Les sacres 20 ans après : le dossier des principaux arguments

Les Raisons historiques

1° Lettre de Mgr Lefebvre au cardinal Ratzinger, 8 juillet 1987

Le 29 juin 1987, lors de la céré­mo­nie d’ordination à Ecône, Mgr Lefebvre mani­feste pour la pre­mière fois son inten­tion de pro­cé­der à des sacres épis­co­paux, même sans l’autorisation de Rome si néces­saire. L’enjeu en est la sau­ve­garde de la Tradition et donc le plus grand bien de l’Eglise, ain­si qu’il l’explique quelques jours après dans une lettre adres­sée au car­di­nal Ratzinger, alors Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. En voi­ci les prin­ci­paux extraits

« Eminence,

[…] Notre refus des prin­cipes libé­raux de la décla­ra­tion conci­liaire n’est pas fon­dé sur des opi­nions per­son­nelles ou sen­ti­men­tales, mais sur le Magistère infaillible de l’Eglise […] La doc­trine libé­rale de la liber­té reli­gieuse et la doc­trine tra­di­tion­nelle s’op­posent radi­ca­le­ment. [A l’occasion du Concile Vatican II] il a fal­lu faire un choix entre le pro­jet du sché­ma du car­di­nal Ottaviani et celui du car­di­nal Béa sur le même sujet. A la der­nière réunion de la Commission cen­trale pré­pa­ra­toire, ces deux car­di­naux se sont oppo­sés avec vigueur. Le car­di­nal Béa a alors affir­mé que sa thèse s’op­po­sait abso­lu­ment à celle du car­di­nal Ottaviani. Rien n’a chan­gé depuis. Le Magistère de la Tradition s’op­pose à la thèse libé­rale fon­dée sur une fausse concep­tion de la digni­té humaine, et une défi­ni­tion erro­née de la socié­té civile. Il s’a­git de savoir qui a rai­son du car­di­nal Ottaviani ou du car­di­nal Béa. Les conséq­uences pra­tiques de la thèse libé­rale adop­tée par le Saint-​Siège à la suite du Concile sont désas­treuses et anti­chré­tiennes. C’est le décou­ron­ne­ment de Notre Seigneur Jésus-​Christ avec la réduc­tion au droit com­mun de toutes les reli­gions abou­tis­sant à un œcu­mé­nisme apos­tat comme celui d’Assise.

Afin d’en­rayer l’auto-​démolition de l’Eglise, nous sup­plions le Saint-​Père, par votre inter­mé­diaire, de pro­cu­rer le libre exer­cice de la Tradition en lui pro­cu­rant les moyens de vivre et de se déve­lop­per pour le salut de l’Eglise catho­lique et le Salut des âmes, que soient recon­nues les œuvres de la Tra­dition, en par­ti­cu­lier les sémi­naires, et que S.E. Mgr Castro-​Mayer et moi-​même puis­sions nous don­ner les auxili­ai­res de notre choix pour gar­der à l’Eglise les grâces de la Tradition, seule source de réno­va­tion de l’Eglise.

Eminence, après bien­tôt vingt années de demandes ins­tantes pour que soit en­cou­ragé et béni l’ex­pé­rience de la Tra­di­tion, demandes tou­jours res­tées sans réponse, c’est sans doute l’ul­time appel, et devant Dieu et devant l’his­toire de l’Eglise ; le Saint-​Père et Vous-​même por­te­riez la res­pon­sa­bi­li­té d’une rup­ture défi­ni­tive avec le pas­sé de l’Eglise et avec son Magistère.

Le Magistère d’au­jourd’­hui ne se suf­fit pas à lui-​même, pour être dit catholi­que, s’il n’est la trans­mis­sion du dépôt de la foi, c’est-​à-​dire de la Tradition. Un Magistère nou­veau, sans racine dans le pas­sé, et à plus forte rai­son contraire au Magistère de tou­jours, ne peut être que schis­ma­tique, sinon hérétique.

Une volon­té per­ma­nente d’a­néan­tis­se­ment de la Tradition est une volon­té sui­ci­daire qui auto­rise par le fait même, les vrais et fidèles catho­liques à prendre toutes les ini­tia­tives néces­saires à la sur­vie de l’Eglise et au salut des âmes. »

Cette lettre ne res­ta pas sans réac­tion de la part de Rome. Le 28 juillet, le cal Ratzinger ouvrait une négo­cia­tion afin d’éviter des sacres sans man­dat pon­ti­fi­cal. C’est ain­si qu’eut lieu la visite cano­nique de la Fraternité Saint Pie X par le Cardinal Gagnon. Elle s’acheva le 8 décembre à Ecône, tan­dis que le car­di­nal romain assis­tait au trône à la messe pon­ti­fi­cale célé­brée par Mgr Lefebvre – sup­po­sé inter­dit de célé­brer depuis 1976 ! – pen­dant laquelle les sémi­na­ristes renou­ve­laient leurs enga­ge­ments dans la Fraternité Saint Pie X, pros­crite par Rome…

