Aide-​mémoire sur le concile Vatican II – Arnaud de Lassus

Du fait du cin­quan­tième anni­ver­saire du concile Vatican II qui sera célé­bré le 11 octobre 2012, de nom­breuses confé­rences se tiennent dans la plu­part des dio­cèses pour faire l’é­loge de ce Concile.

Comment réagir à l’é­gard d’une telle pro­mo­tion d’un évè­ne­ment majeur de l’his­toire de l’Église ? Serait-​il aus­si béné­fique qu’on le pré­tend ? Pour répondre à la ques­tion, les fidèles dis­posent d’une mul­ti­tude d’é­tudes de fond ; mais ils trouvent le plus sou­vent que celles-​ci, en géné­ral rédi­gées par des théo­lo­giens, ne sont pas vrai­ment à la por­tée du grand public catho­lique qui dis­pose de peu de temps et dont les connais­sances reli­gieuses se limitent au catéchisme.

D’où l’u­ti­li­té d’un docu­ment don­nant, sur Vatican II, non pas l’es­sen­tiel du sujet mais quelques aspects impor­tants per­met­tant de se faire un juge­ment. Tel est l’ob­jet du pré­sent aide-mémoire.

1. Chronologie du concile Vatican II

Le deuxième concile du Vatican s’est ouvert le 11 octobre 1962 et a été clos le 8 décembre 1965. Il a com­por­té quatre sessions :

  • 1re ses­sion : 11 octobre – 8 décembre 1962
  • 2e ses­sion : 29 sep­tembre – 4 décembre 1963
  • 3e ses­sion : 14 sep­tembre – 21 novembre 1964
  • 4e ses­sion : 14 sep­tembre – 8 décembre 1965

Vingt et unième concile de l’his­toire de l’Église, le concile Vatican II réunis­sait 2 250 évêques pour son ouver­ture et en moyenne 2 400 pour chaque session.

2. Historique du concile Vatican II

25 jan­vier 1959 – Annonce de l’ou­ver­ture d’un pro­chain concile par Jean XXIII, pape depuis trois mois. Ce fut une sur­prise ; en effet Pie XI en 1923 et Pie XII en 1958 avaient tous deux étu­dié puis refu­sé le pro­jet d’un nou­veau concile pour ache­ver le concile Vatican I inter­rom­pu en 1870.

1959 – Jean XXIII man­date dix com­mis­sions et deux secré­ta­riats pour rédi­ger les sché­mas pré­pa­ra­toires du concile. La com­mis­sion doc­tri­nale est diri­gée par le car­di­nal Ottaviani.

12 juin 1961 – Après deux ans d’ac­ti­vi­té intense, les com­mis­sions pré­sentent 70 sché­mas. Leur nombre sera réduit à 20. Ce tra­vail de pré­pa­ra­tion était sérieux ; les sché­mas pro­po­sés par la Commission doc­tri­nale étaient d’une clar­té théo­lo­gique excel­lente. Mais, déjà, on constate, au sein de la Commission cen­trale pré­pa­ra­toire du concile, l’ac­tion de nom­breux pré­lats néo- modernistes.

[NDLR de LPL : le 25 décembre 1961, le Pape Jean XXIII signe la bulle « Humanae salu­tis » convo­quant le Concile]

11 octobre 1962 – Ouverture du concile à Rome.

13 octobre 1962 – Dès la pre­mière Congrégation géné­rale, les pré­lats néo-​modernistes d’Allemagne, d’Autriche, de France, de Hollande agissent de façon concer­tée (ils consti­tuent ce que le père Ralph Wiltgen, dans son livre Le Rhin se jette dans le Tibre, appelle Alliance euro­péenne) et se mani­festent de façon spec­ta­cu­laire. Avec leur appui, le car­di­nal Liénart demande et obtient que soit dif­fé­ré le scru­tin devant dési­gner les membres des dix com­mis­sions conci­liaires assu­rant le fonc­tion­ne­ment du concile, l’ob­jec­tif étant que soient choi­sis pour ces com­mis­sions des Pères néo-​modernistes de l’Alliance euro­péenne de pré­fé­rence aux Pères de bonne doc­trine ayant eu une part active aux tra­vaux pré­pa­ra­toires du concile.

20 octobre 1962 – L’Alliance euro­péenne obtient 49 % des sièges des 16 com­mis­sions de 24 membres consti­tuant l’ar­ma­ture du concile. L’Alliance euro­péenne réus­si­ra à faire reje­ter tous les sché­mas pré­pa­ra­toires, sauf celui sur la litur­gie. Le tra­vail remar­quable de pré­pa­ra­tion effec­tué entre 1959 et 1962 était ain­si réduit à néant.

3 juin et 21 juin 1963 – Mort de Jean XXIII et élec­tion de Paul VI.

Octobre 1963 – Commence à se for­mer une résis­tance orga­ni­sée à l’Alliance euro­péenne. Elle pren­dra le nom de Coetus Internationalis Patrum ; y appar­tiennent Mgr de Proença Sigaud, Mgr Lefebvre, Mgr Carli. Elle se fait sur­tout entendre à par­tir de 1964. Le concile Vatican II, à par­tir de 1964, est ain­si carac­té­ri­sé par un conflit entre un groupe nom­breux de pré­lats néo-​modernistes et un groupe mino­ri­taire de pré­lats de bonne doctrine.

29 octobre 1963 – La ques­tion sui­vante est sou­mise au vote des pères conci­liaires : « Plaît-​il aux pères conci­liaires que le sché­ma sur la très Sainte Vierge, Mère de l’Église, soit révi­sé de manière à deve­nir le cha­pitre 6 du sché­ma sur l’Église ? »

La réponse est « oui ». En voi­ci la consé­quence, selon l’ab­bé Berto : « Le funeste vote (du 29 octobre 1963) apos­ta­siant l’Évangile des noces de Cana, loin d’in­vi­ter la sainte Vierge, lui avait signi­fié son congé. Elle encom­brait ! La Vierge Marie encom­brait le Concile qui l’in­vi­tait à sor­tir. Oh ! Elle ne se l’est pas fait dire deux fois ! La terre n’a pas trem­blé, la foudre n’est pas tom­bée sur Saint-​Pierre. Elle est sor­tie dis­crè­te­ment, dans un pro­fond silence ; seule­ment si dis­crè­te­ment qu’Elle n’a pas dit » Vinum non habent » (ils n’ont plus de vin) ; et les des­tins de la deuxième ses­sion ont été scellés. »

30 octobre 1963 – Autre ques­tion sou­mise au vote des Pères conci­liaires : faut-​il révi­ser le sché­ma sur l’Église de manière à pré­ci­ser que le pou­voir plein et suprême sur l’Église uni­ver­selle appar­tient – de droit divin – au Collège des évêques unis à son chef ? Le résul­tat est une vic­toire pour les libé­raux : 1717 oui contre 408 non.

