L’herméneutique de la rupture et celle de la continuité

Extrait du Rocher n° 70, Bulletin du District de Suisse, com­men­taires de l’ab­bé Henry Wuilloud

Dans un article de la revue ita­lienne de la Tradition SiSiNoNo, repris en fran­çais par le Courrier de Rome, Don Davide Pagliarani, supé­rieur du dis­trict d’Italie s’en prend à la notion à la mode dans les milieux conser­va­teurs de l’Eglise qui est : « l’herméneutique de la continuité ».

Dans un article de la revue ita­lienne de la Tradition SiSiNoNo, repris en fran­çais par le Courrier de Rome[1], Don Davide Pagliarani, supé­rieur de dis­trict d’Italie s’en prend à la notion à la mode dans les milieux conser­va­teurs de l’Eglise qui est : « l’herméneutique de la conti­nui­té »[2], ce terme peu usi­té veut sim­ple­ment dire que le Concile Vatican II doit pou­voir jouir d’une inter­pré­ta­tion allant dans le sens de la Tradition. Interprétation qui devrait per­mettre une sorte de retour à « droite »[3] à l’Eglise contre un cou­rant hété­ro­doxe incom­pa­tible avec la doc­trine catholique.

Pourtant si l’emballage peut paraître sédui­sant, lorsque Don Davide se met à ana­ly­ser la logique interne d’une telle inter­pré­ta­tion, il prouve que le pape Benoît XVI n’a rien réso­lu en fai­sant l’apologie de cette inter­pré­ta­tion lors de son dis­cours pro­gramme du 22 décembre 2005 [Voir enca­dré ci-​dessous]. Permettez-​moi de vous trans­mettre quelqu’un de ses argu­ments, tout en vous sol­li­ci­tant de lire le texte original.

Tout d’abord le Concile Vatican II avait la pré­ten­tion d’être « pas­to­ral », ce qui veut dire qu’il vou­lait dire les véri­tés chré­tiennes mais à la manière de son temps. Ce qui devait être simple devient tout d’un coup incom­pré­hen­sible car un groupe – mal­heu­reu­se­ment non défi­ni – va inter­pré­ter tout à l’envers et ce sera l’« her­mé­neu­tique de la rupture » !

Le magis­tère est la source la plus proche de la foi, et son rôle pri­mor­dial consiste à nous dire et nous faire com­prendre ce qu’il faut pour être bon chré­tien et sau­ver son âme. Or après 40 ans, un pape vient nous dire que ce Concile n’a pas bien été inter­pré­té et qu’il doit être repris mais sur une autre base. Donc conclut notre abbé, c’est évident, ce Concile a échoué dans son but spé­ci­fique. Car un concile qui ne veut rien d’autre qu’interpréter (être pas­to­ral), c’est-à-dire four­nir des réponses claires, sûres et acces­sibles ; et qu’un pape qua­rante ans plus tard invoque une juste inter­pré­ta­tion, cela signi­fie que le concile a échoué dans sa « pastoralité ».

On objec­te­ra que d’autres conciles ont ren­con­tré des dif­fi­cul­tés à être appli­qués, on songe aux conciles de Nicée ou de Trente. Mais à l’opposé de Vatican II, ce n’est pas l’obscurité de l’herméneutique de ces conciles qui pécha, au contraire, c’est leur clar­té dog­ma­tique et dis­ci­pli­naire qui effraya une par­tie du cler­gé et de l’Eglise réti­cents aux réformes catho­liques et aux sacri­fices qu’ils exi­geaient. Cela change tout !

Ainsi le concile ne fut pas clair, puis­qu’aux dires du pape, il avait besoin d’éclaircissements : c’est-à-dire une her­mé­neu­tique de la continuité.

Mais le magis­tère sui­vant le concile ne fut pas moins clair et défi­cient, puisque cer­taines écoles théo­lo­giques dénon­cées par le pape Benoît XVI ont répan­du une her­mé­neu­tique de la rup­ture, et cela sans que le magis­tère d’alors (spé­cia­le­ment Paul VI et Jean-​Paul II) n’ait réagi.

