Entretien exclusif de Mgr Fellay au journal « Présent »


Entretien exclusif avec Mgr Fellay, Supérieur de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X 

Propos recueillis par Olivier Figueras

Monseigneur, vous avez ren­con­tré Benoît XVI fin août. Dans quelles cir­cons­tances cette entre­vue a‑t-​elle eu lieu ?

C’est depuis l’an 2000 que nous avons quelques dis­cus­sions avec Rome pour essayer de voir com­ment on peut amé­lio­rer nos rela­tions avec l’Eglise offi­cielle. Mais il faut dire que le pre­mier pas est venu de Rome. Nous avons tou­jours affir­mé que nous étions catho­liques, et nous l’avons mani­fes­té par le pèle­ri­nage de l’Année Sainte à Rome – ce pèle­ri­nage a beau­coup mar­qué les esprits, y com­pris dans la Curie. Je pense qu’il a été un élé­ment déter­mi­nant dans la démarche des auto­ri­tés romaines. Cependant il est cer­tain que notre ana­lyse de la situa­tion actuelle de l’Eglise est dif­fé­rente de la leur. C’est bien là le nœud du pro­blème. Mais, dans ce contexte, nous avons esti­mé utile, et même néces­saire, de mani­fes­ter publi­que­ment que nous étions catho­liques, et que nous recon­nais­sions le Saint-​Père, en lui témoi­gnant notre défé­rence. Egalement nous avons essayé, en consta­tant son sou­ci face à la crise de l’Eglise, de lui sug­gé­rer que la Tradition pour­rait être la solu­tion à cette crise – ce dont nous sommes pour notre part inti­me­ment persuadés. 

Le Pape a l’avantage de bien connaître le dos­sier. Vous avez sou­li­gné dans DICI trois points notam­ment que le Saint-​Père a évo­qués pour amé­lio­rer la situa­tion : l’état de néces­si­té que vous invo­quez, par rap­port à votre lien avec le Pape ; la per­cep­tion du Concile à la lumière de la Tradition ; et la ques­tion, plus pra­tique, de la façon struc­tu­relle dont cela pour­rait se des­si­ner. Cet entre­tien a‑t-​il appor­té un pre­mier élé­ment de réponse à votre demande ? 

Il y a bien évi­dem­ment des points com­muns. Ce n’est pas un dia­logue de sourds. Il y a des points de ren­contre où l’on par­vient à s’expliquer. Sinon, toute dis­cus­sion serait abso­lu­ment inutile. Cependant, et c’est notre drame depuis le début, nous nous heur­tons à une incom­pré­hen­sion de la part de Rome sur notre posi­tion. Néanmoins je pense que l’on arrive, petit à petit, à se faire mieux com­prendre sur ce que nous fai­sons. Ce n’est pas encore une com­pré­hen­sion com­plète, mais il y a mani­fes­te­ment un pro­grès. Et pour que ce pro­grès se pour­suive, il n’y a pas, humai­ne­ment par­lant, d’autre solu­tion que de se par­ler – ou alors il faut qu’une grâce infuse du Bon Dieu soit accor­dée à nos inter­lo­cu­teurs. D’où, et c’est pour nous une rai­son fon­da­men­tale, cette volon­té d’aborder le pro­blème avec le Saint- Siège pour le résoudre. Ce qui ne veut pas dire : résoudre le pro­blème comme peut l’entendre l’opinion com­mune, à savoir : on fait un accord et tout est réglé. Car on peut se dire la Fraternité Saint Pie X est en dis­pute avec l’autorité romaine, or cette auto­ri­té romaine main­te­nant est dis­po­sée à entrer en négo­cia­tion pour faire un accord, donc faites un accord et tout est réglé. Ce rai­son­ne­ment pré­sup­pose que nous posons un pro­blème à Rome, un pro­blème certes, mais nous ne sommes pas le pro­blème. Nous ne sommes qu’un indi­ca­teur. Notre situa­tion n’est que la consé­quence du pro­blème majeur dans l’Eglise. Et, jusqu’ici, on avait l’impression que les auto­ri­tés dans l’Eglise – la hié­rar­chie en géné­ral, pas seule­ment Rome, mais aus­si les évêques dio­cé­sains – ne vou­laient pas voir ce pro­blème qui pour nous est une évi­dence : il y a un pro­blème dans l’Eglise, et un pro­blème majeur. Alors quand on entend le Pape actuel, et, dans les années récentes, le car­di­nal Ratzinger, recon­naître qu’il y a une grave crise dans l’Eglise, d’une cer­taine manière cela nous conforte et nous redonne espoir. Parce que évi­dem­ment si on veut cher­cher les solu­tions, il faut d’abord recon­naître qu’il y a un pro­blème. C’est pour­quoi je pense qu’on avance. Et c’est sur ce chemin-​là qu’il faut conti­nuer pour arri­ver à la vraie solu­tion. Il est vrai que le car­di­nal Ratzinger est proche du dos­sier depuis long­temps. En ce sens-​là, c’est un de ceux qui est, peu­têtre, le plus sus­cep­tible de per­ce­voir le problème.

