses ; mais on vit bien­tôt qu’elles n’a­vaient pas de fon­de­ments solides ; elles s’é­croulent misé­ra­ble­ment l’une après l’autre, comme doit s’é­crou­ler fata­le­ment tout ce qui ne repose pas sur l’u­nique pierre angu­laire qui est Jésus-Christ.

IV – Remèdes et moyens

39. Telle est, Vénérables Frères, la doc­trine de l’Eglise, la seule qui puisse appor­ter la vraie lumière, dans les choses sociales comme dans les autres pro­blèmes, la seule doc­trine de salut en face de l’i­déo­lo­gie com­mu­niste. Mais il faut que cette doc­trine passe dans la pra­tique de la vie, sui­vant l’a­ver­tis­se­ment de l’Apôtre saint Jacques : « Agissez d’a­près cet ensei­gne­ment, et ne vous conten­tez pas de l’é­cou­ter, en vous abu­sant vous-​même« 17 ; voi­là pour­quoi la tâche la plus urgente, à l’heure actuelle, c’est d’ap­pli­quer éner­gi­que­ment les remèdes appro­priés et effi­caces pour détour­ner la révo­lu­tion mena­çante qui se prépare.

Nous en avons la ferme confiance, l’a­char­ne­ment avec lequel les fils de ténèbres tra­vaillent jour et nuit à leur pro­pa­gande maté­ria­liste et athée sera du moins pour les fils de lumière un sti­mu­lant de pié­té, leur ins­pi­re­ra un zèle égal et même plus grand pour l’hon­neur de la Majesté divine.

40. Que faut-​il donc faire, quels remèdes employer pour défendre le Christ et la civi­li­sa­tion chré­tienne contre cet enne­mi per­ni­cieux ? Comme un père au milieu du cercle de famille. Nous vou­drions, pour ain­si dire dans l’in­ti­mi­té, vous entre­te­nir des devoirs que le grand com­bat d’au­jourd’­hui impose à tous les fils de l’Eglise, et même aux enfants qui se sont éloi­gnés d’elle Nous adres­sons ce pater­nel avertissement.

Renouveau de vie chrétienne

Remède fondamental.

41. Comme aux époques des plus vio­lentes tem­pêtes dans l’his­toire de l’Eglise, aujourd’­hui encore le remède fon­da­men­tal consiste dans une réno­va­tion sin­cère de la vie pri­vée et publique selon les prin­cipes de l’Evangile chez tous ceux qui se glo­ri­fient d’ap­par­te­nir au Christ, afin qu’ils soient vrai­ment le sel de la terre et pré­servent la socié­té humaine de la cor­rup­tion totale.

42. Avec un sen­ti­ment de pro­fonde recon­nais­sance envers le Père des lumières, de qui des­cend « tout don excellent et toute grâce par­faite« 18, Nous voyons par­tout les signes conso­lants de ce renou­veau spi­ri­tuel, non seule­ment dans les âmes par­ti­cu­liè­re­ment choi­sies qui, à notre époque, se sont éle­vées jus­qu’au som­met de la plus sublime sain­te­té et dans les âmes tou­jours plus nom­breuses qui tendent géné­ra­le­ment vers ces hau­teurs de lumière, mais encore dans une renais­sance de pié­té sen­tie et vécue, au sein de toutes les classes sociales, même les plus culti­vées, comme Nous l’a­vons rap­pe­lé récem­ment dans Notre Motu pro­prio In mul­tis sola­ciis du 2 octobre der­nier, à l’oc­ca­sion de la réor­ga­ni­sa­tion de l’Académie Pontificale des Sciences19.

43. Cependant, il faut avouer que dans ce tra­vail de réno­va­tion spi­ri­tuelle il reste encore beau­coup à faire. Même dans les pays catho­liques, un trop grand nombre de per­sonnes ne sont pour ain­si dire que des catho­liques de nom. Tout en obser­vant plus ou moins fidè­le­ment les pra­tiques les plus essen­tielles de la reli­gion qu’ils se vantent de pro­fes­ser, un trop grand nombre n’ont pas le sou­ci de per­fec­tion­ner leurs connais­sances reli­gieuses, d’ac­qué­rir des convic­tions plus intimes et plus pro­fondes ; ils s’ap­pliquent encore moins à vivre de telle sorte qu’à l’ap­pa­rence exté­rieure cor­res­ponde vrai­ment la beau­té inté­rieure d’une conscience droite et pure, com­pre­nant et accom­plis­sant tous ses devoirs sous le regard de Dieu. Cette reli­gion de façade, vaine et trom­peuse appa­rence, déplaît sou­ve­rai­ne­ment au Divin Sauveur, car Il veut que tous adorent le Père « en esprit et en véri­té« 20. Celui qui ne vit pas véri­ta­ble­ment et sin­cè­re­ment la foi qu’il pro­fesse ne sau­rait résis­ter long­temps au vent de per­sé­cu­tion et à la tem­pête vio­lente qui souffle aujourd’­hui ; il sera misé­ra­ble­ment empor­té par le nou­veau déluge qui menace le monde, et, tout en se per­dant lui-​même, il fera du nom chré­tien un objet de dérision.

Détachement des biens de la terre.

44. Ici, Vénérables Frères, Nous vou­lons rap­pe­ler avec une par­ti­cu­lière insis­tance deux pré­ceptes de Notre-​Seigneur, qui s’ap­pliquent tout spé­cia­le­ment aux condi­tions pré­sentes du genre humain : le déta­che­ment des biens de la terre et la loi de charité.

« Bienheureux les pauvres en esprit », telles furent les pre­mières paroles tom­bées des lèvres du Divin Maître, dans le ser­mon sur la mon­tagne21. Cette leçon est plus néces­saire que jamais, à notre époque de maté­ria­lisme avide des biens et des jouis­sances terrestres.

Tous les chré­tiens, riches ou pauvres, doivent tenir tou­jours leurs regards fixés vers le ciel, et ne jamais oublier que « nous n’a­vons pas ici-​bas de cité per­ma­nente, mais nous cher­chons celle qui est à venir« 22.

Les riches ne doivent pas mettre leur bon­heur dans les biens de la terre ni consa­crer le meilleur de leur effort à la conquête de ces biens ; mais qu’ils se consi­dèrent comme de simples admi­nis­tra­teurs tenus de rendre des comptes au Maître suprême, qu’il se servent de leurs richesses comme de moyens pré­cieux que Dieu leur accorde pour faire du bien : qu’ils ne manquent pas de dis­tri­buer leur super­flu aux pauvres, selon le pré­cepte évan­gé­lique23. Sinon, ils ver­ront se réa­li­ser pour eux-​mêmes et leurs richesses le juge­ment sévère de l’Apôtre saint Jacques : « A vous main­te­nant, riches ! Pleurez, écla­tez en san­glots. à la vue des misères qui vont fondre sur vous. Vos richesses sont pour­ries et vos vête­ments sont man­gés de vers. Votre or et votre argent se sont rouillés et leur rouille ren­dra témoi­gnage contre vous, et comme un feu dévo­re­ra vos chairs. Vous avez amas­sé des tré­sors de colère dans les der­niers jours« 24.

