Si Si No No n°286 – Canonicus : L’injuste suppression d’Écône

La ferme protestation de Mgr Lefebvre
contre l’injuste suppression du Séminaire d’Écône

Dans son homé­lie de Venise, Mgr Lefebvre résu­mait l’affaire, alors rela­ti­ve­ment récente, de la sup­pres­sion de la Fraternité fon­dée par lui :

« Je vais à Rome cinq ou six fois par an pour sup­plier les car­di­naux, le Pape lui-​même, de reve­nir à la Tradition, pour redon­ner à l’Église sa vie catho­lique […]. Ma Fraternité, en effet, a été recon­nue offi­ciel­le­ment il y a dix ans par Rome et par l’évêque de Fribourg, en Suisse, dans le dio­cèse duquel elle a été fon­dée. Ensuite, des évêques pro­gres­sistes et moder­nistes ont vu dans mes sémi­naires un dan­ger pour leurs théo­ries ; ils se sont fâchés contre moi et ils se sont dits : il faut détruire ces sémi­naires, il faut en finir avec Écône et avec l’œuvre de Mgr Lefebvre, parce qu’ils sont dan­ge­reux pour notre plan pro­gres­siste révo­lu­tion­naire. Ils se sont adres­sés à Rome sur le même ton, et Rome a cédé.

Mais, comme je l’ai dit à Sa Sainteté Jean-​Paul II, la sup­pres­sion a été faite d’une façon contraire au Droit Canon : même les soviets ne pro­noncent pas des juge­ments comme ceux pro­non­cés à Rome par les car­di­naux sur mon œuvre. Les soviets ont un tri­bu­nal, une espèce de tri­bu­nal pour condam­ner quelqu’un, mais moi, je n’ai même pas eu un tri­bu­nal, rien. Un beau jour est arri­vée une lettre [le 6 mai 1975, de l’Ordinaire du lieu, S.E. Mgr Mamie, arche­vêque de Fribourg, en Suisse] pour me dire que le sémi­naire devait être fer­mé »((Homélie de Venise, cit. Le sémi­naire devait être fer­mé immédiatement.)).

La suppression du séminaire d’Écône doit être tenue pour invalide à tous les niveaux

