Discussions Rome-​Ecône : un remake du pré-​accord inabouti de 1988

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reflé­tant la posi­tion offi­cielle de la Fraternité Saint-​Pie X

Le Nouvelliste du 13 novembre 2009

Cet article se veut une dis­cus­sion contruc­tive autour d’un com­men­taire mis par M. l’Abbé Salamolard sous l’article du 9 novembre de ce blog inti­tu­lé « Anglicans : le Vatican pro­mulgue la loi pour leur conver­sion collective »

Merci M. l’abbé Salamolard pour votre contri­bu­tion. On est là au cœur des dis­cus­sions qui ont lieu actuel­le­ment à Rome entre Ecône et le Vatican. Pour ma part, je rap­pelle quand même que Mgr Lefebvre a signé en 1988 un pré-​accord rédi­gé par le car­di­nal Ratzinger. Ce pré-​accord com­pre­nait une « décla­ra­tion doc­tri­nale » de Mgr Lefevre disant notamment :

« Nous décla­rons accep­ter la doc­trine conte­nue dans le numé­ro 25 de la Constitution dog­ma­tique Lumen Gentium du Concile Vatican II sur le Magistère ecclé­sias­tique et l’adhésion qui lui est due. A pro­pos de cer­tains points ensei­gnés par le Concile Vatican II ou concer­nant les réformes pos­té­rieures de la litur­gie et du droit, et qui nous paraissent dif­fi­ci­le­ment conci­liables avec la Tradition, nous nous enga­geons à avoir une atti­tude posi­tive d’étude et de com­mu­ni­ca­tion avec le Siège Apostolique, en évi­tant toute polé­mique. Nous décla­rons en outre recon­naître la vali­di­té du sacri­fice de la messe et des sacre­ments célé­brés avec l’intention de faire ce que fait l’Eglise et selon les rites indi­qués dans les édi­tions typiques du Missel romain et des rituels des sacre­ments pro­mul­gués par les papes Paul VI et Jean-​Paul II, «  etc.

Je connais bien le mou­ve­ment tra­di­tio­na­liste et puis vous dire que cette décla­ra­tion du 4 mai 1988 – qui n’a mal­heu­reu­se­ment pas été sui­vie d’une récon­ci­lia­tion pour des rai­sons de date d’ordination d’évêques (j’ai expli­qué cela dans un autre article de blog) – cette décla­ra­tion de 1988 donc reflète aujourd’hui tou­jours exac­te­ment l’état d’esprit à Ecône. On est en quelque sorte reve­nu au point de départ et cette fois-​ci il faut prier pour que cela passe. Par ailleurs, suite à ce pré-​accord, j’ai per­son­nel­le­ment inter­viewé Mgr Lefebvre à Ecône. Il m’a confir­mé par oral et cela a été publié le len­de­main (mar­di 24 mai page 23) dans « Le Nouvelliste et Feuille d’avis du Valais » sans jamais être démen­ti (j’ai l’article sous les yeux) :

« Nous recon­nais­sons le concile inter­pré­té à la lumière de la tra­di­tion, mais Rome accepte le prin­cipe de la dis­cus­sion sur cer­tains points qui nous semblent dif­fi­ci­le­ment conci­liables avec la tra­di­tion ».

Je suis un témoin direct et je me sou­vient très bien de cette conver­sa­tion dans le bureau de Mgr Lefebvre. Ces paroles res­tent encore gra­vées dans ma mémoire car elle m’avaient frap­pées. Je les ai d’ailleurs rap­pe­lées il y a quelques années à Mgr Fellay, supé­rieur de la Fraternité Saint-​Pie X (Ecône). C’était le scoop théo­lo­gique du 24 ma i 1988… Bref, dans cette inter­view, Mgr Lefebvre m’avait dit très exac­te­ment, je cite tou­jours ses paroles dans l’interview :

« L’accord signé le 5 mai nous accorde l’emploi des livres litur­giques de Jean XXIII (rituel sacra­men­taire, bré­viaire, et messe latine selon le rite de saint Pie V avec les rubriques de Jean XXIII), la recon­nais­sance de nos mai­sons, l’octroi à notre Fraternité du sta­tut juri­dique qui était le sien avant 1975, c’est ‑à-​dire une socié­té apos­to­lique. (…) Rome est d’accord aus­si sur le prin­cipe de l’ordination d’un évêque issu de la Fraternité et qui est d’ailleurs dési­gné depuis trois semaines. Nous recon­nais­sons le concile inter­pré­té à la lumière de la tra­di­tion, mais Rome accepte le prin­cipe de la dis­cus­sion sur cer­tains points qui nous semblent dif­fi­ci­le­ment conci­liables avec la tra­di­tion ».