Donc en bonne logique, « l’herméneutique de la conti­nui­té, en enten­dant sau­ver a prio­ri le magis­tère du concile, condamne indi­rec­te­ment, avec une inten­si­té pro­por­tion­nelle à cette inten­tion, le magis­tère qui aurait dû en garan­tir la juste inter­pré­ta­tion, et en un cer­tain sens, elle déclare son inca­pa­ci­té à inter­ve­nir effi­ca­ce­ment. » Oui ni le concile ni le magis­tère pos­té­rieur n’ont rem­pli leur mis­sion, voi­là ce que dit le pape 40 années après le clô­ture de ce concile.

Mais après une telle affir­ma­tion, on doit se poser la ques­tion de l’obéissance, celle récla­mée durant ces mêmes années aux catho­liques de Tradition, sur quelle her­mé­neu­tique portait-​elle donc ?

L’abbé Pagliarani ana­lyse dans le même sens l’aveu de Mgr Pozzo[4] qui affirme que la pre­mière cause de l’herméneutique de la rup­ture pro­vient de la renon­cia­tion à l’anathème :

« en toute hon­nê­te­té, il appa­raît comme une inter­pré­ta­tion for­cée d’accuser l’après-concile d’avoir renon­cé aux ana­thèmes, quand le texte du Concile n’en contient pas un seul. »

La conclu­sion la plus inté­res­sante de cette étude est celle qui affirme que l’herméneutique de la conti­nui­té prouve la non-​infaillibilité du concile Vatican II… et oui, et tout sim­ple­ment parce qu’un texte infaillible ne peut de soi plus être inter­pré­té. Encore une fois c’est logique ! Soit le texte est infaillible soit l’interprétation l’est, mais pas les deux en même temps. Ainsi appli­qué, soit le concile est infaillible soit son inter­pré­ta­tion… mais on ne sait pas encore qui va la don­ner ! Mais alors sans défi­ni­tion défi­ni­tive… pas d’obligation contrai­gnante de croire. Pour sau­ver le concile, il fau­dra donc trou­ver autre chose, et pour­quoi pas les for­mules dog­ma­tiques clas­siques de la Tradition éter­nelle et constante de l’Eglise !

Abbé Henry Wuilloud

Extrait du Rocher n° 70 d’avril-​mai 2011

Deux her­mé­neu­tiques qui sont entrées en conflit

« La ques­tion sui­vante appa­raît : pour­quoi l’ac­cueil du Concile, dans de grandes par­ties de l’Eglise, s’est-​il jus­qu’à pré­sent dérou­lé de manière aus­si dif­fi­cile ? Eh bien, tout dépend de la juste inter­pré­ta­tion du Concile ou – comme nous le dirions aujourd’­hui – de sa juste her­mé­neu­tique, de la juste clef de lec­ture et d’ap­pli­ca­tion. Les pro­blèmes de la récep­tion sont nés du fait que deux her­mé­neu­tiques contraires se sont trou­vées confron­tées et sont entrées en conflit. (…) D’un côté, il existe une inter­pré­ta­tion que je vou­drais appe­ler « her­mé­neu­tique de la dis­con­ti­nui­té et de la rup­ture » ; celle-​ci a sou­vent pu comp­ter sur la sym­pa­thie des mass media, et éga­le­ment d’une par­tie de la théo­lo­gie moderne. D’autre part, il y a 1″“herméneutique de la réforme », du renou­veau dans la conti­nui­té de l’u­nique sujet-​Eglise, que le Seigneur nous a donné. »

Extrait du dis­cours du pape Benoît XVI le 22 décembre 2005

Notes de bas de page

  1. Numéro 337 d’oc­tobre 2010 ; cet article résume en par­tie l’in­ter­ven­tion de Don Davide Pagliarani au Congrès rela­té dans l’ar­ticle pré­cé­dent.[]
  2. Herméneutique : qui signi­fie.[]
  3. La notion droite /​gauche ne convient de soi pas à l’Eglise, elle est au Christ, mais 40 ans de moder­nisme fait que l’on trouve toutes les ten­dances dans l’église conci­liaire.[]
  4. Wigratzbad : confé­rence à la Fraternité Saint-​Pierre le 2 juillet 2010.[]