Il y a trente ans, dans cette même revue, qui venait d’être fon­dée depuis peu par don Francesco Putti, com­plè­te­ment indé­pen­dante (alors comme aujourd’hui) de la FSSPX, un article détaillé révé­lait les dif­fé­rentes et graves irré­gu­la­ri­tés de la pro­cé­dure mise en œuvre pour frap­per la Fraternité, pro­cé­dure inva­li­dée à la racine par l’absence de « motifs graves ». Ces motifs graves n’ont jamais pu être défi­nis, puisqu’ils n’existent pas : ce sont les « désordres moraux » ou les « dévia­tions doc­tri­nales » requis par le droit canon pour une mesure coer­ci­tive d’une telle gra­vi­té. « La fer­me­ture d’un sémi­naire où étaient for­més quelque cent élèves [ce qui était recon­nu par les organes com­pé­tents eux-​mêmes] – écrivions-​nous – ne pou­vait pas être décré­tée pour une décla­ra­tion de son supé­rieur [Mgr Lefebvre], désap­prou­vée par l’Autorité ecclé­sias­tique, la désap­pro­ba­tion eût-​elle été fon­dée et juste [le 21 novembre 1974, Mgr Lefebvre, qui avait déjà décla­ré offi­ciel­le­ment en 1971 son refus du Novus Ordo Missœ, indi­gné par les décla­ra­tions hété­ro­doxes faites à ses sémi­na­ristes par deux visi­teurs apos­to­liques (11–13 nov. 1974), avait pris publi­que­ment posi­tion contre les infil­tra­tions « néo­mo­der­nistes » dans l’Église offi­cielle – et cela com­por­tait une cri­tique impli­cite du Pontife alors régnant, S.S. Paul VI – en pro­cla­mant son immuable fidé­li­té à l’en­sei­gne­ment du Concile de Trente], […]. Il est arri­vé de nom­breuses fois que des supé­rieurs soient des­ti­tués pour une décla­ra­tion inac­cep­table ou pour un acte grave de déso­béis­sance au Souverain Pontife, mais jamais les sémi­naires, les ins­ti­tuts n’ont été fer­més pour un tel motif […]. Et si l’on a par­fois consta­té que les idées sou­te­nues par le fon­da­teur ou le supé­rieur exer­çaient une influence néfaste sur la for­ma­tion des élèves, on y a remé­dié par la nomi­na­tion d’un visi­teur per­ma­nent »((Voir Si Si No No, 1 (1975), n°9 (il s’agit de la ver­sion ita­lienne du pério­dique – ndr) : Au sujet de la fer­me­ture du Séminaire d’Écône de la Fraternité Saint Pie X : Illégalité d’un pro­cès – ini­qui­té d’une déci­sion, pp. 4–5, par Ulpianus. Il s’agissait de Mgr Arturio de Iorio, juge au tri­bu­nal de la Rota. La lettre par laquelle on sup­pri­mait le sémi­naire avec effet immé­diat, en reti­rant l’autorisation d’existence à la FSSPX, avait été pré­cé­dée par une convo­ca­tion infor­melle à Rome de Mgr Lefebvre face à trois car­di­naux pour un simple « échange d’idées », face à une com­mis­sion infor­melle (illé­gale pour diverses rai­sons, comme le démon­trait l’article, si consti­tuée et agis­sant en tant que tri­bu­nal) qui lui avait dure­ment repro­ché sa décla­ra­tion du 21 novembre 1974, en l’accusant de « vou­loir faire l’Athanase » (l’évêque qui avait com­men­cé pra­ti­que­ment seul la lutte contre l’hérésie arienne, au IVe siècle, injus­te­ment excom­mu­nié par deux fois). La lettre de Mgr Mamie fai­sait réfé­rence à l’autorité de cette « com­mis­sion car­di­na­lice » pour jus­ti­fier son action, décla­rant agir « en plein accord » avec le Saint Siège, décla­ra­tion qui ne démontre pas, en tant que telle, l’existence d’une auto­ri­sa­tion spé­ci­fique (qui n’a jamais été don­née), confé­rée dans les formes requises par le droit canon.)).

L’article s’arrêtait aus­si sur la ques­tion de la com­pé­tence de l’Ordinaire dans ce cas. Il rap­pe­lait que, d’après le Code de droit cano­nique (CIC) alors en vigueur, celui de 1917, l’évêque local ou Ordinaire ne peut pas « sup­pri­mer tout ce que lui-​même ou ses pré­dé­ces­seurs ont ins­ti­tué ou approu­vé » : pour la sup­pres­sion des « congré­ga­tions reli­gieuses de droit dio­cé­sain », c’est-à-dire éri­gées légi­ti­me­ment par l’évêque dans son dio­cèse, seul le Saint Siège est com­pé­tent (can. 493, CIC). Un éven­tuel décret épis­co­pal de sup­pres­sion néces­si­tait donc, pour être valide, une auto­ri­sa­tion expresse, spé­ci­fique, du Saint Siège (du Pape, à tra­vers la Congrégation com­pé­tente). C’est le Saint Siège qui devait « être mis en mou­ve­ment ». Mais cette « mise en mou­ve­ment » eut lieu de façon tel­le­ment irré­gu­lière, qu’elle ne peut que nous ame­ner à la conclu­sion que toute la pro­cé­dure doit être tenue pour inva­lide, ce qui inva­lide à la racine la déci­sion même de suppression((Si Si No No, cit.)).

La ques­tion de la com­pé­tence consti­tuait natu­rel­le­ment l’argument clé du recours pré­sen­té par Mgr Lefebvre au Tribunal de la Signature Apostolique, et décla­ré irre­ce­vable par ce der­nier. Mgr Lefebvre arguait de l’invalidité intrin­sèque de la déci­sion et donc de sa nul­li­té radi­cale, à tous les niveaux, à cause de l’incompétence aus­si bien de l’Ordinaire local pour la pro­non­cer que de la « com­mis­sion car­di­na­lice » pour juger l’appelant en matière de foi. Mgr Lefebvre s’appuyait sur le fait que l’Ordinaire n’avait jamais reçu aucune auto­ri­sa­tion valide du Saint Siège, c’est-à-dire confé­rée dans les formes requises par le droit.