2° Mgr Lefebvre explique la rupture du protocole d’accord

Les négo­cia­tions romaines abou­tirent à un pre­mier pro­to­cole d’accord, signé le 5 mai 1988. Le but recher­ché par Mgr Lefebvre était la sau­ve­garde de la Tradition de l’Eglise, ce qui se concré­ti­sait : 1° par la créa­tion d’une com­mis­sion romaine dont le but était de pro­té­ger l’essor de la Tradition mal­gré l’opposition des évêques ; 2° par le sacre de plu­sieurs évêques issus de la Tradition afin d’assurer l’administration des sacre­ments de confir­ma­tion et du sacer­doce. Sur ces deux points, le pro­jet d’accord du 5 mai appa­rut très vite insuf­fi­sant à Mgr Lefebvre, ain­si qu’il s’en explique lui-​même par ce texte daté du 19 juin 1988 :

« On com­prend dif­fi­ci­le­ment cet arrêt si on ne replace pas les col­loques dans leur contexte historique.

Bien que nous n’ayons jamais vou­lu rompre les rela­tions avec la Rome Conciliaire, même après que la pre­mière visite de Rome le 11 novembre 1974 ait été sui­vie par des mesures sec­taires et nulles – la fer­me­ture de l’œuvre le 6 mai 1975 et la « sus­pense » en juillet 76 – ces rela­tions ne pou­vaient avoir lieu que dans un cli­mat de méfiance.

Louis Veuillot dit qu’il n y a pas plus sec­taire qu’un libé­ral ; en effet, compro­mis avec l’er­reur et la Révolution, il se sent condam­né par ceux qui demeurent dans la Vérité et c’est ain­si que, s’il pos­sède le pou­voir, il les per­sé­cute avec achar­ne­ment. C’est notre cas et celui de tous ceux qui se sont oppo­sés aux textes libé­raux et aux réformes libé­rales du Concile. Ils veulent abso­lu­ment que nous ayons un com­plexe de culpa­bi­li­té vis-​à-​vis d’eux, alors que ce sont eux qui sont cou­pables de duplicité.

C’est donc dans un cli­mat tou­jours ten­du, quoique poli, que les rela­tions avaient lieu avec les car­di­naux Seper et Ratzinger entre l’an­née 76 et l’an­née 87, mais aus­si avec un cer­tain espoir que, l’auto-​démolition de l’Eglise s’accélé­rant, on finisse par nous regar­der avec bienveillance.

Jusque là, pour Rome, le but des rela­tions était de nous faire accep­ter le Concile et les réformes et de nous faire recon­naître notre erreur. La logique des évé­ne­ments devait m’a­me­ner à deman­der un suc­ces­seur sinon deux ou trois pour assu­rer les ordi­na­tions et confir­ma­tions. Devant le refus per­sis­tant de Rome, j’an­non­çais le 29 juin 1987 ma déci­sion de consa­crer des évêques.

Le 28 juillet, le car­di­nal Ratzinger ouvrait de nou­veaux hori­zons qui pou­vaient légi­ti­me­ment faire pen­ser qu’en­fin Rome nous regar­dait d’un œil plus favo­rable. Il n’é­tait plus ques­tion de docu­ment doctri­nal à signer, plus ques­tion de demande de par­don, mais un visi­teur était enfin annon­cé, la socié­té pour­rait être recon­nue, la Liturgie serait celle d’a­vant le Concile, les sémi­na­ristes demeu­re­raient dans le même esprit !…

Nous avons accep­té alors d’en­trer dans ce nou­veau dia­logue, mais à la condi­tion que notre iden­ti­té soit bien pro­té­gée contre les influences libé­rales par des évêques pris dans la Tradition, et par une majo­ri­té de membres dans la com­mis­sion romaine pour la Tradition. Or après la visite du Cardinal Gagnon, dont nous ne savons tou­jours rien, les décep­tions se sont accumulées.

Les col­loques qui ont sui­vi en avril et mai nous ont bien déçus. On nous remet un texte doc­tri­nal, on y ajoute le nou­veau Droit Canon, Rome se réserve 5 membres sur 7 dans la com­mis­sion ro­maine, dont le Président (le cal Ratzinger) et le Vice-​Président. La ques­tion de l’Evêque est solu­tion­née avec peine : on insis­tait pour nous mon­trer que nous n’en avions pas besoin. Le Cardinal nous fait savoir qu’il fau­drait lais­ser alors célé­brer une Messe nou­velle à S. Nicolas du Chardonnet. Il insiste sur l’u­nique Eglise, celle de Vatican II.