16 novembre 1964 – Paul VI fait ajou­ter une « note expli­ca­tive pré­li­mi­naire » au sché­ma sur l’Église (mais sans que le sché­ma lui-​même soit rectifié).

21 novembre 1964 – Clôture de la troi­sième ses­sion. Dans son allo­cu­tion de clô­ture, Paul VI attri­bue à la Vierge Marie le titre de Mère de l’Église.

9 novembre 1965 – Une lettre-​pétition de Mgr Carli en vue de faire condam­ner le com­mu­nisme reçoit le sou­tien de 450 Pères conci­liaires. Malgré plu­sieurs efforts, cette demande n’est pas sui­vie d’effet.

7 décembre 1965 : Vote défi­ni­tif pour l’a­dop­tion du sché­ma sur la liber­té reli­gieuse : 2308 voix l’ap­prouvent, 70 le refusent. Dans le conflit entre l’Alliance euro­péenne (pré­lats néo-​modernistes) et le « Coetus Internationalis Patrum », les néo-​modernistes sortent vainqueurs.

8 décembre 1965 : Clôture du Concile.

3. Liste des textes conciliaires

Voici la liste des seize textes pro­mul­gués par le concile Vatican II avec les abré­via­tions utilisées :

4 consti­tu­tions
1. Constitution dog­ma­tique Lumen gen­tium (LG) : l’Église.
2. Constitution dog­ma­tique Dei Verbum (DV) : la Révélation divine.
3. Constitution Sacrosanctum conci­lium (SC) : la litur­gie.
4. Constitution pas­to­rale Gaudium et spes (GS) : l’Église dans le monde de ce temps

9 décrets
1. Christus Dominus (CD) : la charge pas­to­rale des évêques.
2. Presbyterium ordi­nis (PO) : le minis­tère et la vie des prêtres.
3. Perfectate cari­ta­tis (PC) : la réno­va­tion et l’a­dap­ta­tion de la vie reli­gieuse.
4. Optatam totius Ecclesiae reno­va­tio­nem (OT) : la for­ma­tion des prêtres.
5. Apostolicam actuo­si­ta­tem (AA) : l’a­pos­to­lat des laïcs.
6. Ad Gentes (AG) : l’ac­ti­vi­té mis­sion­naire de l’Église.
7. Orientalium Ecclesiarum (OE) : les Églises orien­tales catho­liques.
8. Unitatis redin­te­gra­tio (UR) : l’œ­cu­mé­nisme.
9. Inter miri­fi­ca (IM) : les moyens de com­mu­ni­ca­tion sociale.

3 décla­ra­tions
1. Dignitatis huma­nae (DH) : la liber­té reli­gieuse.
2. Nostra aetate (NA) : les rela­tions avec les reli­gions non chré­tiennes.
3. Gravissimum edu­ca­tio­nis momen­tum (GE) : l’é­du­ca­tion chrétienne.

4. Qualification des textes conciliaires

Les consti­tu­tions sont évi­dem­ment plus impor­tantes que les décrets et ceux-​ci que les décla­ra­tions. Ces docu­ments ont-​ils des qua­li­fi­ca­tions théo­lo­giques dif­fé­rentes ? Le secré­taire géné­ral du concile, quand on lui deman­da quelle était la qua­li­fi­ca­tion théo­lo­gique de la doc­trine expo­sée dans le sché­ma De Ecclesia (qui devien­dra la Constitution sur l’Église Lumen gen­tium), ne répon­dit pas à la ques­tion et se conten­ta de citer la décla­ra­tion du 6 mars 1964 de la Commission doc­tri­nale du Concile :

« Compte tenu de l’u­sage des conciles et du but pas­to­ral du Concile actuel, celui-​ci ne défi­nit comme devant être tenus par l’Église que les seuls points concer­nant la foi et les mœurs qu’il aura clai­re­ment décla­rés tels.

Quant aux autres points pro­po­sés par le Concile, en tant qu’ils sont l’en­sei­gne­ment du magis­tère suprême de l’Église, tous et cha­cun des fidèles doivent les rece­voir et les entendre selon l’es­prit du Concile lui-​même qui res­sort soit de la matière trai­tée, soit de la manière dont il s’ex­prime, selon les normes de l’in­ter­pré­ta­tion théologique ».

Or il n’existe aucun point nou­veau concer­nant la foi et les mœurs que le Concile ait clai­re­ment défi­ni comme devant être tenu par toute l’Église.

La volon­té d’o­bli­ger étant absente des textes conci­liaires, le pape, en les pro­mul­guant, n’a pas enga­gé son pri­vi­lège d’in­failli­bi­li­té. L’enseignement de ces textes doit donc être réfé­ré au magis­tère constant (ce qui a été ensei­gné par­tout, tou­jours et par tous). C’est ce qu’a indi­qué Jean-​Paul II le 5 novembre 1979, quand, par­lant de la « doc­trine inté­grale du concile », il pré­ci­sait : « Doctrine inté­grale, c’est-​à-​dire com­prise à la lumière de la Sainte-​Tradition et réfé­rée au magis­tère constant de l’Église elle-même. »

Voici deux autres textes affir­mant que le concile Vatican II n’a défi­ni aucun dogme nouveau :

« Étant don­né le carac­tère pas­to­ral du Concile, il a évi­té de pro­non­cer d’une manière extra­or­di­naire des dogmes com­por­tant la note d’in­failli­bi­li­té, mais il a muni ses ensei­gne­ments de l’au­to­ri­té du magis­tère ordi­naire suprême. »

« La véri­té est que le Concile lui-​même n’a défi­ni aucun dogme et a tenu à se situer à un niveau plus modeste, sim­ple­ment comme un concile pas­to­ral. Malgré cela, nom­breux sont ceux qui l’in­ter­prètent comme s’il s’a­gis­sait d’un « super-​dogme » qui seul a de l’importance. »

5. Caractéristiques des textes conciliaires

Des textes ambigus

C’est ce que sou­ligne le père Calmel dans son livre Brève apo­lo­gie pour l’Église de tou­jours, où, par­lant des textes conci­liaires pris dans leur ensemble, il écrivait :

