Sermon de Mgr Fellay lors du pèlerinage de Chartres à Orléans le 27 mai 2012

Au Nom du Père, du Fils et du Saint-​Esprit, ain­si soit-il.

Mes bien chers pèlerins,

Nous fêtons aujourd’­hui la Fête de la Pentecôte, pen­dant ce pèle­ri­nage sous la « guide » de sainte Jeanne d’Arc.

Cette fête de la Pentecôte est une illus­tra­tion extra­or­di­naire de l’in­ter­ven­tion du bon Dieu dans la Création, dans l’his­toire des hommes. Envoyez votre Esprit et il se fera une créa­tion nou­velle et vous renou­vel­le­rez la face de la terre. Cette des­cente du Saint-​Esprit sur la Sainte Vierge et les apôtres, le jour de la Pentecôte, est consi­dé­rée comme la nais­sance de l’Eglise. L’Eglise, épouse du Christ, qui, comme l’é­pouse d’Adam, est née de son côté alors qu’il était dans le som­meil. Le som­meil de la mort, som­meil de la Croix. C’est là qu’on voit venir l’Eglise et cette Eglise appa­raît au monde. C’est là qu’on parle de la nais­sance aujourd’­hui dans cette inter­ven­tion sen­sible, visible, du Saint-​Esprit. Il faut y voir là une des véri­tés les plus conso­lantes, mais aus­si peut-​être les plus oubliées aujourd’­hui, dans un monde com­plè­te­ment sécu­la­ri­sé, c’est que Dieu non seule­ment est le Créateur, Créateur de toutes choses, visibles et invi­sibles – c’est une Vérité de Foi, c’est la réa­li­té. Nous tous, nous sommes créés, créés par Dieu, créés de rien. Mais ce rôle du bon Dieu sur la Création ne s’ar­rête pas là. Dieu est créa­teur mais en même temps Il gou­verne, Il gou­verne Ses créatures.

C’est ce qu’on appelle la Divine Providence. Et cette Divine Providence, mes bien chers Frères, nous savons qu’Elle est infaillible. Cela veut dire que le bon Dieu conduit les créa­tures sans léser leur liber­té, et même en per­met­tant que ces créa­tures obtiennent par leur action, le fruit de leur action. Les résul­tats de ces actions, la plu­part du temps, le bon Dieu per­met qu’ils se réa­lisent. Et néan­moins, à tra­vers tout cela, Il est tel­le­ment puis­sant que ce qui se passe dans la réa­li­té de l’his­toire des hommes, c’est exac­te­ment ce que le bon Dieu veut, et rien d’autre. C’est une véri­té for­mi­dable mais qui nous dépasse, mais qui nous montre bien cet adage com­bien il est vrai que Dieu sait écrire droit sur des lignes courbes, ces lignes courbes étant les actions des hommes, pleines de mal­adresses, de misères, de bonne volon­té, un mélange invrai­sem­blable. Eh bien, Dieu, de tout cela, fait concou­rir tout cela à un seul but : Sa Gloire.

Une illus­tra­tion, une illus­tra­tion de cette inter­ven­tion de Dieu dans l’his­toire des hommes, eh bien nous la trou­vons, aus­si d’une manière stu­pé­fiante dans sainte Jeanne d’Arc.

Tout d’a­bord, cette véri­té de ce que Dieu est vrai­ment le Seigneur, non seule­ment la Tête de l’Eglise – nous avons dit qu’au­jourd’­hui, c’est la nais­sance de l’Eglise, cette Eglise c’est le Corps Mystique de Notre-​Seigneur ; l’Eglise, ce sont toutes ces âmes qui ne font qu’un seul corps avec Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. Si l’on parle du Corps Mystique de Notre-​Seigneur, cela veut bien dire que ce Corps a une tête et la tête, la tête de l’Eglise, c’est et ce sera tou­jours et ce ne peut-​être que Notre-​Seigneur Jésus-​Christ Lui-​même. Il a certes sur la terre un vicaire, celui qui prend Sa place, un vicaire visible, le Vicaire du Christ qu’on appelle le pape. Mais Lui reste la Tête de l’Eglise. Eh bien, non seule­ment Il est la tête de l’Eglise mais en même temps Il est aus­si le Chef, le Seigneur, le Roi de toutes les socié­tés, de toutes les nations humaines. Quand on dit Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, on dit beau­coup de choses, mais on exprime dans ce mot Seigneur, cette sou­ve­rai­ne­té de Notre-​Seigneur. On parle de manière habi­tuelle de royau­té sociale, c’est-​à-​dire qu’Il est le Roi des socié­tés. Pas seule­ment de la socié­té de l’Eglise qui est une socié­té sur­na­tu­relle, mais aus­si de la socié­té humaine, et ça eh bien, nous le trou­vons expri­mé d’une manière admi­rable chez sainte Jeanne d’Arc.