45. Quant aux pauvres, tout en cher­chant selon les lois de cha­ri­té et de jus­tice à se pour­voir du néces­saire et même à amé­lio­rer leur sort, ils doivent tou­jours res­ter, eux aus­si. « des pauvres en esprit« 25, pla­çant dans leur estime les biens spi­ri­tuels au-​dessus des biens et des jouis­sances ter­restres, qu’ils se sou­viennent qu’on ne réus­si­ra jamais à faire dis­pa­raître de ce monde les misères, les dou­leurs et les tri­bu­la­tions, qu’à cette loi per­sonne n’é­chappe. Il faut donc à tous la patience, cette patience chré­tienne qui récon­forte le cœur par les pro­messes divines d’un bon­heur éter­nel. « Prenez donc patience, mes frères. – dirons-​Nous encore avec saint Jacques, – jus­qu’à l’a­vè­ne­ment du Seigneur. Voyez, le labou­reur, dans l’es­pé­rance du pré­cieux fruit de la terre, attend patiem­ment jus­qu’à ce qu’il reçoive la pluie de l’au­tomne et celle du prin­temps. Vous aus­si, soyez patients, et affer­mis­sez vos cœurs, car l’a­vè­ne­ment du Seigneur est proche« 26. C’est ain­si que s’ac­com­pli­ra la conso­lante pro­messe de Notre-​Seigneur : « Bienheureux les pauvres ! » Ce n’est pas une vaine conso­la­tion ni une pro­messe trom­peuse comme celles des com­mu­nistes, mais ce sont des paroles de vie et de véri­té pro­fonde, qui se réa­lisent plei­ne­ment ici-​bas et ensuite dans l’é­ter­ni­té. Dans ces paroles et dans l’es­pé­rance du royaume céleste qui déjà leur appar­tient, « car le royaume de Dieu est à vous« 27, a pro­cla­mé Notre-​Seigneur, com­bien de pauvres trouvent un bon­heur que des riches cherchent en vain dans leur for­tune, tou­jours inquiets et tour­men­tés par le désir insa­tiable de pos­sé­der davantage.

La charité chrétienne.

46. Mais il y a un remède encore plus effi­cace, qui doit atteindre plus direc­te­ment le mal actuel, c’est le pré­cepte de la cha­ri­té. Nous vou­lons par­ler de cette cha­ri­té chré­tienne « patiente et bonne« 28. qui sait évi­ter les airs de pro­tec­tion humi­liante et toute osten­ta­tion ; cha­ri­té qui, depuis les débuts du Christianisme, a gagné au Christ les plus pauvres d’entre les pauvres, les esclaves. Nous remer­cions tous ceux qui se sont dévoués et se consacrent encore aux œuvres de misé­ri­corde cor­po­relle et spi­ri­tuelle, depuis les Conférences de Saint-​Vincent de Paul jus­qu’aux grandes orga­ni­sa­tions de ser­vice social récem­ment éta­blies. A mesure que les ouvriers et les pauvres res­sen­ti­ront les bien­faits de cet esprit d’a­mour, ani­mé par la ver­tu du Christ, ils se dépouille­ront de ce pré­ju­gé que le Christianisme a per­du de son effi­ca­ci­té et que l’Eglise est du côté de ceux qui exploitent le travail.

47. Mais quand Nous voyons cette foule d’in­di­gents acca­blés par la misère et pour des causes dont ils ne sont pas res­pon­sables, et à côté d’eux, tant de riches qui se diver­tissent sans pen­ser aux autres, qui gas­pillent des sommes consi­dé­rables pour des choses futiles, Nous ne pou­vons Nous empê­cher de consta­ter avec dou­leur que non seule­ment la jus­tice n’est pas suf­fi­sam­ment obser­vée, mais que le com­man­de­ment de la cha­ri­té reste encore incom­pris et n’est pas vécu dans la pra­tique quo­ti­dienne. Aussi, Vénérables Frères, Nous dési­rons que, par la parole et la plume, on s’at­tache à faire mieux connaître ce pré­cepte divin, signe pré­cieux et marque dis­tincte des vrais dis­ciples du Christ. En nous appre­nant à voir Jésus lui-​même dans ceux qui souffrent, la cha­ri­té nous fait un devoir d’ai­mer nos frères comme le Divin Sauveur nous a aimés, jus­qu’au renon­ce­ment, et, s’il le faut, jus­qu’au sacri­fice de la vie. Que l’on médite sou­vent les paroles conso­lantes mais en même temps ter­ribles que le Juge Suprême pro­non­ce­ra dans la sen­tence du Jugement der­nier : « Venez, les bénis de mon Père : – car j’ai eu faim, et vous m’a­vez don­né à man­ger ; j’ai eu soif, et vous m’a­vez don­né à boire. – En véri­té, je votre le dis, toutes les fois que vous l’a­vez fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’a­vez fait« 29.

Et d’autre part : – « Retirez-​vous de moi. mau­dits, allez au feu éter­nel : – car j’ai eu faim, et vous ne m’a­vez pas don­né à man­ger ; j’ai eu soif, et vous ne m’a­vez pas don­né à boire. – En véri­té, je vous le dis, chaque fois que vous ne l’a­vez pas fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous ne l’a­vez pas fait« 30.

48. Ainsi donc, pour méri­ter la vie éter­nelle, pour être en mesure de secou­rir effi­ca­ce­ment les pauvres, il faut reve­nir à une vie plus modeste, renon­cer aux plai­sirs, sou­vent cou­pables, que le monde actuel offre si abon­dam­ment, en un mot, s’ou­blier soi-​même par amour du pro­chain. Le « com­man­de­ment nou­veau » (comme l’ap­pelle Notre-​Seigneur)(( Jn. XIII, 34. )), la cha­ri­té chré­tienne contient une puis­sance divine de régé­né­ra­tion ; si on l’ob­serve fidè­le­ment, elle fera naître dans les âmes une paix inté­rieure que le monde ne connaît pas : elle appor­te­ra un remède effi­cace aux maux qui tour­mentent l’humanité.

Devoir de stricte justice.

