Les sacres du 30 juin 1988 – Les faits qui parlent

Dans ses rela­tions avec ROME, Mgr Lefebvre n’hé­si­tait pas à employer une méthode toute pragmatique, :

Comme tou­jours, je pense que les faits sont plus convain­cants que les paroles. Il y en a qui me disent : vous pour­riez bien faire une grande lettre au Pape… Mais cela fait vingt ans que nous fai­sons des lettres qui ne servent à rien ! Encore une fois, ce sont les faits qui parlent.

Fideliter 70 p. 15

Ainsi s’ex­pri­mait Mgr Lefebvre un an après les sacres. En ce 20ème anni­ver­saire de ce même évé­ne­ment, ne peut-​on conve­nir qu’au­jourd’­hui encore, les faits donnent rai­son à Mgr Lefebvre et qu’il a été bien ins­pi­ré de se réfé­rer à ce genre de preuves comme jus­ti­fi­ca­tion du moyen excep­tion­nel employé pour sa suc­ces­sion épiscopale ?

L’approbation générale des fidèles

Les condi­tions tra­giques dans les­quelles Mgr Lefebvre a dû pro­cé­der à la consé­cra­tion de 4 jeunes évêques lui fai­sait craindre « une vague de défec­tions » dans les paroisses tenues par les prêtres de la FSSPX. Sans doute ce regret­table effet d’a­ban­don a bien eu lieu, mais dans « des pro­por­tions minimes », contrai­re­ment aux 80% de perte qu’an­non­çait le car­di­nal Gagnon.

Selon l’a­dage « Vox popu­li, Vox Dei », Mgr Lefebvre voyait un signe pro­vi­den­tiel dans cette qua­si una­ni­mi­té des fidèles à sou­te­nir son ini­tia­tive si controversée :

Il est admi­rable de consta­ter com­bien fina­le­ment les fidèles ont réagi avec un sens extra­or­di­naire du devoir. Ils ont mani­fes­té ain­si qu’ils S avaient véri­ta­ble­ment le sens de l’Eglise. Sans doute, y‑a-​t-​il eu par­fois quelques trem­ble­ments, quelques hési­ta­tions, mais fina­le­ment, ils ont par­fai­te­ment com­pris qu’il n’y avait pas d’autre solu­tion que celle que j’a­vais adop­tée. Car s’il n’y avait plus d’é­vêques, il n’y aurait plus de prêtres, plus rien. Il n’y aurait plus de Tradition.

Fideliter 68 p. 2

Par ailleurs, dès après les sacres, une belle sur­prise atten­dait Mgr Lefebvre puisque les quelques défec­tions furent com­pen­sées par de nou­veaux venus :

Par contre, beau­coup nous ont rejoints, parce qu’ils ont pen­sé avec juste rai­son que la conti­nui­té est main­te­nant assu­rée dans la Fraternité et dans la Tradition. Il y a main­te­nant des évêques fermes qui gardent la foi

Fideliter 66 p. 31

Paradoxalement, c’est par­fois au sein de la FSSPX et plus pré­ci­sé­ment encore par­mi cer­tains membres prêtres que Mgr Lefebvre a été le moins bien com­pris. Mais comme Dom Guillou le rap­pe­lait dans sa lettre célèbre à Dom Gérard, les fidèles sont par­fois plus éclai­rés que leurs pasteurs :

les fidèles qui l’ont spon­ta­né­ment choi­si (Mgr Lefebvre) parce qu’ils avaient besoin d’un tel évêque, sentent bien que c’est son sort qui les concerne

Fid. 67 p. 8

La réussite manifeste des œuvres

En invo­quant « les faits qui parlent » Mgr Lefebvre pen­sait sur­tout aux exten­sions que tout le monde peut véri­fier, non seule­ment dans la FSSPX mais aus­si dans toutes les com­mu­nau­tés amies :

quand on ouvre un sémi­naire, que l’on crée des prieu­rés, que les Sœurs essaiment et que les cou­vents se mul­ti­plient, cela consti­tue le seul moyen d’o­bli­ger Rome au dia­logue. Il ne s’a­git pas de ma pré­sence, mais bien des œuvres. Ils se rendent bien compte que ce n’est pas rien. Les évêques s’é­nervent un peu que l’on s’ins­talle ici ou là. Alors ils se plaignent à Rome et Rome sait.

Fideliter 70, p. 15

Voilà ce qui a enga­gé Mgr Lefebvre à pro­vo­quer une visite cano­nique des repré­sen­tants du Pape pour les obli­ger à juger l’arbre à ses fruits :

J’ai beau­coup insis­té auprès de lui (le car­di­nal Ratzinger) pour que l’on nous visite. J’espérais que cette visite aurait pour résul­tat de mon­trer le bien­fait du main­tien de la Tradition en même temps que d’en consta­ter les effets. Je pen­sais que cela aurait pu ren­for­cer nos posi­tions à Rome…

Fideliter 70 p. 2

Car jus­qu’au bout Mgr Lefebvre comp­tait pou­voir consa­crer des évêques avec l’ac­cord de Rome. Et cet argu­ment des faits sem­blait avoir réus­si à convaincre le car­di­nal Gagnon qui, à l’is­sue de sa visite, ne cachait pas sa satisfaction :

Nous avons été frap­pés, par­tout, nous gar­dons une grande admi­ra­tion pour la pié­té des per­sonnes, pour l’ac­tua­li­té et l’im­por­tance des œuvres … cer­tai­ne­ment nous avons en main tout ce qu’il faut pour faire un rap­port très positif.

