Un coup de foudre dans le ciel sans nuages de Vatican II ? – « Pro vobis et pro multis » – cardinal Arinze

« Pro vobis et pro multis » 

Une « recommandation » qui est un véritable séisme en profondeur…

La lettre du car­di­nal Arinze, pré­fet pour la Congrégation du Culte divin et de la Discipline des Sacrements, datée du 17 octobre 2006, et adres­sée à tous les Présidents des Conférences Episcopales, a été assez peu remar­quée en France, dans le ton­nerre média­tique des rumeurs concer­nant la libé­ra­li­sa­tion de la messe de toujours.

Il s’a­git pour­tant d’une petite bombe théo­lo­gique et litur­gique jetée dans le péri­mètre de l” »Eglise Conciliaire ».

Ce docu­ment demande la sup­pres­sion des tra­duc­tions ver­na­cu­laires erro­nées de la for­mule latine : « pro vobis et pro mul­tis » lors de la Consécration du Précieux Sang.

L’expression latine avait été ren­due dans la très grande majo­ri­té des langues par l’é­qui­valent du fran­çais : « pour tous ». Ce gra­vis­sime faux-​sens, dans l’op­tique de la « Nouvelle Théologie », n’é­tait évi­dem­ment pas inof­fen­sif. Il lais­sait accroire la théo­rie de la rédemp­tion uni­ver­selle, la vision escha­to­lo­gique d’un Enfer enfin disparu.

Le car­di­nal Arinze a pré­ci­sé que sa demande ne remet­tait cepen­dant pas en cause la vali­di­té de la nou­velle messe. Il faut mesu­rer la por­tée de cette pro­tes­ta­tion éton­nante. Que le Préfet de la Congrégation du Culte divin et de la Discipline des Sacrements se soit vu accu­lé à devoir ain­si pro­tes­ter, au plus haut niveau, de la vali­di­té du Novus Ordo consti­tue un aveu spec­ta­cu­laire.

En vou­lant ras­su­rer, il légi­time le droit aux inquié­tudes les plus pro­fondes sur ces messes où le texte-​même de la Consécration a été tron­qué. Il recon­naît impli­ci­te­ment que les cri­tiques théo­lo­giques les plus sévères de cette litur­gie se trou­vaient fon­dées.

Un pre­mier pas a été fran­chi d’une remise en cause offi­cielle de cette messe pro­tes­tan­ti­sée, au moins comme elle a été à peu près par­tout célé­brée. Comme tout pre­mier pas, il n’a pas seule­ment la valeur de sa mesure propre mais aus­si celle de l’o­rien­ta­tion qu’il engage. En l” occur­rence, une jolie brèche dans l’ap­pa­reil moderniste !

Qui seront donc les der­niers défen­seurs de l” ortho­doxie de la Nouvelle Messe ?

La lettre du cardinal Francis Arinze

CONGREGATIO DE CULTU DIVINO ET DISCIPLINA SACRAMENTORUM
Prot. N. 467/​05/​L

Rome, 17 octobre 2006

Votre Eminence, Votre Excellence,

En juillet 2005, la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements, en accord avec la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a écrit à tous les pré­si­dents des Conférences épis­co­pales pour deman­der leur opi­nion auto­ri­sée sur la tra­duc­tion dans les dif­fé­rentes langues ver­na­cu­laires de l’expression pro mul­tis dans la for­mule de la consé­cra­tion du Précieux Sang pen­dant la célé­bra­tion de la Sainte Messe (réf. Prot. n. 467/​05/​L du 9 juillet 2005).

Les réponses reçues des Conférences épis­co­pales ont été étu­diées par les deux Congrégations et un rap­port a été rédi­gé à l’in­ten­tion du Saint-​Père. Selon ses direc­tives, notre Congrégation s’adresse main­te­nant à Votre Eminence, à Votre Excellence dans les termes suivants :

1. Un texte cor­res­pon­dant aux mots pro mul­tis, trans­mis par l’Eglise, consti­tue la for­mule qui a été en usage dans le rite romain en latin depuis les pre­miers siècles. Dans les trente der­nières années envi­ron, des textes en langue ver­na­cu­laire approu­vés ont véhi­cu­lé la tra­duc­tion inter­pré­ta­tive « pour tous », « per tut­ti », ou par des mots équivalents.