49. Mais pour être authen­ti­que­ment vraie, la cha­ri­té doit tou­jours tenir compte de la jus­tice. L’Apôtre nous enseigne que « celui qui aime son pro­chain a accom­pli la loi » ; et il en donne la rai­son : « ces com­man­de­ments : Tu ne com­met­tras point d’a­dul­tère ; tu ne tue­ras point ; tu ne déro­be­ras point, et ceux qu’on pour­rait citer encore, se résument dans cette parole : Tu aime­ras ton pro­chain comme toi-​même« 31. Puisque selon l’Apôtre, tous les devoirs se ramènent au seul pré­cepte de la cha­ri­té, cette ver­tu com­mande aus­si les obli­ga­tions de stricte jus­tice, comme le devoir de ne pas tuer et de ne pas com­mettre de vol. Une pré­ten­due cha­ri­té qui prive l’ou­vrier du salaire auquel il a un droit strict n’a rien de la vraie cha­ri­té, ce n’est qu’un titre faux, un simu­lacre de cha­ri­té. L’ouvrier ne doit pas rece­voir à titre d’au­mône ce qui lui revient en jus­tice ; il n’est pas per­mis de se déro­ber aux graves obli­ga­tions impo­sées par la jus­tice en accor­dant quelques dons à titre de misé­ri­corde. La cha­ri­té et la jus­tice imposent des devoirs, sou­vent par rap­port au même objet, mais sous un aspect dif­fé­rent : lors­qu’il s’a­git des obli­ga­tions d’au­trui envers eux, les ouvriers ont le droit de se mon­trer par­ti­cu­liè­re­ment sen­sibles par conscience de leur propre dignité.

50. Aussi Nous Nous adres­sons tout par­ti­cu­liè­re­ment à vous, patrons et indus­triels chré­tiens, dont la tâche est sou­vent si dif­fi­cile parce que vous por­tez le lourd héri­tage des fautes d’un régime éco­no­mique injuste, qui a exer­cé ses ravages durant plu­sieurs géné­ra­tions ; son­gez à vos res­pon­sa­bi­li­tés. Il est mal­heu­reu­se­ment trop vrai que les pra­tiques admises en cer­tains milieux catho­liques ont contri­bué à ébran­ler la confiance des tra­vailleurs dans la reli­gion de Jésus-​Christ. On ne vou­lait pas com­prendre que la cha­ri­té chré­tienne exige la recon­nais­sance de cer­tains droits qui appar­tiennent à l’ou­vrier et que l’Eglise lui a expli­ci­te­ment recon­nus. Que faut-​il pen­ser des manœuvres de quelques patrons catho­liques qui, en cer­tains endroits, ont réus­si à empê­cher la lec­ture de Notre Encyclique Quadragesimo anno, dans leur églises patro­nales ? Que dire de ces indus­triels catho­liques qui n’ont ces­sé jus­qu’à pré­sent de se mon­trer hos­tiles à un mou­ve­ment ouvrier que Nous avons Nous-​même recom­man­dé ? N’est-​il pas déplo­rable qu’on ait par­fois abu­sé du droit de pro­prié­té, recon­nu par l’Eglise, pour frus­trer l’ou­vrier du juste salaire et des droits sociaux qui lui reviennent ?

Justice sociale.

51. En effet, outre la jus­tice com­mu­ta­tive, il y a aus­si la jus­tice sociale, qui impose des devoirs aux­quels patrons et ouvriers n’ont pas le droit de se sous­traire. C’est pré­ci­sé­ment la fonc­tion de la jus­tice sociale d’im­po­ser aux membres de la com­mu­nau­té tout ce qui est néces­saire au bien com­mun. Mais de même que dans l’or­ga­nisme vivant on pour­voit aux besoins du corps entier en don­nant à cha­cune des par­ties et à cha­cun des membres ce qu’il leur faut pour rem­plir leurs fonc­tions, ain­si dans l’or­ga­nisme social, pour assu­rer le bien com­mun de toute la col­lec­ti­vi­té, il faut accor­der à cha­cune des par­ties et à cha­cun des membres, c’est-​à-​dire à des hommes qui ont la digni­té de per­sonnes, ce qui leur est néces­saire pour l’ac­com­plis­se­ment de leurs fonc­tions sociales. La réa­li­sa­tion de la jus­tice sociale pro­dui­ra une acti­vi­té intense de toute la vie éco­no­mique, dans la paix et dans l’ordre, mani­fes­tant ain­si la san­té du corps social, tout comme la san­té du corps humain se recon­naît à l’har­mo­nieuse et bien­fai­sante syner­gie des acti­vi­tés organiques.

52. Mais la jus­tice sociale demande que les ouvriers puissent assu­rer leur propre sub­sis­tance et celle de leur famille par un salaire pro­por­tion­né ; qu’on les mette en mesure d’ac­qué­rir un modeste avoir, afin de pré­ve­nir ain­si un pau­pé­risme géné­ral qui est une véri­table cala­mi­té ; qu’on leur vienne en aide par un sys­tème d’as­su­rances publiques ou pri­vées qui les pro­tègent au temps de la vieillesse, de la mala­die ou du chô­mage. En résu­mé. Nous réité­rons la décla­ra­tion que Nous avons faite dans l’Encyclique Quadragesimo anno : « L’organisme éco­no­mique et social sera sai­ne­ment consti­tué et attein­dra sa fin, alors seule­ment qu’il pro­cu­re­ra à tous et à cha­cun de ses membres tous les biens que les res­sources de la nature et de l’in­dus­trie, ain­si que l’or­ga­ni­sa­tion vrai­ment sociale de la vie éco­no­mique, ont le moyen de leur pro­cu­rer. Ces biens doivent être assez abon­dants pour satis­faire aux besoins d’une hon­nête sub­sis­tance et pour éle­ver les hommes à ce degré d’ai­sance et de culture qui, pour­vu qu’on en use sage­ment, ne met pas obs­tacle à la ver­tu, mais en faci­lite au contraire sin­gu­liè­re­ment l’exer­cice« 32.

53. Comme il arrive de plus en plus dans le sala­riat, la jus­tice ne peut être obser­vée par cha­cun que si tous s’ac­cordent à la pra­ti­quer ensemble moyen­nant des ins­ti­tu­tions qui relient les uns aux autres les employeurs afin d’é­vi­ter une concur­rence incom­pa­tible avec la jus­tice due aux tra­vailleurs ; alors, le devoir des entre­pre­neurs et des patrons est de pro­mou­voir, de sou­te­nir ces ins­ti­tu­tions néces­saires qui deviennent le moyen nor­mal par lequel la jus­tice peut être satis­faite. Mais que les tra­vailleurs se sou­viennent aus­si de leurs devoirs de cha­ri­té et de jus­tice, c’est en res­pec­tant ces obli­ga­tions qu’il pour­ront mieux sau­ve­gar­der leurs propres intérêts.

54. Et si l’on consi­dère l’en­semble de la vie éco­no­mique. – Nous l’a­vons dit déjà dans Notre Encyclique Quadragesimo anno, – ce n’est que par un corps d’ins­ti­tu­tions pro­fes­sion­nelles et inter­pro­fes­sion­nelles, fon­dées sur des bases soli­de­ment Chrétiennes, reliées entre elles et for­mant sous des formes diverses, adap­tées aux régions et aux cir­cons­tances, ce qu’on appe­lait la Corporation, ce n’est que par ces ins­ti­tu­tions que l’on pour­ra faire régner dans les rela­tions éco­no­miques et sociales l’en­traide mutuelle de la jus­tice et de la charité.