« On sait depuis long­temps que ce sont des textes de com­pro­mis. On sait encore qu’une frac­tion moder­ni­sante vou­lait impo­ser une doc­trine héré­tique. Empêchée d’a­bou­tir, elle est quand même par­ve­nue à faire adop­ter des textes non for­mels ; ces textes pré­sentent le double avan­tage pour le moder­niste de ne pou­voir être taxés de pro­po­si­tions car­ré­ment héré­tiques, mais cepen­dant de pou­voir être tirés dans un sens oppo­sé à la foi. Nous attarderons-​nous à les com­battre direc­te­ment ? Un moment nous y avions pen­sé. La dif­fi­cul­té c’est qu’ils ne donnent pas prise à l’ar­gu­men­ta­tion ; ils sont trop mous. Lorsque vous essayez de pres­ser une for­mule qui vous paraît inquié­tante voi­ci que, dans la même page, vous en trou­vez une autre entiè­re­ment irré­pro­chable. Lorsque vous cher­chez à étayer votre pré­di­ca­tion ou votre ensei­gne­ment sur un texte solide, impos­sible à tour­ner, propre à trans­mettre à votre audi­toire le conte­nu tra­di­tion­nel de la foi et de la morale, vous vous aper­ce­vez bien­tôt que le texte que vous avez choi­si au sujet par exemple de la litur­gie, ou du devoir des socié­tés à l’é­gard de la vraie Religion, ce texte est insi­dieu­se­ment affai­bli par un second texte qui, en réa­li­té, exté­nue le pre­mier alors qu’il avait l’air de le com­plé­ter. Les décrets suc­cèdent aux consti­tu­tions et les mes­sages aux décla­ra­tions sans don­ner à l’es­prit, sauf excep­tion raris­sime, une prise suffisante ».

On retrouve ici l’un des carac­té­ris­tiques des textes moder­nistes ain­si défi­nie par saint Pie X :

« Telle page de leur ouvrage pour­rait être signée par un catho­lique ; tour­nez la page, vous croyez lire un ratio­na­liste. Ecrivent-​ils l’his­toire : nulle men­tion de la divi­ni­té de Jésus-​Christ ; montent-​ils dans la chaire sacrée, ils la pro­clament hau­te­ment. Historiens, ils dédaignent Pères et Conciles ; caté­chistes, ils les citent avec honneur ».

Une ambiguïté voulue

L’ambiguïté en cause ne résulte pas d’une négli­gence mais d’une volon­té déli­bé­rée. Comme l’a remar­qué Jean Madiran :

«… les textes conci­liaires ont été com­plé­tés (dans le cas de la Nota prae­via) ou même rédi­gés d’une manière suf­fi­sam­ment tra­di­tion­nelle pour pou­voir être votés par une quasi-​unanimité, et cepen­dant d’une manière suf­fi­sam­ment astu­cieuse pour per­mettre, comme la suite l’a mon­tré, des déve­lop­pe­ments ulté­rieurs qu’à l’é­poque les pères conci­liaires auraient refusés ».

Des vérités présentées avec une mentalité moderniste

Monseigneur Gherardini explique ain­si cette carac­té­ris­tique impor­tante des textes conciliaires :

« Il ne faut pas s’i­ma­gi­ner qu’il y ait eu un bou­le­ver­se­ment géné­ral. Vatican II n’a pas inno­vé sur l’en­semble des véri­tés conte­nues dans le Credo et défi­nies par les conciles pré­cé­dents. Le pro­blème ne réside pas dans la quan­ti­té mais dans la qua­li­té (…)

La Rupture, avant de por­ter sur des matières déter­mi­nées, a por­té sur l’ins­pi­ra­tion de fond. On avait décré­té un cer­tain type d’os­tra­cisme, mais pas envers l’une ou l’autre des véri­tés révé­lées et pro­po­sées comme telles par l’Église. Ce nou­vel ostra­cisme s’at­ta­quait à une cer­taine façon de pré­sen­ter ces véri­tés. Il atta­quait donc une métho­do­lo­gie théo­lo­gique, celle de la sco­las­tique, que l’on ne tolé­rait plus. Avec un achar­ne­ment par­ti­cu­lier contre le tho­misme, consi­dé­ré par beau­coup comme dépas­sé et désor­mais très éloi­gné de la sen­si­bi­li­té et des pro­blé­ma­tiques de l’homme moderne.

On n’a­vait pas per­çu, ou pas vou­lu croire, que reje­ter saint Thomas d’Aquin et sa méthode allait entraî­ner un effon­dre­ment doc­tri­nal. L’ostracisme avait débu­té en se fai­sant sub­til, péné­trant, enve­lop­pant. Il ne met­tait à la porte per­sonne, ni aucune thèse théo­lo­gique, et encore moins cer­tains dogmes. Ce qu’il évin­çait, c’est la men­ta­li­té qui en son temps avait défi­ni et pro­mul­gué ces dogmes.(…)

Je me demande si vrai­ment tous les Pères conci­liaires se ren­daient compte qu’ils étaient objec­ti­ve­ment en train de s’ar­ra­cher à cette men­ta­li­té plu­ri­sé­cu­laire qui jus­qu’a­lors avait expri­mé la moti­va­tion de fond de la vie, de la prière, de l’en­sei­gne­ment et du gou­ver­ne­ment de l’Église.

Somme toute, ils pro­po­saient à nou­veau la men­ta­li­té moder­niste, celle contre laquelle saint Pie X avait pour­tant pris une posi­tion très nette en expri­mant son inten­tion de » ins­tau­rare omnia in Christo, res­tau­rer tout dans le Christ « » (Éph 1, 10)

6. La trilogie conciliaire

Il s’a­git de trois erreurs – liber­té reli­gieuse, col­lé­gia­li­té, œcu­mé­nisme – expo­sées dans les docu­ments de Vatican II DV, DH, LG, UR, NAE, ayant entre elles une cer­taine uni­té qui rap­pelle la tri­lo­gie révo­lu­tion­naire liberté-égalité-fraternité.

La liberté religieuse

La doc­trine conci­liaire sur la liber­té reli­gieuse, figu­rant dans la décla­ra­tion Dignitatis Humanae (DH), traite de la liber­té civile et sociale en matière reli­gieuse, c’est-​à-​dire de la liber­té civile de poser des actes reli­gieux en public indi­vi­duel­le­ment ou collectivement.

Résumé de la doctrine conciliaire

  • La liber­té de poser des actes reli­gieux publics indi­vi­duel­le­ment ou col­lec­ti­ve­ment serait un droit pour toutes les reli­gions ; droit très impor­tant puis­qu’il est consi­dé­ré comme le fon­de­ment de tous les autres droits.
  • L’État devrait res­pec­ter et faire res­pec­ter cette liber­té pour toutes les reli­gions et en limi­ter éven­tuel­le­ment l’exer­cice en fonc­tion des exi­gences soit de l”«ordre public juste » (décla­ra­tion conci­liaire), soit du bien com­mun (Catéchisme de l’Église Catholique). Ce res­pect de la liber­té reli­gieuse conduit à don­ner une liber­té poli­tique, cultu­relle, média­tique aux groupes reli­gieux de toutes les reli­gions. Cf. l’ar­ticle 4 de la décla­ra­tion conci­liaire : « La liber­té reli­gieuse demande en outre que les groupes reli­gieux ne soient pas empê­chés de mani­fes­ter libre­ment l’ef­fi­ca­ci­té sin­gu­lière de leur doc­trine pour orga­ni­ser la socié­té et vivi­fier toute l’ac­ti­vi­té humaine. »
  • L’État devrait s’abs­te­nir de toute dis­cri­mi­na­tion pour motif religieux.