Et tout au début, on peut dire dans une des toutes pre­mières mani­fes­ta­tions de sa mis­sion, lors­qu’elle va à Vaucouleurs, lors­qu’elle va voir le Seigneur de Baudricourt, elle lui dit qu’elle est envoyée parce qu’elle doit, au Nom de son Seigneur, conduire le Dauphin à Reims pour qu’il soit sacré. Parce que son Seigneur veut faire de Charles VII le roi de la France, qu’Il lui donne en com­mande, autre­ment dit le vrai roi, le vrai Seigneur… ce sera le Seigneur de Baudricourt qui va lui deman­der, mais qui est ton Seigneur ? C’est le Roi du Ciel. Notre-​Seigneur EST le Roi de France, et pas seule­ment de France, mais de toutes les nations. Mais il Lui plaît, Il VEUT don­ner, comme à un lieu­te­nant, à un roi de la terre, la charge de gou­ver­ner en Son Nom ce pays. Cette inter­ven­tion du Roi des Rois est vrai­ment splen­dide. On peut en cher­cher dans l’Histoire de pareils évé­ne­ments. Ils sont bien rares ceux dans les­quels j’al­lais dire Notre-​Seigneur se mêler de poli­tique… Il est le Roi, Il fait ce qu’Il veut. Et ici, Il mani­feste très clai­re­ment cette Royauté, cette Seigneurerie. Il en a déci­dé ain­si et c’est ain­si que les choses se pas­se­ront. Seulement, les moyens, les moyens nous laissent éton­nés, pour ne pas dire plus. Les moyens du bon Dieu cette Sagesse du bon Dieu, com­bien de fois elle est folie pour les hommes !

Tout d’a­bord, notons que Notre-​Seigneur attend pour agir, pour don­ner cette mis­sion à sainte Jeanne d’Arc que les choses aillent au plus mal. La situa­tion en France, à ce moment, est désas­treuse. Tout va de tra­vers. Il n’y a plus d’es­poir. C’est sainte Jeanne d’Arc qui le dira : il n’y a aucun duc, il n’y a per­sonne, aucune des dames de France qui pour­ra faire cela si ce n’est moi qui suis envoyée pour cela. Autrement dit, c’est vrai­ment le bon Dieu, et seule­ment le bon Dieu, qui va pou­voir sor­tir le pays d’un état de détresse inouï. Les dis­putes, les divi­sions, la moi­tié du pays occu­pé. Le Dauphin mis de côté.

Et qui choisit-​Il ? Qui choisit-​Il pour accom­plir cette mis­sion ? On n’y aurait jamais pen­sé. Une jeune fille, toute simple, une jeune fille ber­gère qui elle-​même dira : « Mais je ne sais pas mon­ter à che­val, je ne sais pas manier les armes ! », lorsque saint Michel lui dira lors­qu’elle reçoit cette mis­sion. Elle n’est pas faite pour cette mis­sion. C’est com­plè­te­ment dis­pro­por­tion­né ! Qu’ils sont admi­rables ces che­mins du bon Dieu, qu’ils sont éton­nants ! Et là encore une fois, mes bien chers Frères, on voit com­ment le bon Dieu se joue, se joue des entre­prises humaines. Il fait ce qu’Il veut. Dans un Psaume, le Psaume IIème, on dit qu’Il se moque des entre­prises humaines. De tous ces rois qui veulent se liguer contre Lui. Il s’en moque, Il fait ce qu’Il veut. Mais quand Il a déci­dé quelque chose, c’est ce qu’Il veut qui se passe.