Étude et diffusion de la doctrine sociale

55. Pour don­ner à cette action sociale une plus grande effi­ca­ci­té, il est indis­pen­sable d’é­tu­dier et de faire connaître tou­jours davan­tage les pro­blèmes sociaux à la lumière de la doc­trine de l’Église, et sous l’é­gide de l’Autorité éta­blie par Dieu dans l’Eglise.

Si la conduite de cer­tains catho­liques a lais­sé à dési­rer dans le domaine éco­no­mique et social, la cause en fut sou­vent que ces catho­liques ne connais­saient pas assez, n’a­vaient pas assez médi­té les ensei­gne­ments des Souverains Pontifes sur ce sujet. Aussi est-​il abso­lu­ment néces­saire de déve­lop­per dans toutes les classes de la socié­té une for­ma­tion sociale plus intense, en rap­port avec les degrés divers de la culture intel­lec­tuelle, et de n’é­par­gner aucun soin, aucune indus­trie pour assu­rer aux ensei­gne­ments de l’Eglise la plus large dif­fu­sion, sur­tout par­mi la classe ouvrière. Que les esprits soient éclai­rés par la sûre lumière de la doc­trine catho­lique ; que les volon­tés soient incli­nées à la suivre et à l’ap­pli­quer, comme norme de la vie morale, par l’ac­com­plis­se­ment conscien­cieux des mul­tiples devoirs sociaux. On com­bat­tra ain­si cette inco­hé­rence, cette dis­con­ti­nui­té dans la vie chré­tienne, que Nous avons déplo­rée tant de fois, et qui fait que cer­tains hommes, appa­rem­ment fidèles à rem­plir leurs devoirs reli­gieux, mènent, avec cela, par un déplo­rable dédou­ble­ment de conscience, dans le domaine du tra­vail, de l’in­dus­trie ou de la pro­fes­sion, dans leur com­merce ou leur emploi, une vie trop peu conforme aux exi­gences de la jus­tice et de la cha­ri­té chré­tienne ; d’où scan­dale pour les faibles, et facile pré­texte offert aux méchants de jeter sur l’Eglise elle-​même le discrédit.

56. A cette œuvre de réno­va­tion, la presse catho­lique peut lar­ge­ment contri­buer. La presse peut et doit, tout d’a­bord, s’ef­for­cer sous des formes variées et attrayantes, de faire tou­jours mieux connaître la doc­trine sociale : don­ner des infor­ma­tions exactes, mais suf­fi­sam­ment abon­dantes, sur l’ac­ti­vi­té des enne­mis, et des indi­ca­tions sur les moyens de com­bat qui se sont révé­lés plus effi­caces dans les divers pays ; enfin, pro­po­ser des sug­ges­tions utiles et mettre en garde contre les ruses et les trom­pe­ries avec les­quelles les com­mu­nistes s’ap­pliquent et sont déjà par­ve­nus à gagner à leur cause des hommes qui sont pour­tant de bonne foi.

Se prémunir contre les ruses du communisme

57. Sur ce der­nier point, Nous avons déjà insis­té dans Notre allo­cu­tion du 12 mai de l’an­née der­nière, mais Nous croyons néces­saire, Vénérables Frères, d’at­ti­rer de nou­veau, d’une façon spé­ciale, votre atten­tion. Le com­mu­nisme athée s’est mon­tré au début, tel qu’il était, dans toute sa per­ver­si­té, mais bien vite il s’est aper­çu que de cette façon il éloi­gnait de lui les peuples : aus­si a‑t-​il chan­gé de tac­tique et s’efforce-​t-​il d’at­ti­rer les foules par toutes sortes de trom­pe­ries, en dis­si­mu­lant ses propres des­seins sous des idées en elles-​mêmes bonnes et attrayantes. Ainsi, voyant le com­mun désir de paix, les chefs du com­mu­nisme feignent d’être les plus zélés fau­teurs et pro­pa­ga­teurs du mou­ve­ment pour la paix mon­diale ; mais, en même temps, ils excitent à une lutte de classes qui fait cou­ler des fleuves de sang, et sen­tant le manque d’une garan­tie inté­rieure de paix, ils recourent à des arme­ments illi­mi­tés. Ainsi encore, sous divers noms qui ne font pas même allu­sion au com­mu­nisme, ils fondent des asso­cia­tions fran­che­ment catho­liques et religieuses.

Ainsi, sans rien aban­don­ner de leurs prin­cipes per­vers, ils invitent les catho­liques à col­la­bo­rer avec eux sur le ter­rain huma­ni­taire et cha­ri­table comme on dit, en pro­po­sant par­fois même des choses entiè­re­ment conformes à l’es­prit chré­tien et à la doc­trine de l’Eglise.

Ailleurs, ils poussent l’hy­po­cri­sie jus­qu’à faire croire que le com­mu­nisme, dans les pays de plus grande foi et de civi­li­sa­tion plus avan­cée, revê­ti­ra un aspect plus doux, n’empêchera pas le culte reli­gieux et res­pec­te­ra la liber­té de conscience. Il y en a même qui, s’en rap­por­tant à cer­taines modi­fi­ca­tions intro­duites depuis peu dans la légis­la­tion sovié­tique, en concluent que le com­mu­nisme est près d’a­ban­don­ner son pro­gramme de lutte contre Dieu.

58. Veillez, Vénérables Frères, à ce que les fidèles ne se laissent pas trom­per. Le com­mu­nisme est intrin­sè­que­ment per­vers, et l’on ne peut admettre sur aucun ter­rain la col­la­bo­ra­tion avec lui de la part de qui­conque veut sau­ver la civi­li­sa­tion chré­tienne. Si quelques-​uns, induits en erreur, coopé­raient à la vic­toire du com­mu­nisme dans leur pays, ils tom­be­raient les pre­miers, vic­times de leur éga­re­ment ; et plus les régions où le com­mu­nisme réus­sit à péné­trer se dis­tinguent par l’an­ti­qui­té et la gran­deur de leur civi­li­sa­tion chré­tienne, plus la haine des « sans-​Dieu » se mon­tre­ra dévastatrice.

Prière et pénitence

59. Mais « si le Seigneur ne garde la cité, c’est en vain que veille son gar­dien« 33. Aussi, comme der­nier et très puis­sant remède, Nous vous recom­man­dons, Vénérables Frères, de pro­mou­voir et d’in­ten­si­fier, le plus effi­ca­ce­ment pos­sible, dans vos dio­cèses, le double esprit de prière et de péni­tence chrétienne.