Cette avan­cée a‑t-​elle connu un saut qua­li­ta­tif avec le chan­ge­ment de pon­ti­fi­cat, ou n’est-ce que la suite d’une pro­gres­sion com­men­cée depuis longtemps ? 

Un peu des deux. Je pense qu’il y a une pro­gres­sion avec le nou­veau Pape. Est-​elle qua­li­ta­tive ? Je l’espère… Je n’en suis pas abso­lu­ment cer­tain. Mais je l’espère quand même. Le jour­na­liste ita­lien Messori raconte une petite his­toire : « Un jour, dit-​il, j’ai essayé de faire avouer à Jean- Paul II que, quand même, il y avait des choses qui n’allaient pas dans l’Eglise. Et le Pape a tapé du poing sur la table comme pour dire que tout allait bien. » Alors qu’un car­di­nal Ratzinger, de son côté, recon­nais­sait que tout n’allait pas bien. Je pense vrai­ment qu’il y a une volon­té chez Benoît XVI de frei­ner cer­taines avan­cées du Concile. Faut-​il dire les arrê­ter ? Je le pense. Les sup­pri­mer ? Je l’espère. Mais jusqu’où cela va-​t-​il ? C’est là que j’hésite à par­ler d’un saut qua­li­ta­tif, parce que je crois que, au fond, ce sont les mêmes prin­cipes qui animent Benoît XVI et Jean-​Paul II. Mais effec­ti­ve­ment il me semble que Benoît XVI veut aller moins loin. 

Jusqu’où, pour vous, va l’état de néces­si­té – quand on voit Campos, pour lequel on sait vos réserves, ou, plus géné­ra­le­ment, les lieux de culte accor­dés ici ou là, plus fré­quem­ment ces der­niers temps ? Où placez-​vous la barre ? 