Seulement, notre éton­ne­ment ne s’ar­rête pas là. Il y a quelque chose, quelque chose de bou­le­ver­sant dans la vie de sainte Jeanne d’Arc. D’une part, ces dif­fi­cul­tés qui semblent insur­mon­tables, et qui SONT insur­mon­tables aux hommes. Et puis le bon Dieu conduit cette pauvre petite âme à tra­vers les dif­fi­cul­tés, mais Il la conduit et au départ, ça semble assez bien se pas­ser. Jusqu’à Orléans, il y a des dif­fi­cul­tés, des dif­fi­cul­tés humai­ne­ment déjà insur­mon­tables mais enfin, ça va. Ça finit par une vic­toire, c’est beau, c’est un triomphe. Jusqu’à Reims, ça va encore. Et effec­ti­ve­ment, cette petite demoi­selle, sainte Jeanne d’Arc, va conduire jus­qu’au sacre le Dauphin. Il va être sacré roi. On peut dire, c’est vrai­ment le début d’une res­tau­ra­tion de la France. Et notre Jeanne d’Arc, qu’est-​ce qui lui arrive alors ? Quelque chose de vrai­ment éton­nant. Le roi, une fois sacré, ne suit plus sainte Jeanne d’Arc. Et c’est éton­nant. S’il est arri­vé jusque-​là, c’est bien grâce à elle, grâce à ses Voix, grâce à ses direc­tions sur­na­tu­relles, qui a tout gui­dé. Eh bien non, une fois roi, il se satis­fait, il laisse tom­ber, il ne l’é­coute plus. Il y a là une ingra­ti­tude, mais pas seule­ment envers sainte Jeanne d’Arc, mais envers le bon Dieu.

Ce qu’il fait n’est pas sage du tout, ce que fait le roi. Pourquoi tout d’un coup n’écoute-​t-​il plus ? Pourquoi ne suit-​il plus ? Et pour­quoi le bon Dieu permet-​il cela ? Car c’est bien le bon Dieu qui per­met. Ce n’est pas encore une mise en dis­grâce, mais c’est une mise de côté… Ce n’est pas fini. Ça va aller encore beau­coup, beau­coup plus loin. Ça va aller jus­qu’à Rouen. Non seule­ment elle est arrê­tée, non seule­ment elle est bles­sée, elle est pri­son­nière, elle est livrée, livrée aux Anglais, livrée au Tribunal de l’Eglise qui fait un juge­ment inique. Elle va être condam­née pour héré­sie, et elle va mou­rir d’une mort ignoble, injuste, la pire des choses, la pire des humi­lia­tions pour une âme catho­lique, trai­tée injus­te­ment d’hé­ré­sie et brû­lée. Posons-​nous la ques­tion, mais pour­quoi le bon Dieu permet-​Il cela ? C’est bien le bon Dieu qui s’est choi­si sainte Jeanne d’Arc ! C’est bien Lui qui l’a conduite. Ça sem­blait bien aller. Et puis une fois l’es­sen­tiel fait, non seule­ment elle est délais­sée par le roi, mais on a comme l’im­pres­sion – atten­tion, COMME l’im­pres­sion, je n’en dis pas plus -, que même le bon Dieu la laisse tom­ber. Il la laisse aux mains de l’en­ne­mi, Il la laisse vrai­ment deve­nir le jouet des méchants, des iniques, et jus­qu’à la mort.

Il y a quelque chose de révol­tant là-​dedans. Révoltant pour les hommes ! Et encore une fois, un mys­tère, un mys­tère extra­or­di­naire, une leçon qu’il nous faut vrai­ment gar­der. Qu’est-​ce qu’il faut voir dans cette mort ? Il faut voir un amour de pré­di­lec­tion du bon Dieu, et ça c’est pas facile à voir.