Quand les Apôtres deman­dèrent au Sauveur pour­quoi ils n’a­vaient pu, eux, déli­vrer de l’es­prit malin un démo­niaque, le Seigneur répon­dit : « De pareils démons ne se chassent que par la prière et par le jeûne« 34. Le mal qui aujourd’­hui ravage l’hu­ma­ni­té ne pour­ra de même être vain­cu que par une sainte et uni­ver­selle croi­sade de prière et de péni­tence. Et Nous recom­man­dons tout spé­cia­le­ment aux Ordres contem­pla­tifs d’hommes et de femmes de redou­bler leurs sup­pli­ca­tions et leurs sacri­fices, pour obte­nir du Ciel en faveur de l’Eglise un vigou­reux appui dans les luttes pré­sentes, grâce à la puis­sante inter­ces­sion de la Vierge Immaculée, elle qui écra­sa jadis la tête de l’an­tique ser­pent et reste tou­jours depuis lors, la sûre défense et l’in­vin­cible « Secours des Chrétiens ».

V – Ministres et auxiliaires de cette œuvre sociale de l’Église

Les prêtres

60. Pour l’œuvre mon­diale de salut dont Nous venons de tra­cer les grandes lignes, pour l’ap­pli­ca­tion des remèdes que Nous avons indi­qués briè­ve­ment, les ministres et ouvriers évan­gé­liques dési­gnés par le divin Roi Jésus-​Christ, ce sont en pre­mier lieu les prêtres. Par voca­tion spé­ciale, sous la conduite de la hié­rar­chie et dans une union de filiale obéis­sance au Vicaire du Christ sur la terre, les prêtres ont reçu la mis­sion de gar­der allu­mé dans le monde le flam­beau de la foi, et d’in­fu­ser aux fidèles cette sur­na­tu­relle confiance avec laquelle l’Eglise, au nom du Christ, a com­bat­tu, vic­to­rieu­se­ment, tant d’autres com­bats : « la vic­toire qui vainc le monde, c’est notre loi« 35.

61. Et en par­ti­cu­lier, Nous rap­pe­lons aux prêtres l’ex­hor­ta­tion si sou­vent répé­tée, de Notre Prédécesseur Léon XIII,. d’al­ler à l’ou­vrier. Cette exhor­ta­tion, Nous la fai­sons Nôtre et la com­plé­tons : « Allez à l’ou­vrier, spé­cia­le­ment à l’ou­vrier pauvre, et en géné­ral allez aux pauvres », sui­vant en cela les ensei­gne­ments de Jésus et de son Eglise. Les pauvres, en effet, sont les plus expo­sés aux pièges des fau­teurs de troubles, qui exploitent leur condi­tion misé­rable pour allu­mer en eux l’en­vie contre les riches et les exci­ter à s’emparer de vive force de ce qui leur semble injus­te­ment refu­sé par la for­tune. Et si le prêtre ne va pas vers les ouvriers pour les mettre en garde contre les pré­ju­gés et les fausses doc­trines ou pour les en détrom­per, ils devien­dront une proie facile pour les apôtres du communisme.

62. Nous recon­nais­sons qu’un grand effort a été fait dans ce sens, sur­tout depuis les Encycliques Rerum nova­rum et Quadragesimo anno, et c’est avec une pater­nelle com­plai­sance que Nous saluons le zèle indus­trieux de tant d’Evêques et de prêtres, qui inventent, qui essayent (tou­jours avec les pré­cau­tions vou­lues) de nou­velles méthodes d’a­pos­to­lat mieux adap­tées aux exi­gences modernes. Mais tout cela est encore trop peu pour les besoins de l’heure pré­sente. Quand la patrie est en dan­ger, tout ce qui n’est pas stric­te­ment indis­pen­sable ou direc­te­ment ordon­né à la pres­sante néces­si­té de la défense com­mune passe au second plan. Ainsi, dans le cas pré­sent, toute autre œuvre, si belle, si bonne qu’elle soit, doit céder la place devant la néces­si­té vitale de sau­ver les bases mêmes de la foi et de la civi­li­sa­tion chré­tienne. Que les prêtres donc, dans les paroisses, sans pré­ju­dice bien enten­du de ce que réclame le soin ordi­naire des fidèles, que les prêtres réservent la plus grande et la meilleure par­tie de leurs forces et de leur acti­vi­té pour rega­gner les masses ouvrières au Christ et à l’Église et pour faire péné­trer l’es­prit chré­tien dans les milieux qui y sont le plus étran­gers. Ils trou­ve­ront dans les masses popu­laires une cor­res­pon­dance, une abon­dance de fruits inat­ten­due, qui les récom­pen­se­ra du pénible labeur des pre­miers défri­che­ments. C’est ce que Nous avons vu et ce que Nous voyons à Rome et en bien d’autres grandes villes, où, sitôt bâties de nou­velles églises dans les quar­tiers péri­phé­riques, on voit se consti­tuer des com­mu­nau­tés parois­siales pleines de zèle et s’ac­com­plir de vrais miracles de conver­sions par­mi des foules qui n’é­taient hos­tiles à la reli­gion que faute de la bien connaître.

63. Mais le plus effi­cace moyen d’a­pos­to­lat auprès des pauvres et des humbles est l’exemple du prêtre, l’exemple de toutes les ver­tus sacer­do­tales, telles que Nous les avons décrites dans Notre Encyclique Ad catho­li­ci sacer­do­tii36 ; dans le cas pré­sent, ce qu’il faut sur­tout, c’est un exemple lumi­neux de vie humble, pauvre, dés­in­té­res­sée, copie fidèle de la vie du divin Maître, qui pou­vait pro­cla­mer avec une fran­chise divine : « Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids mais le Fils de l’homme n’a pas où repo­ser sa tête« 37. Un prêtre qui est vrai­ment, évan­gé­li­que­ment pauvre et dés­in­té­res­sé fait des miracles de bien au milieu du peuple : tel un saint Vincent de Paul, un Curé d’Ars, un Cottolengo, un Don Bosco et tant d’autres. Au contraire, un prêtre avare et inté­res­sé, comme Nous l’a­vons rap­pe­lé dans l’Encyclique citée plus haut, même s’il ne se jette pas, comme Judas, dans l’a­bîme de la tra­hi­son, sera tout au moins un vain « airain sonore » et une inutile « cym­bale reten­tis­sante« 38, trop sou­vent même un obs­tacle au bien plu­tôt qu’un ins­tru­ment de grâce par­mi le peuple.

Et si le prêtre sécu­lier ou régu­lier a par office l’ad­mi­nis­tra­tion de biens tem­po­rels, qu’il se sou­vienne que non seule­ment il doit scru­pu­leu­se­ment obser­ver les pres­crip­tions de la cha­ri­té et de la jus­tice, mais encore se mon­trer, d’une façon toute spé­ciale, un vrai père des pauvres.