L’état de néces­si­té est un état dans lequel on est obli­gé de faire appel à des moyens qui sortent de l’ordinaire pour sur­vivre. Autrement dit, si en sui­vant les ordres qui nous seront don­nés dans la struc­ture cano­nique qu’on vou­dra bien nous offrir, on nuit au bien des âmes au niveau de la foi ou de la litur­gie, etc., cela s’appellera un état de néces­si­té. Il n’y aura plus d’état de néces­si­té au moment où les prêtres et les fidèles atta­chés à la Tradition pour­ront vivre d’une manière nor­male, et avoir un déve­lop­pe­ment nor­mal de leur vie catho­lique. Cela ne veut pas dire qu’alors il n’y aura plus aucun désordre dans l’Eglise. Mais c’est d’abord une ques­tion de droit : si les prin­cipes sont éta­blis clai­re­ment dans l’Eglise – si par exemple le Pape dit : la Tradition a le droit de vivre –, en ce cas on ne pour­ra plus par­ler d’état de néces­si­té. Est-​ce qu’un sta­tut cano­nique comme celui de Campos sup­prime l’état de néces­si­té ? Je n’en suis pas sûr… Parce que ce sta­tut est sou­mis à des condi­tions et les condi­tions sont tou­jours les mêmes : l’acceptation de la nou­velle messe et du Concile… C’est là qu’est le pro­blème. Car disons-​le fran­che­ment : pour­quoi tant de fidèles viennent-​ils vers nous ? La plu­part parce qu’ils ont été heur­tés par la litur­gie conci­liaire. Ils ont fait alors un pas qui leur a coû­té énor­mé­ment, parce qu’on les a cho­qués. Maintenant, ils ont retrou­vé la paix grâce à la litur­gie tra­di­tion­nelle, et on leur dirait : nous allons nor­ma­li­ser votre situa­tion, vous pour­rez avoir cette messe tri­den­tine, mais il fau­dra que vous accep­tiez l’autre qui vous a fait mal. Autrement dit, si vous vou­lez avoir une situa­tion nor­ma­li­sée, vous êtes obli­gés d’accepter comme norme qu’on puisse vous heur­ter. C’est dur à accepter.

Mais si vous accep­tez les dis­cus­sions actuelles, la solu­tion, à vue humaine, peut-​elle ne pas pas­ser par une coha­bi­ta­tion ? Il semble dif­fi­cile d’obtenir d’un seul coup une inver­sion… Et, dans une même mai­son, la règle doit être com­mune. Ou alors ce sont deux mai­sons parallèles. 

Tout à fait. Je dis­tingue deux choses : le prin­cipe et ses consé­quences cou­rantes. Par exemple, dans une mai­son, vous avez une fuite de gaz qui ali­mente un incen­die. Du moment que vous avez cou­pé le gaz, l’incendie va encore durer un peu, mais il fini­ra par s’éteindre. C’est ce que nous deman­dons : que l’on s’attaque à la cause, que l’on coupe le gaz. Même s’il y a encore du feu à ce moment-​là, nous serons d’accord pour coopé­rer ; mais il faut que le prin­cipe des­truc­teur soit iden­ti­fié et que le gaz soit effec­ti­ve­ment coupé. 

Mais ce n’est qu’une analogie… 

Ah non, non… C’est beau­coup plus qu’une ana­lo­gie. Les prin­cipes de la Tradition doivent être réta­blis. Tant que ces prin­cipes ne sont pas réta­blis, nous ne pou­vons pas coopé­rer. Ce serait coopé­rer à l’incendie en lais­sant intacts les prin­cipes de destruction.

C’est au moins une énorme dif­fé­rence de pers­pec­tive. Ces prin­cipes que vous dénon­cez, sont ceux qu’ils consi­dèrent comme habi­tuels ; et non comme une fuite de gaz… 

Justement. Il faut pro­fi­ter de ces dis­cus­sions pour ame­ner les auto­ri­tés romaines à une éva­lua­tion de la situa­tion dif­fé­rente. La dif­fé­rence de pers­pec­tive n’est pas totale ; il y a déjà des per­son­na­li­tés, à Rome et par­mi les évêques, qui ont par­fai­te­ment com­pris cette situa­tion et ses causes. Concrètement : ça va mal dans l’Eglise, il n’y a plus de voca­tions, on fait n’importe quoi en litur­gie, le caté­chisme n’existe plus, les écoles catho­liques on peut les cher­cher… Tout cela veut dire que la vie catho­lique d’aujourd’hui est mori­bonde. Il y a des causes. Et nous disons : tant que vous lais­sez en vigueur ces causes, cela ne sert à rien de coopé­rer. Mettons-​nous d’accord. Travaillons à sup­pri­mer ces causes. Si nous sen­tions du côté de Rome cette volon­té, nous répon­drions pré­sent tout de suite. Tant que Rome nous dira : venez tra­vailler, mais laissez-​vous cou­per des prin­cipes de la Tradition, c’est impossible. 