La vraie nature juridique de la FSSPX

Sur le point capi­tal de l’incompétence de Mgr Mamie, qu’il nous soit per­mis de faire quelques consi­dé­ra­tions. La FSSPX, comme il res­sor­tait de ses sta­tuts et de son acti­vi­té, était une socié­té sacer­do­tale de vie com­mune sans vœux [publics], à l’exemple des socié­tés des Missions Étrangères (chap. I, 1 des sta­tuts), dont la fin était la for­ma­tion sacer­do­tale selon les prin­cipes tra­di­tion­nels de l’Église, prin­cipes qui impli­quaient, entre autres, le main­tien de la sainte Messe tri­den­tine (chap. II, 2–3 des Statuts). Ces « socié­tés », dans le droit canon alors en vigueur (CIC, 1917), étaient consi­dé­rées comme des congré­ga­tions (reli­giones) au sens large, par rap­port aux congré­ga­tions « au sens strict », comme les ordres, dont les membres avaient une com­mu­nau­té de vie et pro­fes­saient publi­que­ment les trois vœux de chas­te­té, pau­vre­té et obéis­sance. Ces vœux pou­vaient être solen­nels (ils ren­daient ipso iure inva­lide un acte accom­pli en leur vio­la­tion), ou simples (ils ren­daient illi­cite mais non inva­lide ce même acte)((Ces détails sur l’institution de la socié­té de vie com­mune sans vœux pro­viennent prin­ci­pa­le­ment de : A. Bertola, La Constitution de l’Église, cours de droit canon, Turin, 1958, éd. revue et aug­men­tée ; Eichmann-​Mörsdorf, Lehrbuch des Kirchenrechts [Manuel de droit canon], 1964, 11e édi­tion, München, Paderborn, Wien, vol. I, 2e et 3e parties.)).

L’existence de vie en com­mun sans vœux se dérou­lait « à l’imitation de celle des congré­ga­tions, sans en avoir les obli­ga­tions strictes, et pour des buts sem­blables, c’est-à-dire viser à une plus grande per­fec­tion spi­ri­tuelle et éga­le­ment accom­plir des œuvres de cha­ri­té chré­tienne ou exer­cer un apos­to­lat reli­gieux ou social. Plus pré­ci­sé­ment, elles sont proches des congré­ga­tions reli­gieuses, avec les­quelles elles se confondent par­fois exté­rieu­re­ment. Le code recon­naît leur exis­tence, dans la mesure où les membres (sodales) de ces socié­tés – qui peuvent être aus­si bien mas­cu­lins que fémi­nins – vivent en com­mun, sous le gou­ver­ne­ment de supé­rieurs et selon leurs propres consti­tu­tions, dûment approu­vées, mais sans pro­non­cer les trois vœux publics habi­tuels. Ces socié­tés, comme le dit expres­sé­ment le code, ne sont pas exac­te­ment des congré­ga­tions, et leurs membres ne peuvent pas pré­ci­sé­ment être qua­li­fiés de reli­gieux ; tou­te­fois elles se répar­tissent, comme les congré­ga­tions, en socié­tés clé­ri­cales et en socié­tés laïques [quand elles ne se com­posent pas majo­ri­tai­re­ment de prêtres], et en socié­tés de droit pon­ti­fi­cal et de droit dio­cé­sain. Elles sont sou­mises, quant à leur érec­tion et à leur sup­pres­sion, aux règles en vigueur pour les congré­ga­tions, ain­si qu’en géné­ral, par ana­lo­gie, et dans la mesure du pos­sible, aux règles du droit com­mun rela­tives à ces der­nières […]. Les déno­mi­na­tions spé­ci­fiques que ces socié­tés ont cou­tume de prendre en pra­tique (ora­toires, retraites, bégui­nages, conser­va­toires, socié­tés pieuses, etc.) ne sont pas sou­mises à des règles pré­cises »((Bertola, op. cit., pp. 240–1.)).