L’action catholique

64. Après cet appel au cler­gé, Nous adres­sons Notre invi­ta­tion pater­nelle à Nos très chers fils du laï­cat, qui militent dans les rangs de cette Action catho­lique qui Nous est si chère, et que Nous avons appe­lée, en une autre occa­sion39 « une aide par­ti­cu­liè­re­ment pro­vi­den­tielle » à l’œuvre de l’Eglise, en ces cir­cons­tances si dif­fi­ciles. L’Action catho­lique, en effet, est bien un apos­to­lat social, puis­qu’elle vise à étendre le règne de Jésus-​Christ non seule­ment chez les indi­vi­dus, mais encore dans les familles et dans la socié­té. Aussi doit-​elle s’ap­pli­quer d’a­bord avec un soin spé­cial à for­mer ses membres et à les pré­pa­rer aux saints com­bats du Seigneur. A ce tra­vail de for­ma­tion, d’une néces­si­té plus que jamais urgente, pré­li­mi­naire obli­gé de l’ac­tion directe et effec­tive, ser­vi­ront cer­tai­ne­ment les cercles d’é­tude, les Semaines sociales, les cours métho­diques de confé­rences et toutes autres sem­blables ini­tia­tives, aptes à faire connaître la solu­tion chré­tienne des pro­blèmes sociaux.

65. Des mili­tants de l’Action catho­lique ain­si bien pré­pa­rés et exer­cés seront immé­dia­te­ment les pre­miers apôtres de leurs com­pa­gnons de tra­vail, et devien­dront les pré­cieux auxi­liaires du prêtre pour por­ter la lumière de .la véri­té et sou­la­ger les détresses maté­rielles et spi­ri­tuelles en d’in­nom­brables zones que des pré­ju­gés invé­té­rés contre le cler­gé ou une déplo­rable apa­thie reli­gieuse ont ren­dues réfrac­taires à l’ac­tion des ministres de Dieu. On coopé­re­ra ain­si, sous la conduite de prêtres par­ti­cu­liè­re­ment expé­ri­men­tés, à cette assis­tance reli­gieuse à la classe ouvrière, qui Nous tient tant à cœur, comme étant le moyen le plus apte pour pré­ser­ver des embûches com­mu­nistes ces fils bien-aimés.

66. Outre cet apos­to­lat indi­vi­duel, bien sou­vent caché, mais extrê­me­ment utile et effi­cace, c’est le rôle de l’Action catho­lique de répandre lar­ge­ment, par la parole et par la plume, tels qu’ils émanent des docu­ments pon­ti­fi­caux, les prin­cipes fon­da­men­taux qui doivent ser­vir à la construc­tion d’un ordre social chrétien.

Organisations auxiliaires

67. Autour de l’Action catho­lique se rangent les orga­ni­sa­tions que Nous avons saluées autre­fois comme ses auxi­liaires. Elles aus­si, ces orga­ni­sa­tions si utiles, Nous les exhor­tons pater­nel­le­ment à se consa­crer à la grande mis­sion dont Nous par­lons, mis­sion qui aujourd’­hui prime toutes les autres par son impor­tance vitale.

Organisations professionnelles

68. Nous son­geons éga­le­ment à ces orga­ni­sa­tions pro­fes­sion­nelles d’ou­vriers, d’a­gri­cul­teurs, d’in­gé­nieurs, de méde­cins, de patrons, d’é­tu­diants, et autres orga­ni­sa­tions simi­laires d’hommes et de femmes, vivant dans les mêmes condi­tions cultu­relles et que la nature même a grou­pés. Ce sont jus­te­ment ces groupes et ces orga­ni­sa­tions qui sont des­ti­nés à intro­duire dans la socié­té l’ordre que Nous avons eu en vue dans Notre Encyclique Quadragesimo anno et à faire ain­si recon­naître la royau­té du Christ dans les divers domaines de la culture et du travail.

69. Que si, en rai­son des condi­tions nou­velles de la vie éco­no­mique et sociale, l’Etat s’est cru en devoir d’in­ter­ve­nir au point d’as­sis­ter et de régle­men­ter, par des dis­po­si­tions légis­la­tives par­ti­cu­lières, de sem­blables ins­ti­tu­tions (sans pré­ju­dice du res­pect dû à la liber­té et aux ini­tia­tives pri­vées), même alors l’Action catho­lique n’a pas le droit de res­ter étran­gère à la réa­li­té. Elle doit avec sagesse four­nir sa contri­bu­tion de la pen­sée, en étu­diant les pro­blèmes nou­veaux à la lumière de la doc­trine catho­lique, et sa contri­bu­tion d’ac­ti­vi­té par la par­ti­ci­pa­tion loyale et dévouée de ses membres aux formes et aux ins­ti­tu­tions nou­velles. Ils y por­te­ront l’es­prit chré­tien qui est tou­jours prin­cipe d’ordre, de mutuelle et fra­ter­nelle collaboration.

Appel aux ouvriers chrétiens

70. Et ici, Nous vou­drions adres­ser une parole par­ti­cu­liè­re­ment pater­nelle à Nos chers ouvriers catho­liques, jeunes gens et adultes. En récom­pense, sans doute, de leur fidé­li­té par­fois héroïque en ces temps dif­fi­ciles, ils ont reçu une mis­sion très noble et très ardue, ce sont eux qui doivent rame­ner à l’Eglise et à Dieu ces mul­ti­tudes immenses de leurs frères de tra­vail qui, exas­pé­rés de n’a­voir pas été com­pris ni trai­tés avec le res­pect auquel ils avaient droit, se sont éloi­gnés de Dieu. Que les ouvriers catho­liques, par leur exemple, par leurs paroles, fassent com­prendre à leurs frères éga­rés que l’Eglise est une tendre Mère pour tous ceux qui tra­vaillent et qui souffrent, et qu’elle n’a jamais man­qué, ni ne man­que­ra jamais à son devoir sacré de Mère, qui est de défendre ses fils.

Si cette mis­sion, qu’ils doivent accom­plir dans les mines, dans les usines, dans les chan­tiers, par­tout où l’on tra­vaille, exige par­fois de grands renon­ce­ments, ils se sou­vien­dront que le Sauveur du monde nous a don­né l’exemple, non seule­ment du tra­vail, mais encore du sacrifice.

Nécessité de la concorde entre catholiques

71. A tous Nos fils enfin, de toute classe, de toute nation, de tout grou­pe­ment reli­gieux et laïque dans l’Eglise, Nous vou­lons adres­ser de nou­veau le plus pres­sant appel à la concorde. Bien des fois, Notre cœur pater­nel a été navré des dis­sen­sions, futiles dans leurs causes, mais tou­jours tra­giques dans leurs consé­quences, qui mettent aux prises les fils d’une même Eglise. Et alors on voit les fau­teurs de désordre, qui ne sont pas tel­le­ment nom­breux, pro­fi­ter de ces dis­cordes, les enve­ni­mer, et finir par jeter les catho­liques eux-​mêmes les uns contre les autres. Après les évé­ne­ments de ces der­niers mois, Notre aver­tis­se­ment devrait paraître super­flu. Pourtant Nous le répé­tons une fois encore, pour ceux qui n’ont pas com­pris ou qui peut-​être ne veulent pas com­prendre. Ceux qui tra­vaillent à aug­men­ter les dis­sen­sions entre catho­liques se chargent devant Dieu et devant l’Eglise d’une ter­rible responsabilité.