La ques­tion de la messe, qui est le point le plus simple de vos demandes, vous paraît pou­voir être libé­ra­li­sée de façon par­tielle. Pourquoi êtes-​vous aus­si opti­miste, que vous pen­siez qu’il y en ait une ? Et aus­si pes­si­miste que vous pen­siez qu’elle ne soit pas com­plète ? Et qu’est-ce qu’une libé­ra­li­sa­tion partielle ?

Je me fonde sur ce qui s’est pas­sé jusqu’ici. On voit très bien que Rome – le Pape et cer­tains pré­lats – a par­fai­te­ment com­pris que l’ancienne messe ne peut pas être inter­dite, qu’il n’y a pas d’arguments théo­lo­giques, pas d’arguments cano­niques qui per­mettent d’interdire cette messe. C’est une ques­tion de droit. Et comme Rome sait cela, nous concluons qu’un jour ou l’autre il y aura une libé­ra­li­sa­tion. Ne pas per­mettre cette situa­tion de droit, c’est une injus­tice. Alors pour­quoi pas une libé­ra­li­sa­tion totale ? Parce que ces mêmes auto­ri­tés, qui d’un côté recon­naissent ce prin­cipe, d’un autre côté se voient extrê­me­ment gênées par l’attitude des pro­gres­sistes, et craignent une réac­tion qui leur ferait perdre peut-​être jusqu’au contrôle de l’Eglise. Ce sont leurs propres paroles. D’où, une per­mis­sion plus ample que celle d’aujourd’hui, parce qu’ils voient bien que l’indult est actuel­le­ment beau­coup trop dépen­dant de la mau­vaise volon­té des évêques pour qu’on puisse même par­ler d’une per­mis­sion. Il faut davan­tage de liber­té, mais pas trop de liber­té pour ne pas trop exci­ter les pro­gres­sistes. C’est un compromis.

Comment pour­rait s’exprimer cette libé­ra­li­sa­tion par­tielle dans la pratique ?

Très sim­ple­ment. Nous deman­dons que soit recon­nu le droit de l’Eglise. Puisque c’est une ques­tion de droit, recon­nais­sez le droit. Dites sim­ple­ment : cette messe n’est pas inter­dite. C’est tout ; et puis après voyez ce qui va se pas­ser. Laissez faire l’expérience de la Tradition.

Et qu’est-ce qui ferait qu’elle ne serait que partielle ?

L’opposition des ordi­naires qui, pour une part, se dressent contre cette messe, parce qu’ils y voient la néga­tion du Concile et des réformes et, pour une autre part, peut-​être plus prag­ma­tique, qui voient dans cette libé­ra­li­sa­tion un pos­sible chaos dans les dio­cèses. Ce que je ne crois pas per­son­nel­le­ment, mais cer­tains semblent le per­ce­voir ain­si. Pour nous, il n’est pas ques­tion de gagner ou de perdre. C’est beau­coup plus pro­fond. Nous voyons dans cette messe un prin­cipe de solu­tion pour sor­tir de la crise. Ce n’est pas une simple ques­tion litur­gique : c’est le sacri­fice de Notre Seigneur dans une litur­gie sainte, c’est un remède extrê­me­ment puis­sant pour réta­blir la vie de la grâce, pour res­tau­rer les prin­cipes catho­liques, la foi, les exi­gences morales, qui en rela­ti­ve­ment peu de temps chan­ge­raient ce cli­mat délé­tère, cet esprit moderne dans l’Eglise qui démo­lit tout. C’est pour cela que nous deman­dons la messe. Pas pour nous puisque nous l’avons déjà, mais pour l’Eglise, pour toutes ces âmes qui souffrent, assoif­fées, asphyxiées, afin qu’elles puissent res­pi­rer à nou­veau. Bien sûr, cela nous fera du bien à nous aus­si, mais d’abord cela fera du bien à l’Eglise. Encore une fois nous ne sommes pas le pro­blème. Mais nous pour­rions appor­ter une par­tie de la solu­tion au pro­blème majeur de l’Eglise.