Malgré ces décep­tions, je signe le pro­to­cole le 5 mai. Mais déjà la date de la consé­cra­tion épis­co­pale fait pro­blème. Puis un pro­jet de lettre de demande de par­don au Pape m’est mis dans les mains. Je me vois obli­gé d’é­crire une lettre mena­çant de faire les consé­cra­tions épis­co­pales pour arri­ver à avoir la date du 15août pour la consécra­tion épis­co­pale. Le cli­mat n’est plus du tout à la col­la­bo­ra­tion fra­ter­nelle et à une pure et simple recon­nais­sance de la Fraternité. Pour Rome le but des col­loques est la récon­ci­lia­tion, comme le dit le Cardinal Gagnon, dans un entre­tien accor­dé au jour­nal ita­lien L’Avvenire, c’est-​à-​dire le retour de la bre­bis éga­rée dans la ber­ge­rie. C’est ce que j’ex­prime dans la lettre au Pape du 2 juin : « Le but des col­loques n’est pas le même pour vous que pour nous. »

Et quand nous pen­sons à l’his­toire des rela­tions de Rome avec les Traditionalistes de 1965 à nos jours, nous sommes bien obli­gés de consta­ter que c’est une per­sé­cu­tion sans répit et cruelle pour nous obli­ger à la sou­mis­sion au Concile. Le der­nier exemple en date est celui du Séminaire Mater Ecclesiæ des trans­fuges d’Ecône, qui en moins de 2 ans ont été mis au pas de la Révolution conci­liaire, contrai­re­ment à toutes les promesses !

La Rome actuelle conci­liaire et moder­niste ne pour­ra jamais tolé­rer l’exis­tence d’un vigou­reux rameau de l’Eglise catholi­que qui la condamne par sa vita­li­té. Il fau­dra donc encore attendre quelques années sans doute pour que Rome retrouve sa Tradition bimil­lé­naire. Pour nous, nous conti­nuons à faire la preuve, avec la grâce de Dieu, que cette Tradition est la seule source de sanc­ti­fi­ca­tion et de salut pour les âmes, et la seule pos­si­bi­li­té de renou­veau pour l’Eglise.

3° Lettre de Mgr Lefebvre au Pape, 2 juin 1988

Devant l’impossibilité d’arriver à des accords avec Rome per­met­tant la sau­ve­garde de la Tradition, Mgr Lefebvre se voit dans le devoir, pour le bien de l’Eglise, de pro­cé­der au sacres épis­co­paux même sans l’accord de Rome. Il l’annonce offi­ciel­le­ment à Jean-​Paul II par un cour­rier daté du 2 juin 1988 :

« Très Saint Père,

[…] C’est pour gar­der intacte la foi de notre bap­tême que nous avons dû nous oppo­ser à l’es­prit de Vatican II et aux réformes qu’il a ins­pi­rées. Le faux œcu­mé­nisme, qui est à l’o­ri­gine de toutes les inno­va­tions du Concile, dans la litur­gie, dans les rela­tions nou­velles de l’Eglise et du monde, dans la concep­tion de l’Eglise elle-​même, conduit l’Eglise à sa ruine et les catho­liques à l’apostasie.

Radicalement oppo­sés à cette des­truc­tion de notre foi, et réso­lus à demeu­rer dans la doc­trine et la dis­ci­pline tra­di­tion­nelles de l’Eglise, spé­cia­le­ment en ce qui con-​cerne la for­ma­tion sacer­do­tale et la vie reli­gieuse, nous éprou­vons la néces­si­té abso­lue d’a­voir des auto­ri­tés ecclésiasti­ques qui épou­sent nos pré­oc­cu­pa­tions et nous aident à nous pré­mu­nir contre l’es­prit de Vatican Il et l’es­prit d’Assise. C’est pour­quoi nous deman­dons plu­sieurs évêques, choi­sis dans la Tradition et la majo­ri­té des membres dans la com­mis­sion romaine, afin de nous pro­té­ger de toute compromission.

Etant don­né le refus de consi­dé­rer nos requêtes, et étant évident que le but de cette récon­ci­lia­tion n’est pas du tout le même pour le Saint-​Siège que pour nous, nous croyons pré­fé­rable d’at­tendre des temps plus pro­pices au retour de Rome à la Tradition. C’est pour­quoi nous nous don­ne­rons nous-​même les moyens de pour­suivre l’Oeuvre que la Providence nous a confiée, assu­ré par la lettre de Son Eminence le Cardinal Ratzinger datée du 30 mai, que lacon­sé­cra­tion épis­co­pale n’est pas contraire à la volon­té du Saint-​Siège, puis­qu’elle est accor­dée pour le 15 août.