Mais Mgr Lefebvre avait rajou­té, tou­jours dans l’interview :

« Il y a cepen­dant des pro­blèmes en ce qui concerne l’ordination d’un évêque. Rome ne veut pas fixer de date. On me dit sou­vent : Mais vous n’avez pas besoin d’évêque. Cette ques­tion les bloque beau­coup. On m’a dit une fois : il faut au moins neuf mois pour faire un évêque. Si l’on compte à par­tir de sep­tembre, cela recu­le­rait la date à juin 1989. C’est trop tard pour moi. Je ne peux pas attendre et je le dis depuis juin der­nier. Ma san­té ne le per­met pas, j’arrive au bout. Je ne peux pas aban­don­ner comme cela la Fraternité que j’ai fon­dée, tous ces sémi­na­ristes, tous ces prêtres. J’ai peur que cette ques­tion de l’ordination d’un évêque ne pro­voque une rup­ture. Je me rends d’ailleurs demain à Rome pour essayer de régler cette ques­tion et j’ai envoyé une lettre dans ce sens.J’aimerais tant qu’on nous laisse faire l’expérience de la tra­di­tion ».

Voyez-​vous, M. l’abbé Salamolard le temps est venu comme en 1988 de lan­cer des ponts, de rap­pe­ler aux tra­di­tio­na­listes ces décla­ra­tions de Mgr Lefebvre sur une recon­nais­sance glo­bale de Vatican II inter­pré­té à la lumière de la tra­di­tion après une franche cla­ri­fi­ca­tion du pape, et cette autre appel à lais­ser faire l’expérience de la tra­di­tion, atti­tude humble qui ne pos­tule pas la conver­sion de l’autre.

Le docu­ment ci-​dessus et l’actualité montrent qu’Ecône ne rejette pas tout Vatican II mais cer­tains points. Il faut des­ser­rer ces noeuds à tra­vers la dis­cus­sion théo­lo­gique, sachant qu’il y aura tou­jours des sen­si­bi­li­tés phi­lo­so­phiques dif­fé­rentes dans l’Eglise et que tout homme est catho­lique à par­tir du moment où il accepte tous les dogmes et récite le cre­do. D’ailleurs, nombre de théo­lo­giens, comme cela a été rap­pe­lé récem­ment au col­loque de Toulouse sur l’interprétation de Vatican II (col­loque qui n’était pas orga­ni­sé par des tra­di­tio­na­listes), nombre de théo­lo­giens donc disent que l’on peut attri­buer des notes théo­lo­giques dif­fé­rentes selon les docu­ments et pas­sages du Concile Vatican II. Faisons la part de ce qui est dog­ma­tique et pas­to­ral ou plu­tôt lais­sons Benoît XVI faire cette exé­gèse des textes conciliaires.

Là où vous avez rai­son par contre, M. l’abbé, c’est qu’Ecône rejette l’ensemble du Concile en tant qu’il en rejette l’esprit.

Mais c’est au pape de faire l’herméneutique de conti­nui­té du Concile et d’en défi­nir l’esprit. Bref, je ne dis pas que vous avez tort car tous les points de vue peuvent se jus­ti­fier selon l’approche qu’on adopte, selon qu’on est conser­va­teur ou pro­gres­siste pour user de termes réduc­teurs, mais je pense que les com­men­ta­teurs que nous sommes des dis­cus­sions en cours à Rome doivent contri­buer à éta­blir des pas­se­relles entre Ecône et le pape, à réta­blir l’unité, plu­tôt que de creu­ser encore un peu plus pro­fon­dé­ment le fossé.

« Tout le monde a sa place dans l’Eglise », a rap­pe­lé récem­ment le pape. On vit actuel­le­ment une sorte de remake de 1988 (les pro­ta­go­nistes sont les mêmes à savoir Ecône-​Ratzinger, l’approche choi­sie pour les dis­cus­sions est la même, etc.), sauf que cette fois-​ci le diable ne se glisse pas dans le gros détail de la date butoir d’ordination d’un évêque…

Vincent Pelligrini In Le Nouvelliste du 13 novembre 2009

Commentaire par Michel Salamolard – 13 novembre 2009 – 11 H 50

Merci, cher Monsieur Pellegrini, de ce témoi­gnage très éclai­rant. J’y trouve comme vous une belle lueur d’espérance, en priant pour qu’elle brille aus­si dans le cœur de nos amis lefeb­vristes. Je vous remer­cie aus­si de jouer excel­le­ment ce rôle de « pon­tife », fai­seur de ponts, entre l’Eglise catho­lique et la FSSPX.

Je n’ai pas ren­con­tré per­son­nel­le­ment Mgr Lefebvre, mais ai cor­res­pon­du avec lui. Dans le même sens que ce que vous dites, Mgr Lefebvre, dans une mis­sive du 1er avril (aucun « pois­son »!) 1987, après avoir énu­mé­ré les points de Vatican II qu’il contes­tait (voir plus bas), concluait son mes­sage ain­si : « Nous tra­vaillons d’ailleurs avec le Cardinal Ratzinger pour que la lumière se fasse sur ce sujet fon­da­men­tal de notre sainte Religion. Prions pour que l’Esprit Saint inter­vienne ! » Prière ô com­bien tou­jours d’actualité !

Les points contes­tés par Mgr L. étaient les sui­vants : la décla­ra­tion sur la liber­té reli­gieuse est une doc­trine nou­velle, anté­rieu­re­ment condam­née par les papes ; c’est la source d’un faux oecu­mé­nisme post-​conciliaire et d’une auto-​démolition de l’Eglise.