Opposition entre doctrine conciliaire et doctrine traditionnelle

Elle se mani­feste, en par­ti­cu­lier, sur les deux points suivants :

  • Première oppo­si­tion : sur le droit à la liber­té reli­gieuse : selon la doc­trine conci­liaire, la liber­té reli­gieuse (liber­té de poser des actes reli­gieux publics indi­vi­duels ou col­lec­tifs) est un droit de la per­sonne, quelle que soit sa reli­gion. Ce droit doit être ins­crit dans la loi. Selon la doc­trine tra­di­tion­nelle, la liber­té reli­gieuse (pour les fausses reli­gions) ne doit jamais être consi­dé­rée comme un droit, encore moins être ins­crite dans la loi comme un droit ; mais elle peut faire l’ob­jet d’une tolérance.
  • Deuxième oppo­si­tion : sur le rôle de l’État : selon la doc­trine conci­liaire, l’État ne doit pas pri­vi­lé­gier la vraie reli­gion (car il ne doit pas éta­blir de dis­cri­mi­na­tion pour motif reli­gieux). Il ne doit pas répri­mer les fausses reli­gions (l’ordre public juste étant sauf). Selon la doc­trine tra­di­tion­nelle, l’État doit pri­vi­lé­gier la vraie reli­gion . Il doit répri­mer les fausses reli­gions (dans la mesure où le per­met la pru­dence politique).

Conséquences de la doctrine conciliaire

Elle a intro­duit le libé­ra­lisme dans l’en­sei­gne­ment de l’Église. C’est ce qu’a consta­té, à l’é­poque, un catho­lique libé­ral influent, M. Prélot, séna­teur du Doubs : « Nous avons lut­té pen­dant un siècle et demi pour faire pré­va­loir nos opi­nons à l’in­té­rieur de l’Église et nous n’y avons pas réus­si. Enfin est venu Vatican II et nous avons triom­phé. Désormais les thèses et les prin­cipes du catho­li­cisme libé­ral sont défi­ni­ti­ve­ment accep­tés et offi­ciel­le­ment par la sainte Église ». Il en résul­ta la quasi-​élimination de la doc­trine sur la royau­té sociale de Notre-​Seigneur ; on abou­tit ain­si à un catho­li­cisme sans Christ-​Roi. De ce fait dis­pa­rurent les États catho­liques qui sub­sis­taient encore au moment du concile Vatican II (en par­ti­cu­lier ceux d’Espagne, d’Italie et de Colombie).

La collégialité

Le mot col­lège signi­fie « réunion de per­sonnes ayant la même digni­té, la même fonc­tion » ; le mot col­lé­gial signi­fie « exer­cé par un col­lège – Exemple : Direction col­lé­giale » (Dictionnaire Le Robert).

Par col­lé­gia­li­té, on désigne habi­tuel­le­ment un mode de gou­ver­ne­ment de l’Église : gou­ver­ne­ment assu­ré par le Corps des Évêques, en union avec le pape, son chef (c’est le point culmi­nant de la Constitution dog­ma­tique Lumen Gentium).

Doctrine traditionnelle sur le gouvernement de l’Église

Doctrine défi­nie lors du concile Vatican I (1870) et ain­si résu­mée dans le caté­chisme de saint Pie X (pre­mière par­tie, chap.X, §4) :

  • Qu’est ce que le Pape ? Le Pape que nous appe­lons aus­si le Souverain Pontife ou encore le Pontife Romain, est le suc­ces­seur de saint Pierre sur le siège de Rome, le Vicaire de Jésus-​Christ sur la terre et le chef visible de l’Église.
  • Pourquoi le Pontife Romain est-​il le chef visible de l’Église ? Le Pontife Romain est le chef visible de l’Église parce qu’il la dirige visi­ble­ment avec l’au­to­ri­té même de Jésus-​Christ qui en est le chef invisible.
  • Quelle est donc la digni­té du Pape ? La digni­té du Pape est la plus grande de toutes les digni­tés de la terre, et elle lui donne un pou­voir suprême et immé­diat sur tous les Pasteurs et les fidèles.
  • Dans quel but Dieu a‑t-​il concé­dé au Pape le don de l’in­failli­bi­li­té ? Dieu a concé­dé au Pape le don de l’in­failli­bi­li­té afin que nous soyons tous sûrs et cer­tains de la véri­té que l’Église enseigne.
  • Quand fut-​il défi­ni que le Pape est infaillible ? L’infaillibilité du Pape fut défi­nie par l’Église au pre­mier concile du Vatican, et si quel­qu’un osait contre­dire cette défi­ni­tion, il serait héré­tique et excommunié.
  • Quand le Pape est-​il infaillible ? Le Pape est infaillible seule­ment lorsque, en sa qua­li­té de Pasteur et de Docteur de tous les chré­tiens, en ver­tu de sa suprême auto­ri­té apos­to­lique, il défi­nit, pour être tenue par toute l’Église, une doc­trine concer­nant la foi et les mœurs.

Le concile Vatican I (Constitution Pastor Aeternus) a pré­ci­sé que l’in­failli­bi­li­té est une « pré­ro­ga­tive que le Fils unique de Dieu a dai­gné joindre à la fonc­tion pas­to­rale suprême ».

En bref, il y a dans l’Église une seule auto­ri­té suprême, celle du pape, elle seule béné­fi­cie de la pré­ro­ga­tive de l’in­failli­bi­li­té. Le pape peut exer­cer sa pré­ro­ga­tive d’in­failli­bi­li­té soit seul, soit en asso­ciant les évêques à l’acte qu’il pose en enga­geant son infaillibilité ;

Doctrine conciliaire sur le gouvernement de l’Église

Elle figure prin­ci­pa­le­ment aux articles 22 et 24 de la Constitution dog­ma­tique Lumen Gentium : « De même que saint Pierre et les autres apôtres consti­tuent, de par l’ins­ti­tu­tion du Seigneur, un seul col­lège apos­to­lique, sem­bla­ble­ment le Pontife romain, suc­ces­seur de Pierre, et les évêques suc­ces­seurs des apôtres forment entre eux un tout. (…)Le Pontife romain a sur l’Eglise, en ver­tu de sa charge de Vicaire du Christ et de Pasteur de toute l’Eglise, un pou­voir plé­nier, suprême et uni­ver­sel qu’il peut tou­jours exer­cer libre­ment. L’ordre des évêques qui suc­cède au col­lège apos­to­lique dans le magis­tère et le gou­ver­ne­ment pas­to­ral, bien mieux dans lequel se per­pé­tue le corps apos­to­lique, consti­tue, lui aus­si, en union avec le Pontife romain, son chef, et jamais en dehors de ce chef, le sujet d’un pou­voir suprême et plé­nier sur toute l’Église, pou­voir cepen­dant qui ne peut s’exer­cer qu’a­vec le consen­te­ment du Pontife romain. » (Constitution dog­ma­tique Lumen Gentium, §22)