Nous conti­nue­rons de prier pour que la Rome moderne, infes­tée de moder­nisme, rede­vienne la Rome catho­lique et retrouve sa Tradition bimil­lé­naire. Alors le pro­blème de la récon­ci­lia­tion n’au­ra plus de rai­son d’être et l’Eglise retrou­ve­ra une nou­velle jeunesse. »

Les Raisons théologiques

Seuls de très graves rai­sons pou­vaient légi­ti­mer un sacre épis­co­pal sans man­dat apos­to­lique. Il fal­lait que le bien de l’Eglise soit direc­te­ment en jeu. Mgr Lefebvre consta­ta non seule­ment une aggra­va­tion de la situa­tion, mais sur­tout une per­ti­na­ci­té des auto­ri­tés dans la voie de l’erreur à tra­vers deux évé­ne­ments. Ce fut d’abord le revers de main avec lequel Rome reje­ta les ques­tions offi­cielles que Mgr Lefebvre avait posées à Rome sur la liber­té reli­gieuse (publié depuis : Mes doutes sur la liber­té reli­gieuse, édi­tions Clovis). Puis ce fut le scan­dale de la réunion inter­re­li­gieuse orga­ni­sée à Assise. Devant cet « aban­don de poste » par les auto­ri­tés, Mgr Lefebvre se devait de réagir afin de péren­ni­ser le bien de l’Eglise. Ce fut les sacres, à l’occasion des­quels il vou­lut rap­pe­ler la gra­vi­té de la situa­tion par une décla­ra­tion publique, reprise presque mot pour mot d’un texte écrit cinq ans plus tôt :

On lit au cha­pitre 20 de l’Exode que Dieu, après avoir défen­du à son peuple d’adorer des dieux étran­gers, ajou­ta ces paroles : « C’est moi qui suis le Seigneur ton Dieu, le Dieu fort et jaloux, visi­tant l’iniquité des pères dans les fils jusqu’à la troi­sième et la qua­trième géné­ra­tion de ceux qui me haïssent », et au cha­pitre 34 on lit : « N’adore point de Dieu étran­ger ; un Dieu jaloux, c’est le nom du Seigneur. » Il est juste et salu­taire que Dieu soit jaloux de ce qui Lui appar­tient en propre, jaloux de son être infi­ni, éter­nel, tout puis­sant, jaloux de sa gloire, de sa Vérité, de sa Charité, jaloux d’être le seul Créateur et Rédempteur, et donc la fin de toutes choses, la seule voie du salut et du bon­heur de tous les anges et de tous les hommes, jaloux d’être l’al­pha et l’oméga.

L’Eglise catho­lique fon­dée par Lui et à laquelle Il a remis tous ses tré­sors de salut, est elle aus­si jalouse des pri­vi­lèges de son seul Maître et Seigneur et enseigne à tous les hommes qu’ils doivent se tour­ner vers Elle et être bap­ti­sés par Elle, s’ils veulent être sau­vés et par­ti­ci­per à la gloire de Dieu dans l’Eternité bien­heu­reuse. L’Eglise est donc essen­tiel­le­ment mis­sion­naire. Elle est essen­tiel­le­ment une, sainte, catho­lique, apos­to­lique et romaine. Elle ne peut admettre qu’il y ait une autre reli­gion vraie en dehors d’elle, elle ne peut admettre qu’on puisse trou­ver une voie de salut en dehors d’elle puis­qu’elle s’i­den­ti­fie avec son Seigneur et Dieu qui a dit : « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie. » Elle a donc hor­reur de toute com­mu­nion ou union avec les fausses reli­gions, avec les héré­sies et les erreurs qui éloignent les âmes de son Dieu, qui est l’u­nique et seul Dieu. Elle ne connaît que l’u­ni­té dans son sein, comme son Dieu. Pour cela elle donne le sang de ses mar­tyrs, la vie de ses mis­sion­naires, de ses prêtres, le sacri­fice de ses reli­gieux et reli­gieuses, elle offre le sacri­fice quo­ti­dien de propitiation.

Or avec Vatican Il souffle un esprit adul­tère dans l’Eglise, esprit qui admet par la Déclaration de la Liberté reli­gieuse le prin­cipe de la liber­té de la conscience reli­gieuse pour les actes internes et externes, avec exemp­tion de toute auto­ri­té. C’est le prin­cipe de la Déclaration des droits de l’homme, contre les droits de Dieu. Les auto­ri­tés de l’Eglise, de l’Etat, de la famille par­ti­cipent à l’autorité de Dieu et ont donc le devoir de contri­buer à la dif­fu­sion de la Vérité et à l’application du Décalogue, et de pro­té­ger leurs sujets contre l’erreur et l’immoralité.