Si la Fraternité était per­çue comme une pierre d’achoppement, est-​ce que vous iriez, pour cela, jusqu’à la dis­soudre, pour apai­ser les esprits, si vous obte­niez ce que vous recherchez ?

Je ne pense pas que ce soit la solu­tion. Comme Mgr Lefebvre nous le disait, une fois le Pape reve­nu, nous dépo­se­rons entre ses mains notre épis­co­pat. Nous sommes tout à fait dis­po­sés à le faire. Mais on voit très bien que Rome essaye de nous favo­ri­ser, parce qu’elle per­çoit en nous un bien poten­tiel pour l’Eglise. Ce serait donc contre-​productif de dire : on va détruire ce bien poten­tiel pour le bien de l’Eglise. C’est même contradictoire.

Mais cette solu­tion ne se rédui­rait pas à la stricte posi­tion de la Fraternité. Il y a les com­mu­nau­tés Ecclesia Dei, même si on peut dis­cu­ter sur cer­tains points… 

Quand nous trai­tons avec Rome, nous ne trai­tons jamais dans une pers­pec­tive limi­tée à la Fraternité. Nous avons au moins en vue le bien de toutes les com­mu­nau­tés atta­chées à la Tradition. Nous ne pou­vons pas ima­gi­ner vou­loir faire un petit accord sépa­ré, et lais­ser les autres en plan.

Vous dites qu’il n’y a pas de « négo­cia­tions » avec Rome…

Il n’y a pas de négo­cia­tions dans le sens où nous n’avons rien à négo­cier. La foi est simple, on ne peut pas la décou­per en mor­ceaux, c’est tout ou rien. Nous, nous vou­lons tout. Et ce tout, nous avons le droit de le rece­voir de l’Eglise, et c’est ce que nous récla­mons. Rien de plus, mais rien de moins.

C’est là les « sérieuses res­tric­tions » que vous avez déjà évo­quées à pro­pos de vos dis­cus­sions avec Rome ?

Oui. A tout ce qui sera comme un amoin­dris­se­ment de notre foi, nous sommes obli­gés de dire non.

Il y a donc au moins le point de la per­cep­tion du Concile qui achoppe ?

Il n’y a aucun doute, c’est la pierre d’achoppement.

Et le Pape le per­çoit comme tel ? 

Il le per­çoit comme une sérieuse pierre d’achoppement, oui !

Mais un point sur lequel il accep­te­rait de négocier ?

Je pense que oui. Dans le sens où le concile Vatican II est recon­nu comme n’étant pas du domaine du défi­ni­tif. C’est un concile qui s’est vou­lu pas­to­ral, qui jamais ne s’est dit infaillible, et qui par là même peut être sujet à dis­cus­sion. Et puisqu’il est ain­si dis­cu­table – un peu comme pour l’ancienne messe qui n’a jamais été sup­pri­mée, et dont nous deman­dons le droit de la célé­brer libre­ment –, eh bien, pour ce concile nous deman­dons la liber­té de le dis­cu­ter. En pré­ci­sant que c’est lui-​même qui s’est vou­lu pas­to­ral et non dog­ma­tique, donc lié à des cir­cons­tances par­ti­cu­lières, concrètes. Il est his­to­ri­que­ment dépas­sable, par sa nature même. On peut en dis­cu­ter, il ne faut pas en faire un dogme. 

A terme, on ne peut pas faire comme si le Concile n’avait pas exis­té. On ne peut pas se retrou­ver à 1958… 

Non. On se retrou­ve­ra en 2006, 2007, 2008… On se retrou­ve­ra aujourd’hui. L’Eglise doit se rele­ver de l’état pitoyable dans lequel elle se trouve, à l’époque qui est la nôtre. 

Et que pourra-​t-​elle reti­rer de cette expérience ?