Le pon­tife romain (…) est, à l’é­gard de l’Église uni­ver­selle, le maître suprême en qui réside, à titre sin­gu­lier, le cha­risme d’in­failli­bi­li­té qui est celui de l’Église elle-​même. L’infaillibilité pro­mise à l’Église réside aus­si dans le corps des évêques quand il exerce son magis­tère suprême en union avec le suc­ces­seur de Pierre. (Constitution dog­ma­tique Lumen Gentium, §24)

Ainsi le texte conci­liaire distingue-​t-​il deux pou­voirs suprêmes dans l’Église :

  • le pou­voir suprême du pape agis­sant seul.
  • le pou­voir suprême du col­lège épis­co­pal agis­sant avec son chef.

Pourquoi par­ler de deux pou­voirs suprêmes, alors qu’il n’y en a qu’un seul, avec deux modes d’exer­cice (le pape agis­sant seul et le pape agis­sant avec le concours des évêques) ? Parce que le pro­ces­sus conci­liaire per­met­tra de tirer de la nou­velle for­mu­la­tion l’i­dée que, dans le deuxième pou­voir suprême (les évêques avec le pape), le pape ne serait que le pré­sident du col­lège des évêques.

Précision appor­tée par la « note expli­ca­tive pré­li­mi­naire » du 26 novembre 1964. Cette note, rela­tive au troi­sième cha­pitre de la Constitution Lumen Gentium, rap­pelle la doc­trine tra­di­tion­nelle sur le pou­voir du pape dans l’Église et pré­cise le sens dans lequel doit être pris le mot col­lège : « Collège n’est pas pris au sens stric­te­ment juri­dique, c’est à dire d’un groupe d’é­gaux qui délé­gue­raient leur pou­voir à leur pré­sident mais d’un groupe stable, dont la struc­ture et l’au­to­ri­té doivent être déduites de la Révélation. » Paul VI exi­gea l’ad­di­tion de cette note au sché­ma sur l’Église (qui devien­dra la Constitution Lumen Gentium).

Comment en fait fut compris le mot collège

La note expli­ca­tive pré­li­mi­naire fut vite oubliée ; et le mot « col­lège » fut sou­vent com­pris dans le sens stric­te­ment juri­dique que refu­sait celle-​ci : groupe d’é­gaux qui délèguent leur pou­voir à leur pré­sident ; le pape devient ain­si « pri­mus inter pares », le pre­mier par­mis ses pairs ; le pou­voir suprême du pape tend à disparaître.

La col­lé­gia­li­té, ain­si com­prise, intro­dui­sait, dans le gou­ver­ne­ment de l’Église, une forme d’a­ris­to­cra­tie venant rem­pla­cer la monar­chie pon­ti­fi­cale. C’est en tout cas la ten­dance qu’a­vait adop­tée un cer­tain nombre de pères conci­liaires et qu’ils cher­chèrent à faire pré­va­loir pen­dant le Concile. « Il ne fait aucun doute que cer­tains vinrent au Concile avec le pro­pos de conduire l’Église au pro­tes­tan­tisme, sans Tradition (l’Écriture seule) et sans le pri­mat du pape. Pour le pre­mier but, on a créé une grande confu­sion ; pour le second on a essayé d’a­van­cer l’ar­gu­ment de la col­lé­gia­li­té » . Un tel concept de col­lé­gia­li­té s’é­carte très net­te­ment de la doc­trine tra­di­tion­nelle rap­pe­lée ci-​dessus, qui fut défi­nie au concile Vatican I et rap­pe­lée dans les ency­cliques de Léon XIII (en par­ti­cu­lier l’en­cy­clique Satis Cognitum du 29 juin 1896).

L’œcuménisme

Le dic­tion­naire le Robert défi­nit l’œ­cu­mé­nisme comme étant un « mou­ve­ment favo­rable à la réunion de toutes les Églises chré­tiennes en une seule ». Le mot désigne en fait à la fois un mou­ve­ment, un com­por­te­ment et une doctrine.

À cet œcu­mé­nisme, qui évoque donc l’u­ni­té des chré­tiens, est consa­cré le décret conci­liaire Unitatis Redintegratio (UR).

Doctrine traditionnelle sur l’unité des chrétiens

Elle est expo­sée, entre autres docu­ments, dans l’en­cy­clique de Pie XI Mortalium ani­mos du 6 jan­vier 1928 et dans l’Instruction sur le mou­ve­ment œcu­mé­nique, pro­mul­guée par le Saint-​Office le 20 décembre 1949. Elle peut être ain­si résumée :

  1. « L’Église catho­lique pos­sède la plé­ni­tude du Christ » et n’a pas à la per­fec­tion­ner par l’ap­port des autres confessions.
  2. Il ne faut pas pour­suivre l’u­nion par la méthode d’une assi­mi­la­tion pro­gres­sive des diverses pro­fes­sions de foi ni au moyen d’une adap­ta­tion du dogme catho­lique à quelque autre.
  3. L’unique vraie union des Églises ne peut se faire que par le retour (per redi­tum) des frères sépa­rés à la vraie Église de Dieu.
  4. Les sépa­rés qui se réunissent à l’Église catho­lique ne perdent rien de sub­stan­tiel de ce qui appar­tient à leur pro­fes­sion par­ti­cu­lière, mais le retrouvent au contraire iden­tique dans une dimen­sion com­plète et par­faite (« com­ple­tum atque abso­lu­tum »).

Deux points sont à noter :

  • Il y a une inéga­li­té fon­da­men­tale entre l’Église catho­lique qui pos­sède la véri­té et la suc­ces­sion apos­to­lique et les autres confes­sions chré­tiennes qui ne pos­sèdent ni l’une ni l’autre ;
  • L’union recher­chée sup­pose un centre fixe (l’Église de Rome) et un retour à ce centre des « frères séparés ».