Fideliter 62 page 29

Mgr Lefebvre n’a mal­heu­reu­se­ment jamais reçu le rap­port annon­cé et le car­di­nal Gagnon dès son retour à Rome s’est rétrac­té de manière incom­pré­hen­sible en pré­ten­dant qu’on s’é­tait mépris sur ses décla­ra­tions et qu’on avait nour­ri de faux espoirs.

Avec sa luci­di­té habi­tuelle, Mgr Lefebvre aver­tis­sait que Rome n’é­tait pas prête encore à recon­naître objec­ti­ve­ment que les tra­di­tio­na­listes accom­plissent véri­ta­ble­ment une œuvre d’Eglise :

Je pense qu’il faut attendre – attendre mal­heu­reu­se­ment que la situa­tion s’ag­grave encore de leur côté. Mais jus­qu’à pré­sent, ils ne veulent pas en convenir.

Fideliter 70 page 15

La rébellion ouverte des évêques

La publi­ca­tion du Motu Proprio de juillet 2007 a eu aus­si pour effet de mettre au grand jour « une crise d’o­béis­sance envers le saint Père que l’on note … dans les rangs les plus éle­vés de l’Eglise … de la part d’é­vêques et même de car­di­naux ». Un tel constat émane d’un des membres les plus repré­sen­ta­tifs du Vatican, Mgr RANJITH, puis­qu’il est l’ac­tuel secré­taire de la Congrégation pour le culte divin et la dis­ci­pline des sacrements.

En effet, à la fin de l’an­née 2007, dans plu­sieurs décla­ra­tions publiques, jamais démen­ties depuis, Mgr RANJITH déplore que

dans cer­tains pays et dans cer­tains dio­cèses, des évêques ont pro­mul­gué des règles qui annulent pra­ti­que­ment ou déforment l’in­ten­tion du Pape (dans l’ap­pli­ca­tion du Motu Proprio)

DICI 166 page 9

Mgr RANJITH n’hé­site pas à dénon­cer la cause pro­fonde d’une telle attitude :

ces actions cachent en fait d’une part des pré­ju­gés d’ordre idéo­lo­gique et d’autre part de l’or­gueil, l’un des péchés les plus graves

DICI 166 page 10

Enfin Mgr RANJITH engage les cou­pables à faire repentance :

Franchement, je ne com­prends pas ces désac­cords et pour­quoi ne pas le dire, cette rébel­lion contre le Pape. J’invite tous et par­ti­cu­liè­re­ment les pas­teurs à obéir au Pape qui est le suc­ces­seur de Pierre. Les évêques en par­ti­cu­lier ont juré fidé­li­té au sou­ve­rain pon­tife : qu’ils soient cohé­rents et fidèles à leur engagement.

DICI 166 p. 10

Déjà en 1989, Mgr Lefebvre prévoyait :

Rome est en train de se mettre à dos les évêques diocésains.

Fideliter 68 p. 6

En effet, le Motu Proprio de l’é­poque « Ecclesia Dei afflic­ta » mécon­ten­tait les évêques qui mani­fes­taient sans ver­gogne leur désac­cord avec Rome pour cette nou­velle auto­ri­sa­tion du Pape à dire l’an­cienne messe. Leur argu­ment reste iden­tique : les évêques ne veulent pas de ces tra­di­tio­na­listes soi­di­sant ral­liés en crai­gnant que les fidèles se divisent dans les paroisses.

Mgr Lefebvre expli­quait que de telles réac­tions étaient inévi­tables parce que Rome place les uns et les autres « en pleine contra­dic­tion » et « dans une posi­tion inte­nable » et il concluait caté­go­ri­que­ment « vou­loir main­te­nir et faire l’ex­pé­rience de la Tradition sous des évêques moder­nistes et libé­raux, c’est une uto­pie et un men­songe » (Fidéliter 68 p.25)

Et depuis le récent Motu Proprio on en a une nou­velle démons­tra­tion dans les rap­ports conflic­tuels des évêques avec les com­mu­nau­tés Ecclessia Dei. Avec ce der­nier fait, com­plé­ment des deux pre­miers, concluons qu’on a bien, sinon l’é­vi­dence, au moins une convic­tion suf­fi­sante pour voir dans les sacres de 1988 une œuvre salu­taire bénie de Dieu digne de notre fier­té et de notre action de grâce.

Abbé Pierre-​Marie Laurençon

Acampado n° 29 de juillet-​août 2008