Cette Déclaration a pro­vo­qué la laï­ci­sa­tion des Etats catho­liques, ce qui est une insulte à Dieu et à l’Eglise, rédui­sant l’Eglise au droit com­mun avec les fausses reli­gions. C’est bien l’es­prit adul­tère tant de fois repro­ché au peuple d’Israël [1]. Cet esprit adul­tère se mani­feste aus­si dans cet œcu­mé­nisme ins­ti­tué par le Secrétariat pour l’u­ni­té des chré­tiens. Cet œcu­mé­nisme aber­rant nous a valu toutes les réformes litur­giques, bibliques, cano­niques, avec la col­lé­gia­li­té des­truc­tive des auto­ri­tés per­son­nelles du Souverain Pontificat, de l’Episcopat, et du Curé.

Cet esprit n’est pas catho­lique. Il est le fruit du moder­nisme condam­né par saint Pie X. Il ravage toutes les insti­tutions de l’Eglise et spé­cia­le­ment les sémi­naires et le cler­gé, de telle sorte qu’on peut se deman­der qui est encore inté­gra­le­ment catho­lique par­mi les clercs sou­mis à l’es­prit adul­tère du Concile !

Rien n’est donc aus­si urgent dans l’Eglise que de for­mer un cler­gé qui répu­die cet esprit adul­tère et moder­niste et sauve la gloire de l’Eglise et de son divin Fondateur en gar­dant lafoi inté­grale et les moyens éta­blis par Notre Seigneur et par la Tradition de l’Eglise pour gar­der cette foi et trans­m­ettre la vie de la grâce et les fruits de la Rédemption.

Depuis bien­tôt vingt ans nous nous effor­çons avec patience et fer­me­té de faire com­prendre aux auto­ri­té romaines cette néces­si­té du retour à la saine doc­trine et à la Tradition pour le renou­veau de l’Eglise, le salut des âmes et la gloire de Dieu. Mais on demeure sourd à nos sup­pli­ca­tions, bien plus on nous demande de recon­naître le bien-​fondé de tout le Concile et des réformes qui ruinent l’Eglise. On ne veut pas tenir compte de l’ex­pé­rience que nous fai­sons, avec la grâce de Dieu, le main­tien de la Tradition qui pro­duit de vrais fruits de sain­te­té et attire de nom­breuses vocations.

Pour sau­ve­gar­der le sacer­doce catholi­que, qui conti­nue l’Eglise catho­lique et non une Eglise adul­tère, il faut des évêques catho­liques. Nous nous voyons donc contraints, à cause de l’in­va­sion de l’es­prit moder­niste dans le cler­gé actuel, et jus­qu’aux plus hauts som­mets à l’in­té­rieur de l’Eglise, d’en arri­ver à consa­crer des évêques, le fait de cette consé­cra­tion étant admis par le Pape dans la lettre du 30 mai du Cardinal Ratzinger. Ces consé­cra­tions épis­co­pales seront non seule­ment valides, mais encore, vu les cir­cons­tances his­to­riques, licites : il est par­fois néces­saire d’a­ban­don­ner la léga­li­té pour demeu­rer dans le droit.

Le Pape ne peut que dési­rer la conti­nua­tion du sacer­doce catho­lique. Ce n’est donc nul­le­ment dans un esprit de rup­ture ou de schisme que nous accom­plis­sons ces consé­cra­tions épis­co­pales, mais pour venir au secours de l’Eglise, qui se trouve sans doute dans la situa­tion la plus dou­lou­reuse de son his­toire. Si nous nous étions trou­vés au temps de saint François d’Assise le Pape se fut trou­vé d’ac­cord nous. La Franc-​Maçonnerie n’oc­cu­pait pas le Vatican en ses heu­reux temps. Nous affir­mons donc notre atta­che­ment et notre sou­mis­sion au saint Siège et au Pape. En accom­plis­sant cet acte nous avons conscience de conti­nuer notre ser­vice de l’Eglise et de la Papauté comme nous nous sommes effor­cé de le faire depuis le pre­mier jour de notre sacer­doce. Le jour où le Vatican sera déli­vré de cette occu­pa­tion moder­niste et retrou­ve­ra le che­min sui­vi par l’Eglise jus­qu’à Vatican II nos évêques seront entiè­re­ment dans les mains du Souverain Pontife, y com­pris l’é­ven­tua­li­té de ne plus exer­cer leurs fonc­tions épiscopales.

La dimension morale

L’obéissance peut-​elle obliger à désobéir ?