Doctrine conciliaire sur l’unité des chrétiens

L’œcuménisme comme doc­trine et com­por­te­ment est ain­si pré­sen­té dans l’Enciclopedia Cattolica ita­lienne par le père Camille Crivelli s.j. : « L’œcuménisme pré­sup­pose comme base l’é­ga­li­té de toutes les Églises devant le pro­blème de l’u­nion. Et cela sous le triple aspect psy­cho­lo­gique, his­to­rique et eschatologique :

  • a) psy­cho­lo­gi­que­ment toutes les Églises doivent se recon­naître éga­le­ment cou­pables de la sépa­ra­tion, de sorte que, au lieu de s’ac­cu­ser l’une l’autre, cha­cune doit deman­der pardon ;
  • b) his­to­ri­que­ment aucune Église, après la sépa­ra­tion, ne peut se croire l’Église unique et totale du Christ, mais seule­ment une par­tie de cette unique Église : en consé­quence, aucune ne peut s’ar­ro­ger le droit d’o­bli­ger les autres à retour­ner à elle, mais plu­tôt toutes doivent sen­tir l’o­bli­ga­tion de se réunir entre elles, pour recons­ti­tuer l’Église Une et Sainte fon­dée par le Sauveur ; (…)
  • c) escha­to­lo­gi­que­ment, l’Église future, résul­tante de l’u­nion, ne pour­ra être iden­tique à aucune des Églises aujourd’­hui exis­tantes. La Sainte Église œcu­mé­nique, qui sur­gi­ra dans cette nou­velle Pentecôte, sur­pas­se­ra éga­le­ment toutes les confes­sions chré­tiennes particulières. »

L’idée-​clef de l’œ­cu­mé­nisme ain­si défi­ni est sym­bo­li­sée par l’i­mage du miroir écla­té : les églises chré­tiennes (y com­pris l’Église catho­lique) sont com­pa­rées aux mor­ceaux d’un miroir écla­té, mor­ceaux de valeur égale et qu’il s’a­git de ras­sem­bler pour recons­ti­tuer le miroir qui, une fois recons­ti­tué, repré­sen­te­ra l’Église future.

Une conséquence de l’œcuménisme conciliaire : la perte du sens de l’hérésie

Voici un pas­sage de l’en­cy­clique Ut unum sint(25 mai 1995) dans laquelle Jean-​Paul II fai­sait le point sur l’œ­cu­mé­nisme en se réfé­rant fré­quem­ment au décret conci­liaire cor­res­pon­dant : « Il faut pas­ser d’une posi­tion d’an­ta­go­nisme et de conflit à une posi­tion où l’un et l’autre se recon­naissent mutuel­le­ment comme des par­te­naires. (Encycl. Ut unum sint, §29). »

Attitude par­ti­cu­liè­re­ment dan­ge­reuse dans le cas de rap­ports œcu­mé­niques avec les protestants.

Considéré désor­mais comme un ami avec lequel il fal­lait fra­ter­ni­ser, le pro­tes­tan­tisme devait néces­sai­re­ment être rééva­lué : « A la suite de ce « fruit » par­ti­cu­liè­re­ment choyé du concile (l’œ­cu­mé­nisme), une « rééva­lua­tion » du pro­tes­tan­tisme s’est mise en route par­tout chez les catho­liques, devant laquelle cer­tains pro­tes­tants lucides n’ont pas pu cacher leur sur­prise. Le Concile avait pré­pa­ré cette éton­nante réha­bi­li­ta­tion du pro­tes­tan­tisme dans la mesure où il décri­vait les com­mu­nau­tés reli­gieuses issues de la Réforme avec une par­tia­li­té dif­fi­ci­le­ment sur­pas­sable. On n’y rele­va que des aspects posi­tifs. Le mal immense que le pro­tes­tan­tisme a appor­té sur la terre et l’a­gres­si­vi­té contre l’Église catho­lique qu’il mani­feste encore aujourd’­hui par­tout où ses affaires ne sont pas favo­ri­sées par l’Église catho­lique, tout cela a été omis. L’Église doit payer cher cette erreur des Pères conciliaires. »

La tri­lo­gie conci­liaire – liber­té reli­gieuse, col­lé­gia­li­té, œcu­mé­nisme – carac­té­rise bien la dérive doc­tri­nale intro­duite par le concile Vatican II. Elle fut ain­si résu­mée par Mgr Marcel Lefebvre dans son livre Lettre ouverte aux catho­liques per­plexes, rédi­gé en 1985 : « Si l’on y regarde bien, c’est avec sa devise que la Révolution a péné­tré dans l’Église de Dieu. La liber­té, c’est la liber­té reli­gieuse telle qu’il a été dit plus haut (…). L’égalité, c’est la col­lé­gia­li­té, avec la des­truc­tion de l’au­to­ri­té per­son­nelle, de l’au­to­ri­té de Dieu, du pape, des évêques, la loi du nombre. La fra­ter­ni­té enfin est repré­sen­tée par l’œcuménisme.

Par ces trois mots, l’i­déo­lo­gie révo­lu­tion­naire de 1789 est deve­nue la Loi et les Prophètes. Les moder­nistes sont arri­vés à ce qu’ils voulaient ».

7. Ouverture au monde et fermeture au surnaturel

A pro­pos de l” ouver­ture au monde du concile Vatican II, voi­ci ce qu’é­cri­vait le car­di­nal Ratzinger sur l’in­fluence exer­cée par trois textes conci­liaires : la Constitution pas­to­rale Gaudium et spes, la décla­ra­tion sur la liber­té reli­gieuse et celle sur les reli­gions dans le monde :

« Si l’on cherche un diag­nos­tic glo­bal du texte (« Gaudium et spes »), on pour­rait dire qu’il est (en liai­son avec les textes sur la liber­té reli­gieuse et sur les reli­gions dans le monde), une révi­sion du Syllabus de Pie IX, une sorte de contre-​syllabus (…).Contentons-​nous ici de consta­ter que le texte (« Gaudium et spes ») joue le rôle d’un contre-​syllabus dans la mesure où il repré­sente une ten­ta­tive pour une récon­ci­lia­tion offi­cielle de l’Église avec le monde tel qu’il était deve­nu depuis 1789 (…). Cette vue seule per­met de com­prendre le sens de cet étrange vis-​à-​vis de l’Église et du monde : par « monde », on entend, au fond, l’es­prit des temps modernes, en face duquel la conscience de groupe dans l’Église se res­sen­tait comme un sujet sépa­ré qui, après une guerre tan­tôt chaude et tan­tôt froide, recher­chait le dia­logue et la coopération ».

On trouve la même idée de « contre-​syllabus » dans cette remarque du Père Congar : « On ne peut nier qu’un tel texte (la décla­ra­tion « Dignitatis Hunanae ») ne dise maté­riel­le­ment autre chose que le Syllabus de 1864 et même à peu près le contraire des pro­po­si­tions 15, 77 et 79 de ce document ».

Comme ils consti­tuent un « contre-​syllabus », les trois textes conci­liaires pré­cé­dem­ment cités s’op­posent direc­te­ment à l’en­sei­gne­ment tra­di­tion­nel don­né par Pie IX, l’op­po­si­tion la plus carac­té­ris­tique étant consti­tuée par « la ten­ta­tive pour une récon­ci­lia­tion offi­cielle avec le monde tel qu’il était deve­nu depuis 1789 ».