Oui, quand Dieu per­met qu’une âme meurt dans des cir­con tances qui sont sem­blables à Sa propre Mort, c’est un signe de grande pré­di­lec­tion, d’un grand amour, mais que les hommes ne com­pren­dront jamais. Ce sort que Dieu donne à tant et tant de ces âmes qu’Il aime le plus, la sagesse humaine ne com­pen­dra jamais. C’est ce grand, grand, grand mys­tère de l’as­so­cia­tion de la vie des âmes au Sacrifice de Notre-​Seigneur, à Son immo­la­tion pour sau­ver les âmes. Il ne s’a­git pas seule­ment de sau­ver un pays, il ne s’a­git pas seule­ment de poli­tique. Si Notre-​Seigneur est Roi, ce n’est pas pour le plai­sir d’a­voir une cou­ronne. S’il est Roi, dit la théo­lo­gie, c’est pour exer­cer mieux, plus pro­fon­dé­ment, Son Sacerdoce, pour que ces Grâces du sacer­doce, et donc de la Rédemption, s’é­tendent encore davan­tage. Evidemment, si Notre-​Seigneur inter­vient, s’Il se choi­sit une sainte Jeanne d’Arc, ce n’est pas d’a­bord et avant tout pour des des­ti­nées ter­restres, c’est d’a­bord et avant tout pour les âmes, pour sau­ver les âmes. Et ce don total, on peut dire jus­qu’à l’a­néan­tis­se­ment, le plus vil, le plus ignoble, qu’on trouve chez sainte Jeanne d’Arc, il faut voir cette asso­cia­tion dans une cha­ri­té vrai­ment héroïque à la Croix de Notre-​Seigneur. Et alors, on peut dire « oui, comme c’est beau ! » mais on le dit tout en tremblant.

Mais il faut deman­der cette grâce de pou­voir l’ad­mi­rer, ce Dessein de Dieu !

Mes bien chers Frères, cet exemple de sainte Jeanne d’Arc, il y a cer­taines choses que nous pou­vons appli­quer à notre temps, à notre situa­tion. Il y a des leçons pour nous, aujourd’hui.

Et la pre­mière, c’est que le bon Dieu conti­nue de s’oc­cu­per de nous. Que Sa Divine Providence est bel et bien réelle aujourd’­hui comme hier. Que ces Paroles de Notre-​Seigneur « que tous nos che­veux sont comp­tés ». Il n’y en a pas un seul qui tombe sans la per­mis­sion de Dieu. Il faut le prendre lit­té­ra­le­ment. Cette Bonté de la Divine Providence, Elle s’exerce aujourd’­hui. Les Desseins de Dieu ne s’ar­rêtent pas. A aucun moment, Dieu ne devient que spec­ta­teur pour comp­ter les points de ceux qui se dis­putent sur la terre. Même si c’est pour Sa cause. Il est tou­jours et Il S’implique tou­jours et Il guide tou­jours l’his­toire des hommes. Même si dans notre pauvre peti­tesse humaine nous n’en voyons pas les tenants et abou­tis­sants. Ça reste vrai, et ça reste vrai pour nous, pour notre his­toire, pour l’his­toire de l’Eglise, pour l’his­toire de la Tradition.

Une autre chose aus­si drô­le­ment sem­blable, c’est l’é­tat pitoyable, presque déses­pé­ré, cette fois-​ci non pas seule­ment d’un pays mais de l’Eglise. L’Eglise, l’Epouse du Christ, dans un état pareil ! Qui l’eût jamais ima­gi­né ? Les démo­li­tions, les coups por­tés par et avec et après le Concile, sont là devant nous, tristes, lamen­tables ; on se demande vrai­ment com­ment l’Eglise pour­ra se rele­ver. Et même, on ose le dire, humai­ne­ment, humai­ne­ment, c’est fini. Mais on n’a pas le droit de dire humai­ne­ment quand on parle de l’Eglise. Parce que l’Eglise reste, reste. L’Eglise de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. Et même si nous la voyons dans cet état lamen­table, nous n’a­vons pas le droit d’as­so­cier cet état lamen­table à l’Eglise pour dire « il n’y a plus d’Eglise ». Non, l’Eglise reste, mais comme défi­gu­rée, comme prise dans une sorte de can­cer géné­ra­li­sé. Et nous avons cette cer­ti­tude qu’Elle se relè­ve­ra. Humainement, encore une fois, nous ne savons pas trop com­ment. Mais nous avons cette cer­ti­tude, nous n’a­vons pas le droit de l’a­ban­don­ner cette cer­ti­tude. Jusqu’où cela ira-​t-​il ? Jusqu’où ira cette déban­dade ? On n’en voit pas les freins. Ici ou là, on voit quelque chose, oui. On voit des essais, des ten­ta­tives, mais on se demande si cela pour­ra suf­fire. Evidemment, dans un tel contexte, lors­qu’on parle que Rome vou­drait nous don­ner une recon­nais­sance cano­nique, on est plein de méfiance, à voir la manière dont les auto­ri­tés ont trai­té la Tradition et tout ce qui a un petit peu de sen­ti­ment tra­di­tion­nel ou de ten­dance tra­di­tion­nelle, quand on voit com­ment cela est trai­té, on est plein de méfiance. Et même de peur. De peur sur un futur en disant : « com­ment cela pourra-​t-​il se faire ? »