Appel à tous ceux qui croient en Dieu

72. Dans ce com­bat enga­gé dans la puis­sance des ténèbres contre l’i­dée même de la Divinité, Nous gar­dons l’es­pé­rance que la lutte sera vaillam­ment sou­te­nue, non seule­ment par ceux qui se glo­ri­fient de por­ter le nom du Christ, mais aus­si par tous les hommes (et ils sont l’im­mense majo­ri­té dans le monde) qui croient encore en Dieu et l’a­dorent. Nous renou­ve­lons donc l’ap­pel lan­cé, il y a cinq ans, dans Notre Encyclique Caritate Christi, que tous les croyants s’emploient avec loyau­té et cou­rage « à pré­ser­ver le genre humain du grave péril qui le menace. » Car, disions-​Nous alors, « la foi en Dieu est le fon­de­ment inébran­lable de tout ordre social et de toute res­pon­sa­bi­li­té sur la terre ; aus­si tous ceux qui ne veulent pas de l’a­nar­chie et du ter­ro­risme, doivent tra­vailler éner­gi­que­ment à empê­cher la réa­li­sa­tion du plan ouver­te­ment pro­cla­mé par les enne­mis de la reli­gion« 40.

Devoirs de l’État chrétien

Aider l’Eglise.

73. Telle est la tâche posi­tive, d’ordre à la fois doc­tri­nal et pra­tique, que l’Eglise assume, en ver­tu de la mis­sion même que lui a confiée le Christ : construire la socié­té chré­tienne, et, à notre époque, com­battre et bri­ser les efforts du com­mu­nisme ; à cet effet, Nous adres­sons un appel à toutes les classes de la socié­té. A cette entre­prise spi­ri­tuelle de l’Eglise, l’Etat chré­tien doit concou­rir posi­ti­ve­ment en aidant l’Eglise dans cette tâche, par les moyens qui lui sont propres ; moyens exté­rieurs, sans doute, mais qui n’en visent pas moins prin­ci­pa­le­ment le bien des âmes.

74. Les Etats met­tront donc tout en œuvre pour empê­cher qu’une pro­pa­gande athée, qui bou­le­verse tous les fon­de­ments de l’ordre, fasse des ravages sur leurs ter­ri­toires. Car il ne sau­rait y avoir d’au­to­ri­té sur la terre, si l’au­to­ri­té de la Majesté divine est mécon­nue, et le ser­ment ne tien­dra pas s’il n’est pas prê­té au nom du Dieu vivant. Nous répé­tons ce que Nous avons dit sou­vent et avec tant d’in­sis­tance, en par­ti­cu­lier dans Notre Encyclique Caritate Christi : « Comment peut tenir un contrat quel­conque et quelle valeur peut avoir un trai­té, là où manque toute garan­tie de conscience ? Et com­ment peut-​on par­ler de garan­tie de conscience là où a dis­pa­ru toute foi en Dieu, toute crainte de Dieu ? Cette base enle­vée, toute foi morale s’é­croule avec elle, et il n’y a plus aucun remède qui puisse empê­cher de se pro­duire peu à peu, mais inévi­ta­ble­ment, la ruine des peuples, des familles, de l’Etat, de la civi­li­sa­tion même« 41.

Pourvoir au bien commun.

75. En outre, l’Etat ne doit rien négli­ger pour créer ces condi­tions maté­rielles de vie, sans les­quelles une socié­té ordon­née ne peut sub­sis­ter, et pour four­nir du tra­vail, spé­cia­le­ment aux pères de famille et à la jeu­nesse. A cette fin, qu’on amène les classes pos­sé­dantes à prendre sur elles les charges sans les­quelles ni la socié­té humaine ne peut être sau­vée, ni ces classes elles-​mêmes ne sau­raient trou­ver le salut. Mais les mesures prises dans ce sens par l’Etat doivent être telles qu’elles atteignent vrai­ment ceux qui, de fait, détiennent entre leurs mains les plus gros capi­taux et les aug­mentent sans cesse, au grand détri­ment d’autrui.

Prudence et sage administration.

76. Que l’Etat lui-​même, son­geant à sa res­pon­sa­bi­li­té devant Dieu et devant la socié­té, serve d’exemple à tous les autres par une admi­nis­tra­tion pru­dente et modé­rée. Aujourd’hui plus que jamais, la très grave crise mon­diale exige que ceux qui dis­posent de fonds énormes, fruit du tra­vail et des sueurs de mil­lions de citoyens, aient tou­jours uni­que­ment devant les yeux le bien com­mun et s’ap­pliquent à le pro­mou­voir le plus pos­sible. De même, que les fonc­tion­naires et tous les employés de l’Etat, par obli­ga­tion de conscience, rem­plissent leur devoir avec fidé­li­té et dés­in­té­res­se­ment. Ils sui­vront en cela les lumi­neux exemples, anciens et récents, d’hommes remar­quables, qui, dans un labeur sans relâche, ont sacri­fié toute leur vie pour le bien de la patrie. Enfin, dans les rap­ports des peuples entre eux, que l’on s’ap­plique ins­tam­ment à sup­pri­mer les entraves arti­fi­cielles de la vie éco­no­mique, effets d’un sen­ti­ment de défiance et de haine ; et qu’on se rap­pelle que tous les peuples de la terre forment une seule famille de Dieu.

Laisser la liberté à l’Eglise.

77. Mais en même temps l’Etat doit lais­ser à l’Eglise la pleine liber­té d’ac­com­plir sa divine et toute spi­ri­tuelle mis­sion, pour contri­buer puis­sam­ment par là même à sau­ver les peuples de la ter­rible tour­mente du moment pré­sent. De toutes parts, on fait aujourd’­hui un appel angois­sé aux forces morales et spi­ri­tuelles, et l’on a bien rai­son, car le mal à com­battre est avant tout, si on le regarde dans sa source pre­mière, un mal de nature spi­ri­tuelle, et c’est de cette source empoi­son­née que sortent par une logique infer­nale, toutes les mons­truo­si­tés du com­mu­nisme. Or, par­mi les forces morales et spi­ri­tuelles, l’Eglise catho­lique occupe sans conteste une place de choix, et c’est pour­quoi le bien même de l’hu­ma­ni­té exige que l’on ne mette pas d’obs­tacle à son action.