Mais cette ten­ta­tive dont parle le car­di­nal Ratzinger va plus loin ; elle com­porte un dia­logue avec la pen­sée moderne et une adap­ta­tion à cette pen­sée qui se trouve être l’an­ti­thèse du catho­li­cisme, parce que fon­da­men­ta­le­ment hos­tile à tout ce qui est surnaturel.

8. Le passage du théocentrisme à l’anthropocentrisme

Ce ren­ver­se­ment qui carac­té­rise Vatican II a été ain­si pré­sen­té par Jean Madiran : « Pendant le concile, un moine béné­dic­tin ren­trant d’Indochine me don­nait, après quelques jours seule­ment à Rome, son impres­sion, ou son intui­tion : On est pas­sé du théo­cen­trisme à un anthro­po­cen­trisme. Cela s’ap­pelle, n’est-​ce pas ? une révo­lu­tion copernicienne.

L’homme désor­mais au centre n’est même pas l’homme de la loi natu­relle. C’est au contraire celui de la pri­mau­té de l’ac­tion sur la contem­pla­tion. Et ce sont les cal­culs démo­cra­tiques pre­nant le pas sur la Révélation divine, le pas­to­ral deve­nu plus pré­cieux que le dog­ma­tique, le socio­lo­gique l’emportant sur le reli­gieux, le monde comp­tant davan­tage que le ciel. Telle est « la crise de l’Église », telle est, d’a­bord dans l’Église, la « déchris­tia­ni­sa­tion » générale. »

Voici quelques textes qui mani­festent un tel renversement :

Croyants et incroyants sont géné­ra­le­ment (fere) d’ac­cord sur ce point : tout sur terre doit être ordon­né à l’homme comme à son centre et à son som­met (culmen).

Constitution Gaudium et spes

L’Église, en ver­tu de l’Évangile qui lui a été confié, pro­clame les droits des hommes, recon­naît et tient en grande estime le dyna­misme de notre temps qui, par­tout, donne un nou­vel élan à ses droits. 

Constitution Gaudium et spes

La célé­bra­tion de la messe face au peuple, qui s’est géné­ra­li­sée à par­tir de 1969, est l’une des consé­quences de l’an­thro­po­cen­trisme de Vatican II.

9. Conceptions nouvelles de l’Église : le « peuple de Dieu »

Dans le pas­sage ci-​dessus sur la col­lé­gia­li­té, a été pré­sen­tée une concep­tion nou­velle du gou­ver­ne­ment de l’Église : il y aurait dans celle-​ci deux pou­voirs suprêmes, celui de la monar­chie pon­ti­fi­cale et celui de l’a­ris­to­cra­tie épis­co­pale, le pape étant pré­sent dans les deux mais pas au même titre.

Le concile Vatican II a intro­duit d’autres concep­tions nou­velles sur l’Église, por­tant non sur son mode de gou­ver­ne­ment mais sur sa nature même. Citons celle qu’ex­prime l’ex­pres­sion « peuple de Dieu ».

Quelques points de la doctrine traditionnelle sur l’Église

Nous les rap­pe­lons tels qu’ils figurent dans le Catéchisme de saint Pie X :

  • Qu’est ce que l’Église catho­lique ? L’Église catho­lique est la socié­té ou la réunion de tous les bap­ti­sés qui, vivant sur la terre, pro­fessent la même foi et la même loi de Jésus-​Christ, par­ti­cipent aux mêmes sacre­ments et obéissent aux pas­teurs légi­times, prin­ci­pa­le­ment au Pontife Romain.
  • Dites pré­ci­sé­ment ce qui est néces­saire pour être membre de l’Église ? Pour être membre de l’Église, il est néces­saire d’être bap­ti­sé, de croire et pro­fes­ser la doc­trine de Jésus-​Christ, de par­ti­ci­per aux mêmes sacre­ments, de recon­naître le Pape et les autres Pasteurs légi­times de l’Église.
  • Peut-​on se sau­ver hors de l’Église Catholique, Apostolique, Romaine ? Non, hors de l’Église Catholique, Apostolique, Romaine, nul ne peut se sau­ver, comme nul ne put se sau­ver du déluge hors de l’Arche de Noé qui était la figure de cette Église.
  • N’y a‑t-​il aucune dis­tinc­tion entre les membres qui com­posent l’Église ? Entre les membres qui com­posent l’Église, il y a une dis­tinc­tion très impor­tante, car il y a ceux qui com­mandent et ceux qui obéissent, ceux qui enseignent et ceux qui sont enseignés.

Retenons que l’Église est hié­rar­chique et que l’ap­par­te­nance à l’Église se fonde sur des cri­tères pré­cis ; on est membre ou non-​membre de l’Église ; il n’y a pas de demi-appartenance.

Nouvelles conceptions sur l’Église

Elles ont été intro­duites en uti­li­sant l’ex­pres­sion « peuple de Dieu » et le mot « com­mu­nion » et en éta­blis­sant une dis­tinc­tion entre l’Église de Jésus-​Christ et l’Église catholique.

Le « peuple de Dieu » « 16 octobre 1963. L’insertion d’un cha­pitre sur le peuple de Dieu dans le De Ecclesia, fut l’œuvre du car­di­nal Suenens. Suivant une idée de Mgr Philips (Louvain), il avait fait en sorte qu’on évite le mot de « membre de l’Église » pour pou­voir englo­ber dans ce « peuple de Dieu » tous les chré­tiens, ceux qui sont membres de l’Église catho­lique et ceux qui ne le sont pas. L’expression « peuple de Dieu » avait été reje­tée par le car­di­nal Ottaviani et sa com­mis­sion pré­con­ci­liaire de théo­lo­gie. Le 24 octobre, dans l’au­la, le car­di­nal Siri pour­sui­vit cette cri­tique : « un cha­pitre dis­tinct peut lais­ser entendre que le peuple de Dieu peut sub­sis­ter et accom­plir quelques choses même sans l’Église. Cela contre­dit l’en­sei­gne­ment selon lequel l’Église est néces­saire au salut. » »

Il ne fut pas tenu compte des avis des car­di­naux Ottaviani et Siri, la Constitution Lumen Gentium consa­crant son cha­pitre II au « Peuple de Dieu ». Voici quelques extraits de ce chapitre :

Ainsi donc, à cette uni­té catho­lique du peuple de Dieu qui pré­fi­gure et pro­meut la paix uni­ver­selle, tous les hommes sont appe­lés ; à cette uni­té appar­tiennent sous diverses formes ou sont ordon­nés, et les fidèles catho­liques et ceux qui, par ailleurs, ont foi dans le Christ, et fina­le­ment tous les hommes sans excep­tion que la grâce de Dieu appelle au salut.