Dans la pra­tique, la ter­mi­no­lo­gie était plu­tôt souple. Mais ce qui importe, au regard de notre dis­cours, c’est la dis­ci­pline alors en vigueur pour l’érection et la sup­pres­sion (ce der­nier évé­ne­ment étant plu­tôt rare) des socié­tés en ques­tion, qui était en sub­stance celle des congré­ga­tions. Les reli­giones se par­ta­geaient (ex. can. 488 3°) en congré­ga­tions de droit pon­ti­fi­cal, si elles avaient obte­nu l’approbation ou au moins le décret d’approbation du Saint Siège, et en congré­ga­tions de droit dio­cé­sain si, éri­gées par l’évêque, elles n’avaient pas encore obte­nu le décret d’approbation((Op. cit., p. 212.)). Le c. 492, § 2 du CIC éta­blis­sait par ailleurs qu’une congré­ga­tion de droit dio­cé­sain, même si elle était « répar­tie sur plu­sieurs dio­cèses », demeu­rait de droit dio­cé­sain, c’est-à-dire sou­mise à l’évêque du dio­cèse, tant qu’elle n’avait pas reçu « l’approbation pon­ti­fi­cale ou le décret d’approbation ». Toutefois, « une fois fon­dée légi­ti­me­ment », sa sup­pres­sion était réser­vée au Saint Siège : sup­pri­mi nequit nisi a Sancta Sede (c. 493). De cette façon, le droit canon intro­dui­sait des limites au pou­voir de l’évêque à la juri­dic­tion duquel la congré­ga­tion était soumise((Eichmann-Mörsdorf, cit., p.493.)). Cette règle a joué un rôle fon­da­men­tal dans l’affaire de la sup­pres­sion de la Fraternité, étant don­né que la dis­ci­pline de l’érection et de la sup­pres­sion des congré­ga­tions était expres­sé­ment éten­due par le c. 674 aux socié­tés de vie en com­mun sans vœux, appe­lées elles aus­si congré­ga­tions, dans la ter­mi­no­lo­gie élas­tique de l’époque.

La FSSPX avait été régu­liè­re­ment consti­tuée par le pré­dé­ces­seur de Mgr Mamie, S.E. Mgr Charrière, qui en approu­va for­mel­le­ment les sta­tuts le 1er novembre 1970. Par consé­quent, la Fraternité ayant été régu­liè­re­ment consti­tuée selon le droit, Mgr Mamie ne pou­vait la sup­pri­mer qu’avec une auto­ri­sa­tion expresse du Pape, une sorte de délé­ga­tion de pou­voir. Mais il n’apparaît pas qu’une telle auto­ri­sa­tion ait jamais été don­née. Il n’apparaît pas non plus que le pon­tife alors régnant, S.S. Paul VI, ait approu­vé dans sa forme spé­ci­fique toute la pro­cé­dure, irré­gu­lière à bien des égards, qui abou­tit à la lettre de sup­pres­sion de la FSSPX. Cette appro­ba­tion, qui doit être for­melle, expresse, aurait régu­la­ri­sé toute éven­tuelle irré­gu­la­ri­té et tout abus, à moins que n’aient été vio­lées la loi natu­relle ou la loi divine. Et en effet, le Tribunal de la Signature Apostolique décla­ra irre­ce­vable le recours de Mgr Lefebvre, avan­çant pré­ci­sé­ment l’argument de l’approbation spé­ci­fique par le Pape de la mesure contes­tée, allé­guant donc un fait dont l’existence n’a jamais été prouvée.

Société de vie en commun, ou pia unio ?

Le fait est que quand Mgr Charrière, « toutes les pres­crip­tions cano­niques étant obser­vées », accor­da son auto­ri­sa­tion, il éri­gea la FSSPX « au titre de Pia Unio », et non au titre de « socié­té sacer­do­tale de vie com­mune sans vœux » (vul­go, « congré­ga­tion », comme il résulte de l’art. 1 des statuts)((Statuts de la Fraternité des Apôtres de Jésus et de Marie ou (selon le titre public) de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X.)). Alors, peut-​être Mgr Mamie avait-​il raison ?