Mais est-​ce que nous avons le droit d’en res­ter là ? Est-​ce que ce ne sont pas des sen­ti­ments bien réels, vrais, VRAIS, MAIS TROP HUMAINS ?

Est-​ce qu’au moment de sainte Jeanne d’Arc, lors­qu’elle arrive, si on n’a­vait poin­té que les dif­fi­cul­tés, ces impos­si­bi­li­tés de s’en sor­tir, est-​ce qu’on serait jamais allé juqu’à Orléans ? Un cer­tain moment – pas seule­ment un cer­tain moment mais tou­jours -, l’Eglise nous donne une solu­tion en nous disant : « Adjutorium nos­trum in Nomine Domini ». Notre secours, il n’est pas dans les hommes, il n’est pas dans les efforts des hommes, il est dans le Nom du Seigneur. Et sur­tout quand on regarde l’Eglise, on est obli­gé à cela. Et c’est pour cela que nous prions. C’est pour cela que nous fai­sons ces Croisades du Rosaire. Nous appe­lons le Ciel au secours.

Bien sûr, il faut faire, avec toute la pru­dence, avec toute la pru­dence certes, en ana­ly­sant les dan­gers, en voyant si c’est pos­sible ou pas, mais jus­qu’i­ci, mes bien chers Frères, on peut dire bien qu’une cer­taine direc­tion semble s’in­di­quer, qui pour­rait dire « c’est peut-​être pos­sible qu’on soit recon­nu, qu’on arrive à conti­nuer », mais jus­qu’i­ci je n’ai pas encore moi-​même tous les élé­ments, les der­niers élé­ments qui nous per­mettent de dire oui ou non. Eh bien, jus­qu’à aujourd’­hui, nous en sommes là. Ça ne sert à rien de s’é­mou­voir, de dire ceci ou de dire cela, nous en sommes là. Un point c’est tout. Si nous avons les élé­ments suf­fi­sants pour pou­voir juger que oui, c’est pos­sible, alors, il fau­dra tirer les conclu­sions. Et si nous arri­vons à la conclu­sion que non, c’est pas pos­sible, c’est beau­coup trop dan­ge­reux ou seule­ment c’est impos­sible ce qu’on nous demande, nous dirons non tout sim­ple­ment, et c’est tout. Ce n’est pas à nous de vou­loir essayer d’im­po­ser au bon Dieu notre déci­sion, notre vou­loir. Au contraire, nous essayons de cher­cher à tra­vers les évé­ne­ments, les choses qui se passent, quelle est cette Volonté.

Qu’est-​ce qu’Il veut le bon Dieu ? C’est tel­le­ment sur­pre­nant ce qui nous arrive là ! Ce n’est pas nous qui l’a­vons cher­ché. Et aujourd’­hui, au moins je suis arri­vé à cette cer­ti­tude que celui qui veut recon­naître la Fraternité, c’est bel et bien le Pape.