§13

Avec ceux qui, étant bap­ti­sés, portent le beau nom de chré­tiens sans pro­fes­ser pour­tant inté­gra­le­ment la foi ou sans gar­der l’u­ni­té de la com­mu­nion sous le Successeur de Pierre, l’Église se sait unie pour de mul­tiples rai­sons. Il en est beau­coup en effet (…) qui sont mar­qués par le bap­tême qui les unit au Christ. (…) À cela s’a­joute la com­mu­nion dans la prière et dans les autres bien­faits spi­ri­tuels, bien mieux, une véri­table union dans l’Esprit-​Saint, puisque, par ses dons et ses grâces, il opère en eux aus­si son action sanctifiante.

§15

Trois idées dans ces textes :

  • en défi­nis­sant l’Église comme peuple de Dieu, on fait dis­pa­raître son carac­tère hiérarchique.
  • tous les hommes « appar­tiennent ou sont ordon­nés » à l’Église.
  • les hommes sont unis dans l’Esprit Saint, par delà leurs diver­gences doctrinales.

Ici est, non affir­mée mais sug­gé­rée, l’i­dée que tous les hommes appar­tiennent à l’Église.

La distinction entre l’Église de Jésus Christ et l’Église catholique.

Selon l’en­sei­gne­ment tra­di­tion­nel, l’Église du Christ est l’Église catho­lique romaine et elle seule.

Dans la consti­tu­tion Lumen Gentium, n°8, il est affir­mé que : « Cette Église, en tant qu’elle est, dans ce monde, consti­tuée et orga­ni­sée en socié­té, sub­siste (sub­sti­tit in ) dans l’Église catho­lique. » Ce qui laisse entendre que l’Église du Christ peut sub­sis­ter dans d’autres Églises que l’Église catholique.

Le concept de communion

Mot qui se retrouve très fré­quem­ment dans les textes conci­liaires et dont le sens fut ain­si expli­qué par le père Congar (en 1980) : 

Le concept de com­mu­nion est un concept-​clé pour l’œ­cu­mé­nisme de Vatican II (…). Il évite le tout ou rien. Nous sommes déjà en com­mu­nion, bien qu’im­par­faite, avec les chré­tiens non catho­liques romains. (…) Cette ecclé­sio­lo­gie de com­mu­nion n’a évi­dem­ment pas dit son der­nier mot !

Avec « le peuple de Dieu », avec la dis­tinc­tion entre Église catho­lique et Église de Jésus Christ et avec le concept de com­mu­nion, c’est une nou­velle Église qui est ici pro­po­sée. Il n’est plus ques­tion d’être membre – ou non membre – de cette Église. Le concept de com­mu­nion « évite le tout ou rien » et, sous cou­vert de « com­mu­nion impar­faite », per­met de mul­tiples formes d’appartenance.

10. Jugements sur le concile Vatican II

R.P. Congar- « L’Église a fait, paci­fi­que­ment, sa Révolution d’octobre » .

Abbé de Nantes – « Le concile réfor­ma­teur Vatican II a pro­vo­qué, en fait, non pas un per­fec­tion­ne­ment ni un style nou­veau d’ex­pan­sion reli­gieuse, mais une révo­lu­tion impo­sant par la contrainte une cou­pure radi­cale avec le pas­sé et un rejet glo­bal de son héri­tage séculaire. »

Abbé de Linarès – « (…) Ce mélange sub­til de véri­tés et d’er­reurs qui consti­tue le fait glo­bal du concile. »

Premier sym­po­sium de Paris – « Vatican II appa­raît en rup­ture radi­cale avec la Tradition catho­lique. Alors que celle-​ci est toute cen­trée sur Dieu, sa louange et son ser­vice, il n’est pas exa­gé­ré de consi­dé­rer que le Concile a posé les bases d’une reli­gion nou­velle des­ti­née prin­ci­pa­le­ment à exal­ter la Personne humaine et à réa­li­ser l’u­ni­té du genre humain. »

Conclusion

Voici quelques expres­sions qui carac­té­risent Vatican II et qui figurent dans les textes cités ci dessus :

  • Une cer­taine forme de fer­me­ture au sur­na­tu­rel.
  • Le pri­mat du pape mis en cause par la col­lé­gia­li­té.
  • L’affirmation (contraire au bon sens) de l’exis­tence de deux pou­voirs suprêmes dans l’Église.
  • Une ten­ta­tive pour une récon­ci­lia­tion offi­cielle avec le monde tel qu’il était deve­nu depuis 1789.
  • Des véri­tés pré­sen­tées avec une men­ta­li­té moder­niste.
  • Un effon­dre­ment doc­tri­nal résul­tant du refus de saint Thomas d’Aquin et de sa méthode.

Quand on tient compte de telles don­nées, il est sans doute per­mis de regret­ter ces paroles du Saint-​Père annon­çant l’an­née de la foi, le 11 octobre 2011 : Vatican II est « la grande grâce dont l’Église a béné­fi­cié au ving­tième siècle ». Ce qui nous per­met de faire nôtre la sup­plique de Mgr Gherardini :

« Très Saint-​Père (…) Pour le bien de l’Église, il me paraît urgent qu’un peu de clar­té soit faite, en répon­dant avec auto­ri­té à la ques­tion de la conti­nui­té de ce concile (cette fois-​ci, non de façon décla­ma­toire, mais en pro­po­sant une véri­table démons­tra­tion) avec les autres conciles, à la ques­tion de sa fidé­li­té à la Tradition de l’Église ».

Que faire devant les mul­tiples dévia­tions doc­tri­nales issues du concile Vatican II et qui ont enva­hi l’Église ? Les laïcs ne peuvent res­ter muets sur des erreurs qui menacent leur foi. Tout en res­tant à leur place de laïcs, ils doivent com­battre ces erreurs et, paral­lè­le­ment, bien connaître, pro­fes­ser et défendre les véri­tés aux­quelles elles s’opposent.

Méditons ces adages d’où il est facile de tirer une ligne de conduite :

  • « Quiconque aime la véri­té déteste l’er­reur (…) ; cette détes­ta­tion de l’er­reur est la pierre de touche à laquelle se recon­naît l’a­mour de la véri­té. » (E. Hello)
  • « Une erreur et un men­songe qu’on ne prend point la peine de démas­quer acquièrent peu à peu l’au­to­ri­té du vrai. » (Ch. Maurras)
  • « Ne pas résis­ter à l’er­reur, c’est l’ap­prou­ver ; et la véri­té est oppri­mée quand elle est défen­due mol­le­ment. » (attri­bué au pape Innocent III).

Arnaud de Lassus, A.F.S., le 15 octobre 2012