« Vous déso­béis­sez au Pape ! » L’argument, maintes fois répé­tées, n’a jamais eu tant d’actualité qu’à l’occasion des sacres. En effet, Mgr Lefebvre pro­cé­da à ses sacres mal­gré l’interdiction romaine, solen­nel­le­ment expri­mée à tra­vers un « moni­tum » quinze jours avant la céré­mo­nie. Cette déso­béis­sance rendait-​elle immo­ral l’acte de Mgr Lefebvre ? Non. En un texte daté du 23 mars 1988, il avait rap­pe­lé l’enseignement clas­sique des mora­listes selon lequel la vraie obéis­sance peut par­fois obli­ger de désobéir.

L’obéissance sup­pose une auto­ri­té qui donne un ordre ou édicte une loi. Les auto­ri­tés humaines, même ins­ti­tuées par Dieu, n’ont d’autorité que pour atteindre le but assi­gné par Dieu et non pas pour s’en détour­ner. Lorsqu’une auto­ri­té use de son pou­voir à l’encontre de la loi pour laquelle ce pou­voir lui est don­né, elle n’a pas droit à l’obéissance et on doit lui désobéir.

On accepte cette néces­si­té de la déso­béis­sance vis-​à-​vis du père de fa­mille qui encou­rage sa fille à se pros­ti­tuer, vis-​à-​vis de l’autorité civile qui oblige les méde­cins à pro­vo­quer des avor­te­ments et à tuer des inno­cents, mais on accepte à tout prix l’autorité du Pape qui serait infaillible dans son gou­ver­ne­ment et dans toutes ses paroles. C’est bien mécon­naître l’histoire et igno­rer ce qu’est l’infaillibilité.

Déjà Saint Paul a dit à Saint Pierre qu’il ne « mar­chait pas selon la véri­té de l’Evangile » (Ga 2, 14). Saint Paul encou­rage les fidèles à ne pas lui obéir s’il lui arri­vait de prê­cher un autre évan­gile que celui qu’il a ensei­gné pré­cé­dem­ment (Ga 1, 8).

Saint Thomas, quand il parle de la cor­rec­tion fra­ter­nelle, fait allu­sion à la résis­tance de Saint Paul vis-​à-​vis de Saint Pierre et com­mente ain­si : « Résister en face et en public dépasse la mesure de la cor­rec­tion fra­ter­nelle. Saint Paul ne l’aurait pas fait envers Saint Pierre s’il n’avait pas été son égal en quelque manière… Il faut cepen­dant savoir que s’il s’agissait d’un dan­ger pour la foi, les Supérieurs devraient être repris par leurs infé­rieurs, même publi­que­ment. » Cela res­sort de la manière et de la rai­son d’agir de Saint Paul à l’égard de Saint Pierre, dont il était le sujet, de telle sorte, dit la glose de Saint Augustin, « que le Chef même de l’Eglise a mon­tré aux Supérieurs que s’il leur arri­vait par hasard de quit­ter le droit che­min, ils accep­tassent d’être cor­ri­gés par leurs infé­rieurs. » (Cf. S. Thomas, IIa, IIæ q. 33, art. 4, ad 2.)

Le cas qu’évoque Saint Thomas d’Aquin n’est pas chi­mé­rique puisqu’il a eu lieu vis-​à-​vis de Jean XXII, de son vivant. Celui-​ci crut pou­voir affir­mer comme une opi­nion per­son­nelle que les âmes des élus ne jouis­saient pas de la vision béa­ti­fique qu’après le juge­ment der­nier. Il écrit cette opi­nion en 1331 et en 1332 il prê­cha une opi­nion sem­blable au sujet de la peine des dam­nés. Il enten­dait pro­po­ser cette opi­nion par un décret solen­nel. Mais la réac­tion très vive de la part des Dominicains, sur­tout ceux de Paris, et des Franciscains le firent renon­cer à cette opi­nion en faveur de l’opinion tra­di­tion­nelle défi­nie par son suc­ces­seur Benoît XII en 1336.

Voici encore ce que dit le pape Léon XIII dans son Encyclique Libertas praes­tan­tis­si­mum du 20 juin 1888 : « Supposons donc une pres­crip­tion d’un pou­voir quel­conque qui serait en désac­cord avec les prin­cipes de la droite rai­son et avec les inté­rêts du bien public (à plus forte rai­son avec les prin­cipes de la foi), elle n’aurait aucune force de loi… » et un peu plus loin : « Dès que le droit de com­man­der fait défaut ou que le com­man­de­ment est contraire à la rai­son, à la loi éter­nelle, alors il est légi­time de déso­béir, nous vou­lons dire aux hommes, afin d’obéir à Dieu. »

Or notre déso­béis­sance est moti­vée par la néces­si­té de gar­der la foi catho­lique. Les ordres qui nous sont don­nés expriment clai­re­ment qu’ils nous le sont pour nous obli­ger à nous sou­mettre sans réserve au Concile Vatican II, aux réformes post-​conciliaires et aux pres­crip­tions du Saint-​Siège, c’est-à-dire à des orien­ta­tions et des actes qui minent notre foi et détruisent l’Eglise, ce à quoi il est impos­sible de nous résoudre. Collaborer à la des­truc­tion de l’Eglise, c’est tra­hir l’Eglise et Notre Seigneur Jésus-Christ.