En effet, pour la sup­pres­sion d’une « pia unio » non éri­gée par le Saint Siège et agis­sant dans le dio­cèse, c’est l’Ordinaire local qui était com­pé­tent, sans néces­si­té d’une auto­ri­sa­tion pon­ti­fi­cale ad hoc, avec tou­jours une pos­si­bi­li­té de recours auprès du Tribunal de la Signature Apostolique.

Mais qu’est-ce qu’une pieuse union ?

Les ins­ti­tuts dont nous par­lons ici appar­tiennent désor­mais à l’histoire du droit canon, puisque le nou­veau CIC, celui de 1983, en a par­tiel­le­ment modi­fié la dis­ci­pline, tout en inno­vant aus­si dans la ter­mi­no­lo­gie. Il n’est donc pas facile de s’en faire une idée pré­cise aujourd’hui. Les pieuses unions, comme les tiers ordres sécu­liers, les confré­ries, étaient des asso­cia­tions tra­di­tion­nel­le­ment consti­tuées de fidèles laïcs, aux­quelles pou­vaient évi­dem­ment aus­si par­ti­ci­per des clercs et des reli­gieux. Les fidèles qui les com­po­saient, n’étant pas liés par des vœux ni par « le lien orga­nique et durable avec l’association » (c’est-à-dire la vie en com­mun), vivaient dans le siècle « en vaquant à leurs occu­pa­tions nor­males », tout en se pro­po­sant d’accomplir des « œuvres spé­ciales » de pié­té et de cha­ri­té dans un but sur­na­tu­rel. Un exemple célèbre de pia unio est don­né par les Congrégations mariales, qui, mal­gré leur nom, étaient des asso­cia­tions de laïcs qui se pro­po­saient d’accomplir un apos­to­lat, en répan­dant par­ti­cu­liè­re­ment le culte de la très sainte Vierge (par exemple avec les Filles de Marie)((Pour plus de détails sur l’institution de la pia unio, voir : v. Del Giudice, Notions de droit canon, Giuffré, Milan, 1970.)).