Elle en reti­re­ra d’une part que la fidé­li­té au pas­sé est fruc­tueuse et d’autre part que l’amour du monde est sté­rile… Le Bon Dieu va-​t-​il inter­ve­nir pour faire la leçon ? Ce n’est pas impos­sible. Je ne l’exclus pas. Mais avec tremblement. 

Et les bonnes choses, les déve­lop­pe­ments qui ont pu être faits dans ce cadre géné­ral que vous n’acceptez pas…

Eh bien, les déve­lop­pe­ments heu­reux seront conser­vés. L’Eglise est suf­fi­sam­ment sage, elle est gui­dée par l’Esprit-Saint, elle sau­ra gar­der les bonnes choses.

Pourriez-​vous main­te­nant nous don­ner votre sen­ti­ment sur les évé­ne­ments qui ont secoué la Fraternité, et qui, s’ils n’ont peut-​être pas beau­coup d’importance pour vous, ont fait quelque bruit à l’extérieur ?

Cela a fait du bruit, c’est évident. Et je vous réponds volon­tiers. D’une part, d’une manière glo­bale, la situa­tion de la Fraternité est saine, mal­gré cer­taines appa­rences loca­le­ment. Il y a eu, sur des points sen­sibles, effec­ti­ve­ment quelques troubles, qui, du poste qui est le mien, sont des pro­blèmes qui ne sortent pas de l’ordinaire. Dans toute famille un peu nom­breuse, de temps en temps il y a des pro­blèmes humains. Ici le pro­blème a été gon­flé média­ti­que­ment, parce que, pré­ci­sé­ment, les prêtres qui nous ont quit­tés ont une puis­sance média­tique remar­quable. Ce sont des gens doués… Il est triste de les perdre.

Et il n’y a rien qui puisse jus­ti­fier leur posi­tion ? Est-​ce qu’on peut s’interroger au sein d’une socié­té comme la vôtre – même si, à la rigueur, cette ques­tion n’a pas lieu d’être – sans que cela pro­voque pareille affaire ?

Evidemment ! cela se pro­duit tous les jours. Seulement, dans n’importe quelle socié­té, il y a des règles. Du club de foot­ball à l’entreprise, dans n’importe quelle socié­té, vous avez un cer­tain nombre de lois qu’il faut res­pec­ter, même quand il y a des pro­blèmes. Mais lorsqu’il s’agit d’exposer ces pro­blèmes, si l’on veut jouer au franc-​tireur, si l’on veut « cas­ser la baraque », cela oblige l’autorité à pro­té­ger le bien com­mun, le bien de la socié­té contre ces attaques. Il ne s’agissait pas d’une simple contes­ta­tion : les actes étaient, en soi, graves. Et c’est ce qui a pro­vo­qué des mesures graves de la part de l’autorité.

Mais ne pourrait-​on pas dire que la Fraternité, lorsqu’elle invoque l’état de néces­si­té vis-​à-​vis de Rome, a mon­tré la voie à ceux de ses membres qui, ensuite, estiment qu’il y a une situa­tion sem­blable au sein de votre société ? 

C’est un dan­ger inhé­rent à notre situa­tion. Jamais nous ne pré­ten­drons que notre situa­tion actuelle est une situa­tion nor­male par rap­port à Rome. Il est vrai que cette situa­tion dans laquelle nous nous trou­vons ouvre la porte à de telles com­pa­rai­sons, même si elles ne sont pas jus­ti­fiées. Je vou­drais sim­ple­ment dire qu’il ne faut pas consi­dé­rer uni­que­ment les actes posés, il y a aus­si le motif qui ins­pire ces actes. Nous pen­sons que, dans ce qui s’est fait et dit, il y a suf­fi­sam­ment d’éléments pour qu’un fidèle puisse se faire un jugement.

Vous don­nez l’impression d’être, en géné­ral, opti­miste. Qu’est-ce qui, en dehors de votre natu­rel peut-​être, vous donne cet optimisme ?