2. Il n’y a aucun doute quant à la vali­di­té des Messes célé­brées en uti­li­sant une for­mule dûment approu­vée conte­nant une for­mule équi­va­lente à « pour tous », ain­si que la Congrégation pour la Doctrine de la Foi l’a récem­ment décla­ré (cf. Sacra Congregatio pro Doctrina Fidei, Declaratio de sen­su tri­buen­do adpro­ba­tio­ni ver­sio­num for­mu­la­rum sacra­men­ta­lium, 25 Ianuarii 1974, AAS 66 [1974], 664). En effet, la for­mule « pour tous » cor­res­pon­drait sans aucun doute à une inter­pré­ta­tion cor­recte de l’intention du Seigneur expri­mée dans le texte. C’est un dogme de foi que le Christ est mort sur la Croix pour tous les hommes et toutes les femmes (cf. Jean 11, 52 ; II Cor. 5, 14–15 ; Tite 2, 11 ; I Jean 2, 2).

3. Il y a cepen­dant beau­coup d’arguments en faveur d’une tra­duc­tion plus pré­cise de la for­mule tra­di­tion­nelle pro mul­tis :

    a. Les évan­giles synop­tiques (Mt. 26, 28 ; Mc. 14, 24) font une réfé­rence spé­ci­fique aux « plu­sieurs » [mot grec ren­du par pol­loi] pour les­quels le Seigneur offre le Sacrifice, et cette expres­sion a été sou­li­gnée par cer­tains exé­gètes en rela­tion avec les mots du pro­phète Isaïe (53, 11–12). Il aurait été tout à fait pos­sible de dire « pour tous » dans les textes de l’Evangile (par exemple, cf. Lc 12, 41) ; au lieu de cela la for­mule don­née dans le récit de l’institution est « pour beau­coup », et ces mots ont été ain­si fidè­le­ment tra­duits dans la plu­part des ver­sions modernes de la Bible.

    b. Le rite romain en latin a tou­jours dit pro mul­tis et jamais pro omni­bus dans la consé­cra­tion du calice.

    c. Les ana­phores de divers rites orien­taux, en grec, en syriaque, en armé­nien, dans les langues slaves, etc., contiennent l’é­qui­valent ver­bal pro mul­tis latin dans leurs langues respectives.

    d. « Pour beau­coup » est une tra­duc­tion fidèle de pro mul­tis, tan­dis que « pour tous » est plu­tôt une expli­ca­tion qui appar­tient à pro­pre­ment par­ler à la catéchèse.

    e. L’expression « pour beau­coup », tout en res­tant ouverte à l’inclusion de chaque per­sonne humaine, induit aus­si le fait que le salut n’est pas don­né d’une façon méca­nique, sans qu’on le veuille ou qu’on y par­ti­cipe ; mais plu­tôt que le croyant est invi­té à accep­ter dans la foi le don qui lui est offert et à rece­voir la vie sur­na­tu­relle qui est don­née à ceux qui par­ti­cipent à ce mys­tère, le vivant aus­si dans leur exis­tence afin d’être mis au nombre des « beau­coup » aux­quels le texte fait référence.

    f. Dans la ligne de l’Instruction Liturgiam authen­ti­cam, un effort devrait être fait pour être plus fidèle aux textes latins des édi­tions typiques.

4. Les Conférences épis­co­pales des pays où la for­mule « pour tous » ou son équi­valent est à pré­sent en usage sont priés d’entreprendre la caté­chèse néces­saire auprès des fidèles sur ce sujet dans les pro­chains un ou deux ans pour les pré­pa­rer à l’introduction d’une tra­duc­tion pré­cise en langue ver­na­cu­laire de la for­mule pro mul­tis (c’est-à-dire « pour beau­coup », « per mol­ti », etc.) dans la pro­chaine tra­duc­tion du Missel Romain que les évêques et le Saint-​Siège approu­ve­ront pour leur pays.

Avec l’ex­pres­sion de ma pro­fonde estime et de mon pro­fond res­pect , je reste, Votre Eminence, Votre Excellence,

Fidèlement vôtre dans le Christ,

Francis Card. Arinze, Prefet

La version anglaise

[To their Eminences /​Excellencies, Presidents of the National Episcopal Conferences]

Congregatio de Cultu Divino et Disciplina Sacramentorum

Prot. N. 467/​05/​L

Rome, 17 October 2006

Your Eminence /​Your Excellency,

In July 2005 this Congregation for the Divine Worship and the Discipline of the Sacraments, by agree­ment with the Congregation for the Doctrine for the Doctrine of the Faith, wrote to all Presidents of Conferences of Bishops to ask their consi­de­red opi­nion regar­ding the trans­la­tion into the various ver­na­cu­lars of the expres­sion pro mul­tis in the for­mu­la for the conse­cra­tion of the Precious Blood during the cele­bra­tion of Holy Mass (ref. Prot. N. 467/​05/​L of 9 July 2005).