Or tous les théo­lo­giens dignes de ce nom enseignent que si le Pape par ses actes détruit l’Eglise, nous ne pou­vons pas lui obéir (Vitoria : Obras pp. 186–187 – Suarez : de fide, disp. X, sec. VI, n° 16 – St Robert Bellarmin : De Rom. Pont., livre 2, c. 29 – Cornelius a Lapide : ad Gal. 2, 11, etc.) et il doit être repris res­pec­tueu­se­ment mais publiquement.

Les prin­cipes de l’obéissance à l’autorité du Pape sont ceux qui com­mandent les rela­tions entre une auto­ri­té délé­guée et ses sujets. Ils ne s’appliquent pas à l’autorité divine qui est tou­jours infaillible et indé­fec­tible et donc ne sup­pose aucune défaillance.

Dans la mesure où Dieu a com­mu­ni­qué son infailli­bi­li­té au Pape et dans la mesure où le Pape entend user de cette infailli­bi­li­té, qui com­porte des condi­tions bien pré­cises pour son exer­cice, il ne peut y avoir de défaillance. En dehors de ces cas pré­cis, l’autorité du Pape est faillible et ain­si les cri­tères qui obligent à l’obéissan-ce s’appliquent à ses actes. Il n’est donc pas incon­ce­vable qu’il y ait un devoir de déso­béis­sance vis-​à-​vis du Pape.

L’autorité qui lui a été confé­rée l’a été pour des fins pré­cises et en défi­ni­tive pour la gloire de la Trinité, de Notre Seigneur Jésus-​Christ et le salut des âmes. Tout ce qui serait accom­pli par le Pape en oppo­si­tion avec cette fin n’aurait aucune valeur légale et aucun droit à l’obéissance, bien plus obli­ge­rait à la déso­béis­sance pour demeu­rer dans l’obéissance à Dieu et à la fidé­li­té à l’Eglise.

C’est le cas de tout ce que les der­niers Papes ont com­man­dé au nom de la liber­té reli­gieuse et de l’œcumé-nisme depuis le Concile : toutes les réformes faites en ce nom sont dénuées de tout droit et de toute obli­ga­tion. Les Papes ont alors uti­li­sé leur auto­ri­té contrai­re­ment à la fin pour laquelle cette auto­ri­té leur a été don­née. Ils ont droit à notre désobéissance.

La Fraternité et son his­toire mani­feste publi­que­ment cette néces­si­té de la déso­béis­sance pour demeu­rer fidèles à Dieu et à l’Eglise. Les années 1974 à 1976 laissent le sou­ve­nir de cette joute incroyable entre Ecône et le Vatican, entre le Pape et moi-​même. Le résul­tat fut la condam­na­tion, la sus­pens a divi­nis nulle de plein droit, le Pape abu­sant tyran­ni­que­ment de son auto­ri­té pour défendre ses lois contraires au bien de l’Eglise et au bien des âmes.

Ces évè­ne­ments sont une appli­ca­tion his­to­rique des prin­cipes concer­nant le devoir de désobéissance […]

L’aspect canonique

En 1953, suite au schisme de l’Eglise patrio­tique de Chine, l’Eglise sanc­tion­na d’excommunication tout évêque qui sacre­rait sans man­dat apos­to­lique. Une telle sanc­tion allait-​elle s’appliquer à Mgr Lefebvre et au quatre évêques sacrés par lui ? Ce serait oublier ce que pré­voit ce même droit, dans ce qu’il appelle le cas de néces­si­té. Explications du Professeur May, pré­sident du sémi­naire de Droit Canon de l’Université de Mayence :

Etat de nécessité

Le Code de 1917 par­lait de la néces­si­té au can. 2205 § 2 et 3, celui de 1983 en traite aux cc. 1323, 4° et 1324, § 1, 5°. La loi ne dit pas ce qu’elle com­prend sous ce terme, elle laisse à la juris­pru­dence et aux doc­teurs le soin d’en pré­ci­ser la signi­fi­ca­tion. Mais il res­sort du contexte que la néces­si­té est un état dans lequel des biens néces­saires à la vie sont mis en dan­ger de telle manière que pour s’en sor­tir la vio­la­tion de cer­taines lois est inévitable.