Je constate qu’à Rome, tous ne sont pas du même avis. A Rome et ailleurs. Mais le Pape, oui. Alors aura-​t-​il la force d’al­ler jus­qu’au bout ? Cèdera-​t-​il devant des pres­sions, des oppo­si­tions ? Je n’en sais rien. Ne pré­cé­dons pas la Providence. Mais prions, conti­nuons à prier. Demandons cette lumière pour tous, pour que nous res­tions bien unis parce que c’est vrai qu’une telle déci­sion, et c’est aus­si une des rai­sons de cette crainte, implique un tel chan­ge­ment de pers­pec­tives, et on ne s’y attend tel­le­ment pas, et on voit tel­le­ment de maux dans l’Eglise, que quelque part on se dit bien « est-​ce pos­sible ? » A voir les élé­ments que j’ai dans les mains, je dis, « oui, il me semble que c’est pos­sible ». Encore une fois, à condi­tion qu’on nous laisse libres d’a­gir. Il semble bien que si on nous veut c’est pour réin­tro­duire la Tradition dans l’Eglise si on peut par­ler ain­si. Non pas pour nous, mais on peut dire aus­si pour faire vrai­ment pro­fi­ter à toute l’Eglise de cette chose magni­fique qui est tout sim­ple­ment la vie chrétienne.

Il y a bien sûr beau­coup de ques­tions qui res­tent ouvertes, ces ques­tions de la non entente sur un cer­tain nombre de points du concile. Nous ne sommes pas d’ac­cords. C’est même cela qui est sur­pre­nant. Pourquoi alors, pour­quoi nous offrir ce che­min ? Il doit bien y avoir une rai­son. Et là aus­si, il semble bien que la rai­son, c’est cette situa­tion de l’Eglise. Et humai­ne­ment, si on ne comp­tait que sur nous-​mêmes, je crois qu’on n’o­se­rait pas com­men­cer. Mais voi­là, quand il s’a­git de l’Eglise, on n’a pas le droit de comp­ter que sur soi-​même, sans, bien sûr, sans faire des témé­ri­tés, sans faire d’im­pru­dences, sans pré­tendre avoir des voix. Je ne pré­tends abso­lu­ment pas avoir des voix. Je n’en ai pas. Le bon Dieu veut nous faire aller par le che­min, disons com­mun, mais avec Sa Grâce, en Son Nom, Il a dit « deman­dez et vous rece­vrez ». « Vous n’a­vez pas encore deman­dé », dit-​Il. « Tout ce que vous deman­de­rez en Mon Nom au Père, Il vous l’ac­cor­de­ra. » Est-​ce que nous le croyons ou pas ? Il dit : « si vous avez la foi comme un grain de séne­vé, vous com­man­dez à cette col­line de se jeter dans la mer, elle y va ». Nous croyons à ces choses, ou pas ? Jusqu’à quel point acceptons-​nous vrai­ment, dans la réa­li­té, que Dieu peut inter­ve­nir dans l’his­toire des hommes, ou bien ne regardons-​nous tout que comme une his­toire d’hommes, comme des rela­tions d’in­ter­fé­rents entre hommes ?

Certes, et encore une fois, et je vais ter­mi­ner là-​dessus, mes bien chers Frères, IL FAUT PRIER, mais prier beau­coup. Il faut conti­nuer. Le bon Dieu nous mon­tre­ra, c’est tout, mais Il ne nous montre pas à l’a­vance. De la même manière qu’à sainte Jeanne d’Arc, se posant des ques­tions sur le futur, eh bien, ses Voix, sainte Catherine, sainte Marguerite, lui disaient : « c’est Notre-​Seigneur qui s’oc­cupe de toi, tu le sau­ras au bon moment. Ce n’est pas encore main­te­nant ».

Nous non plus, nous ne savons pas encore. Il ne faut pas s’im­pa­tien­ter. Il faut don­ner cette confiance au bon Dieu.

Comme nous disons à la fin du Te Deum : « In Te spe­ra­vi ». C’est en Vous que j’ai mis mon espé­rance, c’est en Vous que j’ai mis ma confiance. Non confun­dar in aeter­num, et pour l’é­ter­ni­té. Je ne serai pas déçu.

Ainsi soit-​il.

Mgr Bernard Fellay