The replies recei­ved from the Bishops” Conferences were stu­died by the two Congregations and a report was made to the Holy Father. At his direc­tion, this Congregation now writes to Your Eminence /​Your Excellency in the fol­lo­wing terms :

1. A text cor­res­pon­ding to the words pro mul­tis, han­ded down by the Church, consti­tutes the for­mu­la that has been in use in the Roman Rite in Latin from the ear­liest cen­tu­ries. In the past 30 years or so, some appro­ved ver­na­cu­lar texts have car­ried the inter­pre­tive trans­la­tion « for all », « per tut­ti », or equivalents.

2. There is no doubt what­soe­ver regar­ding the vali­di­ty of Masses cele­bra­ted with the use of a duly appro­ved for­mu­la contai­ning a for­mu­la equi­va­lent to « for all », as the Congregation for the Doctrine of the Faith has alrea­dy decla­red (cf. Sacra Congregatio pro Doctrina Fidei, Declaratio de sen­su tri­buen­do adpro­ba­tio­ni ver­sio­num for­mu­la­rum sacra­men­ta­lium, 25 Ianuarii 1974, AAS 66 [1974], 661). Indeed, the for­mu­la « for all » would undoub­ted­ly cor­res­pond to a cor­rect inter­pre­ta­tion of the Lord’s inten­tion expres­sed in the text. It is a dog­ma of faith that Christ died on the Cross for all men and women (cf. John 11:52 ; 2 Corinthians 5,14–15 ; Titus 2,11 ; 1 John 2,2).

3. There are, howe­ver, many argu­ments in favour of a more pre­cise ren­de­ring of the tra­di­tio­nal for­mu­la pro mul­tis :

a. The Synoptic Gospels (Mt 26,28 ; Mk 14,24) make spe­ci­fic refe­rence to « many » (πολλων = pol­lôn) for whom the Lord is offe­ring the Sacrifice, and this wor­ding has been empha­si­zed by some bibli­cal scho­lars in connec­tion with the words of the pro­phet Isaiah (53, 11–12). It would have been enti­re­ly pos­sible in the Gospel texts to have said « for all » (for example, cf. Luke 12,41); ins­tead, the for­mu­la given in the ins­ti­tu­tion nar­ra­tive is « for many », and the words have been fai­th­ful­ly trans­la­ted thus in most modern bibli­cal versions.

b. The Roman Rite in Latin has always said pro mul­tis and never pro omni­bus in the conse­cra­tion of the chalice.

c. The ana­pho­ras of the various Oriental Rites, whe­ther in Greek, Syriac, Armenian, the Slavic lan­guages, etc., contain the ver­bal equi­va­lent of the Latin pro mul­tis in their res­pec­tive languages.

d. « For many » is a fai­th­ful trans­la­tion of pro mul­tis, whe­reas « for all » is rather an expla­na­tion of the sort that belongs pro­per­ly to catechesis.

e. The expres­sion « for many », while remai­ning open to the inclu­sion of each human per­son, is reflec­tive also of the fact that this sal­va­tion is not brought about in some mecha­nis­tic way, without one’s willing or par­ti­ci­pa­tion ; rather, the belie­ver is invi­ted to accept in faith the gift that is being offe­red and to receive the super­na­tu­ral life that is given to those who par­ti­ci­pate in this mys­te­ry, living it out in their lives as well so as to be num­be­red among the « many » to whom the text refers.

f. In line with the Instruction Liturgiam authen­ti­cam, effort should be made to be more fai­th­ful to the Latin texts in the typi­cal editions.

The Bishops” Conferences of those coun­tries where the for­mu­la « for all » or its equi­va­lent is cur­rent­ly in use are the­re­fore reques­ted to under­take the neces­sa­ry cate­che­sis for the fai­th­ful on this mat­ter in the next one or two years to pre­pare them for the intro­duc­tion of a pre­cise ver­na­cu­lar trans­la­tion of the for­mu­la pro mul­tis (e.g, « for many », « per mol­ti », etc.) in the next trans­la­tion of the Roman Missal that the Bishops and the Holy See will approve for use in their country.

With the expres­sion of my high esteem and res­pect, I remain, Your Eminence/​Your Excellency,

Devotedly Yours in Christ,

Francis Card. Arinze, Prefect