La FSSPX devait-​elle être consi­dé­rée comme une « pia unio », au même titre que les Filles de Marie ? Certainement pas. Sa nature juri­dique intrin­sèque, comme nous l’avons déjà vu, était celle d’une socié­té de vie com­mune sans vœux, com­pa­rable aux congré­ga­tions au sens strict. Comment expli­quer, alors, qu’elle soit née avec l’étiquette de « pia unio » ? Le terme ne doit pas être com­pris dans un sens géné­rique, mais tech­nique. Son emploi montre l’adoption de ce qui devait être une pra­tique affer­mie des évêques. Comme il devait tou­jours y avoir une période d’essai (renou­ve­lable) de quelques années, en géné­ral six, avant d’arriver à l’approbatio défi­ni­tive, on com­men­çait par éri­ger « au titre de pia unio » la socié­té qui allait par la suite se trans­for­mer en congré­ga­tion. Lorsque ce titre ne cor­res­pon­dait pas à la nature et à l’activité effec­tive de l’entité, c’est-à-dire d’une enti­té qui, née en tant que « pia unio » effec­tive (com­po­sée majo­ri­tai­re­ment de clercs, en l’occurrence), allait ensuite se trans­for­mer en socié­té de vie com­mune sans vœux, alors on était en pré­sence d’une fic­tion légale, qui pré­sen­tait l’avantage de per­mettre à l’Ordinaire une approche la plus pru­dente pos­sible de la nou­velle réa­li­té ecclé­siale et une plus grande liber­té d’action à l’égard du Saint Siège, étant don­né que l’érection d’une enti­té au titre de « pia unio » n’était pas liée à un nihil obs­tat préa­lable du Saint Siège, obli­ga­toire en revanche pour les congré­ga­tions (c. 492 § 1) : « Episcopi […] condere pos­sunt Congregationes reli­gio­sas ; sed eas ne condant neve condi sinant, incon­sul­ta Sede Apostolica ». Dans le cas de la « pia unio » fic­tive, si d’aventure on déci­dait de la sup­pri­mer, qu’allait-on sup­pri­mer : la « pia unio » for­melle (et alors la com­pé­tence de l’Ordinaire était indiscutable)((Sur ce point : Bernard Tissier de Mallerais, Marcel Lefebvre. Une vie, Clovis 2002, p, 508. S.E. Mgr Tissier de Mallerais, dans cet ouvrage fon­da­men­tal pour la com­pré­hen­sion de la figure de Mgr Lefebvre, consi­dère comme juri­di­que­ment (mais non mora­le­ment) légi­time la sup­pres­sion de la FSSPX par Mgr Mamie : « Le 25 avril, en effet, le car­di­nal Tabera [l’un des membres de la « com­mis­sion car­di­na­lice » dont nous avons déjà par­lé] assure Mgr Mamie qu’il « pos­sède l’autorité néces­saire pour reti­rer les actes et conces­sions » de son pré­dé­ces­seur. C’est bien exact, hélas ! La Fraternité, n’ayant pas même reçu le Nihil obs­tat de Rome, n’est pas deve­nue socié­té de droit dio­cé­sain, mais en est res­tée au stade pré­li­mi­naire de pia unio. L’évêque peut donc la dis­soudre (cf. canon 492, § 1–2, et 493) pour une rai­son grave. Raison grave, la « décla­ra­tion » [du 21 novembre 1974, déjà citée] l’est devant les hommes en place, même si elle ne l’est pas devant Dieu ». Voir aus­si pp.459–460, où l’on révèle que le recours à la for­mule de la « pia unio » fut sug­gé­ré par des car­di­naux amis de Mgr Lefebvre. Ainsi, ajoutons-​nous, on évi­tait de devoir dépendre de l’autorisation préa­lable du Saint Siège (non requise pour les pieuses unions – c. 708 : suf­fi­cit Ordinarii appro­ba­tio), au sein duquel Mgr Lefebvre avait des enne­mis puis­sants. Mais l’érection « au titre de pia unio » ne trans­for­mait pas la FSSPX en une pia unio, elle ne la fai­sait pas être quelque chose de dif­fé­rent de ce qu’elle était, elle se limi­tait à lui col­ler une éti­quette ne cor­res­pon­dant pas au conte­nu, pour des rai­sons de pru­dence et d’opportunité par­fai­te­ment com­pré­hen­sibles, impo­sées par la situa­tion à quelqu’un qui, dans la Hiérarchie, face à la grave crise dans laquelle se trou­vaient les sémi­naires inves­tis par les « réformes » pro­mues par Vatican II, se pré­oc­cu­pait d’en faire naître un qui soit fidèle à l’enseignement tra­di­tion­nel.)) ou la socié­té concrète de vie com­mune sans vœux ? Nous sommes de ceux qui pensent que, dans cer­tains cas, l’organisation juri­dique concrète doit pré­va­loir sur l’organisation juri­dique for­melle, sur­tout quand elle est pure­ment for­melle. Et nous sommes convain­cus que cette façon de sen­tir est conforme à l’esprit du droit canon. C’est l’entité dans sa réa­li­té ins­ti­tu­tion­nelle concrète, c’est ce qu’elle est selon ses sta­tuts, confir­més par le com­por­te­ment effec­ti­ve­ment adop­té, c’est cette enti­té que l’autorité décide à un cer­tain moment de sup­pri­mer. La réponse à la ques­tion ci-​dessus nous semble donc évi­dente. La FSSPX a agi depuis le début de son exis­tence comme congré­ga­tion à tous points de vue, il n’y a pas eu de période pré­li­mi­naire pen­dant laquelle ses membres auraient vécu sans pra­ti­quer la vie en com­mun, sans obser­ver l’obligation de confor­mer cha­cune de leurs actions quo­ti­diennes aux pres­crip­tions des statuts.