Droit de nécessité

Le Code recon­naît la néces­si­té comme une cir­cons­tance qui exempte de toute peine en cas de vio­la­tion de la loi (N.C. 1323, 4°), pour­vu que l’ac­tion ne soit pas intrin­sè­que­ment mau­vaise ou ne porte pré­ju­dice aux âmes : dans ce der­nier cas la néces­si­té ne ferait qu’at­té­nuer la peine. Mais aucune peine latae sen­ten­tiae ne peut atteindre celui qui a agi dans cette cir­cons­tance (N.C. 1324, 3°).

Etat de nécessité dans l’Eglise

Dans l’Eglise comme dans la socié­té civile est conce­vable un état de néces­si­té ou d’ur­gence qui ne peut être sur­mon­té par l’ob­ser­va­tion du droit posi­tif. Une telle situa­tion existe dans l’Eglise lorsque la per­sis­tance, l’ordre ou l’ac­ti­vi­té de l’Eglise sont mena­cés ou lésés de manière consi­dé­rable. Cette menace peut por­ter prin­ci­pa­le­ment sur l’en­sei­gne­ment, la litur­gie et la dis­ci­pline ecclésiastique.

Droit de nécessité dans l’Eglise

Etat de néces­si­té jus­ti­fie droit de néces­si­té. Le droit de néces­si­té dans l’Eglise est la somme des règles juri­diques qui valent en cas de menace contre la per­pé­tui­té ou l’ac­ti­vi­té de l’Eglise.

Ce droit de néces­si­té peut être reven­di­qué seule­ment quand on a épui­sé toutes les pos­si­bi­li­tés de réta­blir une situa­tion nor­male en s’ap­puyant sur le droit posi­tif. Le droit de néces­si­té com­porte aus­si l’au­to­ri­sa­tion posi­tive de prendre les mesures, lan­cer les ini­tia­tives, créer les orga­nismes qui sont néces­saires pour que l’Eglise puisse conti­nuer sa mis­sion de prê­cher la véri­té divine et dis­pen­ser la grâce de Dieu.

Le droit de néces­si­té jus­ti­fie uni­que­ment les mesures qui sont néces­saires pour la res­tau­ra­tion des fonc­tions de l’Eglise. Le prin­cipe de la pro­por­tion­na­li­té est à observer.

L’Eglise, et d’a­bord ses organes, a le droit, mais aus­si le devoir, de prendre toutes les mesures néces­saires pour l’é­loi­gne­ment des dan­gers. Dans une situa­tion de néces­si­té les Pasteurs de l’Eglise peuvent prendre des mesures extra­or­di­naires pour pro­té­ger ou réta­blir l’ac­ti­vi­té de l’Eglise. Si un organe n’exé­cute pas ses fonc­tions néces­saires ou indispen-​sables, les autres organes ont le droit et le devoir d’u­ti­li­ser le pou­voir qu’ils ont dans l’Eglise, afin que la vie de l’Eglise soit garan­tie et que sa fin soit atteinte. Si les auto­ri­tés ecclé­sias­tiques s’y refusent, la res­pon­sa­bi­li­té des autres membres de l’Eglise croît, mais aus­si leur com­pé­tence juridique.

Abbé Patrick de la Rocque

L’éditorial de juin 2008 qui pré­cède ce dossier

Notes de bas de page
  1. Cf. Paul VI, OR du 24/​08/​1969 : « Est désor­mais bien connue de tous la posi­tion nou­velle adop­tée par l’Eglise par rap­port aux réa­li­tés ter­restres.… Et voi­ci le nou­veau prin­cipe très impor­tant dans la pra­tique.… l’Eglise accepte de recon­naître le monde comme « auto­suf­fi­sant. » elle n’en cherche pas à en faire un ins­tru­ment pour ses fins reli­gieuses. » Cette décla­ra­tion est contraire à la foi catho­lique, contre laquelle j’ai pro­tes­té par lettre à l’ex-​Saint Office. La réponse a été, de la part de la Secrétairerie d’Etat (car­di­nal Villot) d’a­voir à quit­ter Rome immé­dia­te­ment ; ce à quoi j’ai répon­du qu’on envoie un pelo­ton de gardes suisses pour m’y contraindre. Ce fut le silence. Voilà ce qu’est deve­nu le Vatican et ce qu’il est encore par rap­port aux défen­seurs de la foi catho­lique. Tous les Papes dans leurs encycli­ques ont affir­mé le contraire. Non seule­ment la foi mais la saine phi­lo­so­phie pro­teste contre cette décla­ra­tion qui a laï­ci­sé les Etats catho­liques.[]

FSSPX

M. l’ab­bé Patrick de la Rocque est actuel­le­ment prieur de Nice. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions théo­lo­giques avec Rome entre 2009 et 2011.