78. Agir autre­ment, et pré­tendre quand même arri­ver au but, avec les moyens pure­ment éco­no­miques et poli­tiques, c’est être vic­time d’une dan­ge­reuse erreur. Quand on exclut la reli­gion de l’é­cole, de l’é­du­ca­tion, de la vie publique, quand on expose à la déri­sion les repré­sen­tants de l’Eglise et ses rites sacrés, est-​ce que l’on ne favo­rise pas ce maté­ria­lisme dont le com­mu­nisme est le fruit ? Ni la force, même la mieux orga­ni­sée, ni les idéals ter­restres, fussent-​ils les plus grands et plus nobles, ne peuvent maî­tri­ser un mou­ve­ment qui plonge pré­ci­sé­ment ses racines dans l’es­time exces­sive des biens de ce monde.

79. Nous avons confiance que ceux qui ont en main le sort des nations, pour peu qu’ils sentent le péril extrême dont les peuples sont aujourd’­hui mena­cés, sen­ti­ront tou­jours mieux le devoir capi­tal de ne point empê­cher l’Eglise d’ac­com­plir sa mis­sion. D’autant plus qu’en l’ac­com­plis­sant, tout en visant le bon­heur éter­nel de l’homme, elle tra­vaille insé­pa­ra­ble­ment à son vrai bon­heur temporel.

Appel paternel aux égarés

80. Nous ne pou­vons ter­mi­ner cette Encyclique sans adres­ser une parole à ceux de Nos fils qui sont atteints déjà, ou presque, du mal com­mu­niste. Nous les exhor­tons vive­ment à écou­ter la voix du Père qui les aime ; et Nous prions le Seigneur de les éclai­rer, afin qu’ils aban­donnent la voie glis­sante qui les entraîne tous à une immense catas­trophe ; qu’ils recon­naissent eux aus­si, que l’u­nique Seigneur est Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, « car il n’y a pas, sous le ciel, un autre nom don­né aux hommes, dont ils puissent attendre le salut« 42.

Saint Joseph, modèle et patron

81. Et pour hâter cette paix tant dési­rée de tous, la « Paix du Christ dans le règne du Christ« 43, Nous met­tons la grande action de l’Eglise catho­lique contre le com­mu­nisme athée mon­dial sous l’é­gide du puis­sant pro­tec­teur de l’Eglise, saint Joseph. Il appar­tient, lui, à la classe ouvrière ; il a fait la rude expé­rience de la pau­vre­té, pour lui et pour la Sainte Famille, dont il était le chef vigi­lant et aimant ; il reçut en garde l’Enfant divin quand Hérode lan­ça contre Lui ses sicaires. Par une vie de fidé­li­té abso­lue dans l’ac­com­plis­se­ment du devoir quo­ti­dien, il a lais­sé un exemple à tous ceux qui doivent gagner leur pain par le tra­vail manuel, et a méri­té d’être appe­lé le Juste, modèle vivant de cette jus­tice chré­tienne qui doit régner dans la vie sociale.

82. Les yeux tour­nés vers les hau­teurs, notre foi aper­çoit les cieux nou­veaux et la terre nou­velle dont parle Notre pre­mier pré­dé­ces­seur, saint Pierre44.

Et tan­dis que les pro­messes des faux pro­phètes s’é­teignent, sur cette terre, dans le sang et dans les larmes, res­plen­dit d’une céleste beau­té la grande pro­phé­tie apo­ca­lyp­tique du Sauveur du monde : « Voici que je fais toutes choses nou­velles« 45.

Il ne Nous reste plus, Vénérables Frères, qu’à éle­ver Nos mains pater­nelles, et à faire des­cendre sur Vous, sur Votre cler­gé et Votre peuple, sur toute la grande famille catho­lique, la Bénédiction apostolique.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, en la fête de saint Joseph, patron de l’Eglise uni­ver­selle, le 19 mars 1937, l’an XVI de Notre Pontificat.

Pie XI, Pape

  1. Lettre Encycl. Qui plu­ri­bus, 9 nov. 1846(Acta Pii IX vol. I, p. 13). Cf. Syllabus. § IV (A. S. S., vol. III, p. 170). []
  2. Lettre Encycl. Quod. Apostolici mune­ris, 28 déc. 1878 (Acta Leonis XIII, vol. I, p. 46). []
  3. 18 déc. 1924 : A. A. S., vol. XVI (1924), pp. 494, 495. []
  4. 15 mai 1931 : A. A. S., vol. XXIII (1931), pp. 177–228. []
  5. 3 mai 1932 : A. A. S., vol. XXIV (1932), pp. 177–194. []
  6. 29 sept. 1932 : A. A. S., vol. XXIV (1932), pp. 321–332. []
  7. 3 juin 1933 : A. A. S., vol. XXV (1933), pp. 261–274. []
  8. Cf. II Thess. II, 4. []
  9. Lettre Encycl. Divini illius Magistri, 31 déc. 1929 (A. A. S., vol. XXI, 1930, pp. 49–86). []
  10. I Cor. III, 23. []
  11. Lettre Encycl. Rerum nova­rum, 15 mai 1891(Acta Leonis XIII, vol. IV, pp. 177–209). []
  12. Lettre Encycl. Quadragesimo anno, 15 mai 1931 (A. A. S., vol. XIII, 1931, pp. 177–228). []
  13. Lc. II, 14. []
  14. Mt. VI, 33. []
  15. Cf. Mt. XIII, 55 ; Mc. VI, 3. []
  16. De offi­ciis, I, XLII. []
  17. Jac. I, 22. []
  18. Jac. I, 17. []
  19. A. A. S., vol. XXVIII (1936), pp. 421–424. []
  20. Jn, IV, 23. []
  21. Mt. V, 3. []
  22. Heb. XIII, 14. []
  23. Cf. Lc. XI. 41. []
  24. Jac. V. 1–3. []
  25. Mt. V, 3. []
  26. Jac. V. 7, 8. []
  27. Lc. VI, 20. []
  28. I Cor. XIII, 4. []
  29. Mt. XXV, 34–40. []
  30. Mt. XXV. 41–45. []
  31. Rom. XIII, 8, 9. []
  32. Lettre Encycl. Quadragesimo anno, 15 mai 1931 (A. A. S., vol. XXIII, 1931, p. 202). []
  33. Ps. CXXVI, I. []
  34. Mt. XVII, 21. []
  35. I Jn. V, 4. []
  36. 20 déc. 1935 (A. A. S., vol. XXVIII, 1936, pp. 5–53). []
  37. Mt. VIII, 20. []
  38. I Cor. XIII, I. []
  39. 12 mai 1936. []
  40. Lettre Encycl. Caritate Christi, 3 mai 1932 (A. A. S., vol. XXIV, 1932, p. 184). []
  41. Lettre Encycl. Caritate Christi, 3 mai 1932 (A. A. S., vol. XXIV, 1932, p. 190). []
  42. Act. IV. 12. []
  43. Lettre Encycl. Ubi arca­no, 23 déc. 1922 (A. A. S., vol. XIV, 1922, p. 691). []
  44. II Pi. III. 13. Cf. Is. LXV, 17 ; LXVI, 22. Apoc. XXI, I. []
  45. Apoc. XXI, 5. []
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