La foi ! La foi me donne des cer­ti­tudes. Dieu ayant pro­mis son assis­tance à l’Eglise, ne l’abandonnera pas. Je vois l’Eglise dans la peine, je vois l’Eglise qui souffre, et je sais, par la foi, que cet état ne dure­ra pas, que cette crise qui fait mal aux âmes, sera sur­mon­tée. Il y en aura d’autres parce que je sais aus­si que l’Eglise est mili­tante, qu’elle est au milieu d’un monde qui ne l’aime guère ; il y aura donc d’autres souf­frances qui seront aus­si sur­mon­tées. Mon opti­misme est vrai­ment dans le Seigneur. C’est toute notre reli­gion qui nous l’apprend en nous fai­sant chan­ter que notre joie est dans le Nom du Seigneur, notre force, notre aide est dans le Nom du Seigneur. La rai­son de mon opti­misme est là.

Et cela se renforce-​t-​il pratiquement ? 

Je vois une ligne géné­rale. Depuis plu­sieurs années, on constate qu’on arrive au creux de la vague. Je pense même qu’on est déjà en train de remon­ter. Tout d’abord, la géné­ra­tion des hommes du Concile est en train de dis­pa­raître. Le Bon Dieu les rap­pelle à lui. La géné­ra­tion sui­vante, qui n’a pas connu le Concile ou de façon indi­recte seule­ment, n’y est pas atta­chée comme celle qui l’a pré­cé­dée. Ces jeunes prêtres res­sentent un vide ; ils cherchent. Et ils se rendent compte aus­si que nous ne connais­sons pas ce sen­ti­ment de vide, parce que nous avons une solu­tion.
C’est une don­née objec­tive. On le constate tous les jours : le nombre de prêtres, reli­gieux, reli­gieuses, qui s’adressent à nous aug­mente. Tout comme le nombre d’évêques qui nous mani­festent leur sym­pa­thie. Pour l’heure, ces évêques res­tent silen­cieux ; cer­tains sont fran­çais… On reçoit des témoi­gnages de prêtres et de fidèles qui montrent bien que, sans que nous y soyons pour grand­chose, nous sommes pour eux un espoir. Pas nous bien sûr, mais notre mode de vie, ce que nous fai­sons, ce à quoi nous tenons… Il y a même des vicaires géné­raux qui nous disent : tenez bon, vous êtes notre seul espoir… C’est assez nou­veau… Et c’est en aug­men­ta­tion ; c’est un peu comme les pre­mières herbes dans le désert. Pas encore la prai­rie, mais il y a les brin­dilles qui com­mencent à sor­tir. Pas tout à fait le prin­temps, il n’y a pas encore assez d’hirondelles. Mais on devine que ça vient ! 

Il y a donc une cer­taine satisfaction ?

Si nous mani­fes­tons pour une part encore un enthou­siasme assez réser­vé, c’est que nous ne vou­drions pas que des prêtres et des fidèles, après un enthou­siasme exces­sif, tombent dans la décep­tion. C’est un pro­ces­sus lent, il va du bon côté. Mais si on a sou­dain un enthou­siasme exa­gé­ré et qu’il est déçu, il dif­fi­cile de se relever.

Il en faut tout de même un peu…

Bien sûr… Encore une fois on va dans la bonne direc­tion. Il y a un an à peu près le car­di­nal Castrillon Hoyos me disait son décou­ra­ge­ment. Je lui répon­dais : je ne suis pas décou­ra­gé. Je constate que cela avance du bon côté. C’est lent, mais c’est dans les mains du Bon Dieu. 

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FSSPX Premier conseiller général

De natio­na­li­té Suisse, il est né le 12 avril 1958 et a été sacré évêque par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988. Mgr Bernard Fellay a exer­cé deux man­dats comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X pour un total de 24 ans de supé­rio­rat de 1994 à 2018. Il est actuel­le­ment Premier Conseiller Général de la FSSPX.