Deux confirmations de notre thèse

Le fait que la FSSPX a tou­jours été consi­dé­rée comme une socié­té de vie com­mune sans vœux est éga­le­ment prou­vé, à notre avis, par deux autres faits. Entre 1971 et 1975, le Saint Siège auto­ri­sa trois prêtres exté­rieurs à la Fraternité à y être incar­di­nés canoniquement((A Rome and Écône Handbook, Q 2.)). Cela démontre que la Fraternité était consi­dé­rée comme une congré­ga­tion, et non comme une pia unio. En outre, dans le pro­to­cole d’accord signé par le Saint Siège et la Fraternité le 5 mai 1988, et auquel, comme cha­cun sait, il ne fut don­né aucune suite, on affir­mait au sujet des « ques­tions juri­diques » à régler : « En tenant compte du fait que la Fraternité […] a été conçue depuis 18 ans comme une socié­té de vie en com­mun […] la forme cano­nique la plus adap­tée [à son enca­dre­ment selon le nou­veau Code] est celle d’une Société de vie apos­to­lique »((Texte dans Cor Unum, n°30, juin 1988, p. 31.)). On constate donc ici que son érec­tion « au titre de pia unio » est oubliée, car sans signi­fi­ca­tion pour la déter­mi­na­tion de la nature juri­dique spé­ci­fique de la Fraternité.

Ces affir­ma­tions ont été, à l’époque, signées par le car­di­nal Ratzinger. Cela signi­fie que le Saint Siège n’avait aucune objec­tion à l’affirmation que la Fraternité « avait été conçue pen­dant 18 ans [et donc depuis sa consti­tu­tion] comme socié­té de vie en com­mun [sans vœux publics] ». Le régime juri­dique que le pro­to­cole d’accord pré­voyait pour elle, en confor­mi­té avec la dis­ci­pline du nou­veau CIC, était celui de la « socié­té de vie apos­to­lique ». Or ces socie­tates vitœ apo­to­li­cœ sont pré­ci­sé­ment, muta­tis mutan­dis, les héri­tières directes, comme l’on sait, des socie­tates in com­mu­ni viven­tium sine voti­bus du code pré­cé­dent : « Dans le CIC de 1917 aus­si (c. 673–681), ces socié­tés [de vie apos­to­lique] avaient reçu un trai­te­ment du légis­la­teur, éga­le­ment sous la déno­mi­na­tion de socié­tés de vie en com­mun sans vœux. Il y a donc, chez le légis­la­teur d’hier et d’aujourd’hui, une volon­té évi­dente de les exclure de la caté­go­rie des reli­gieux au sens strict […]. Toutefois, cela n’empêche pas qu’elles soient consi­dé­rées [par le code lui-​même] comme sem­blables aux ins­ti­tuts de vie consa­crée [c’est la nou­velle déno­mi­na­tion des reli­gions] soit parce qu’elles ont une vie com­mune, soit parce qu’elles pro­fessent des vœux reli­gieux, soit parce qu’elles observent les consti­tu­tions [leurs statuts]((Commentaire du CIC de 1983, par Mgr Pio Vito Pinto, 1985.)).

Puisque la FSSPX était une socie­tas de vie en com­mun sans vœux, son inté­gra­tion dans la forme juri­dique de la socie­tas vitœ apos­to­li­cœ du nou­veau code consti­tuait une sorte de débou­ché natu­rel, débou­ché contre lequel per­sonne n’avait la moindre objec­tion. Du pro­to­cole d’accord du 5 mai 1988, on peut donc reti­rer, à notre avis, une indé­niable confir­ma­tion post fac­tum de la vraie nature juri­dique de la Fraternité, qui n’est pas et n’a jamais été celle de la pia unio. Les « pieuses unions » ont dis­pa­ru du nou­veau code, en tant que caté­go­rie auto­nome. Elles sont com­prises dans les pres­crip­tions géné­rales du c. 304 sur les « conso­cia­tio­ni­bus chris­ti­fi­de­lium », c’est-à-dire sur les « asso­cia­tions » de fidèles, publiques ou pri­vées, « quelle que soit leur appel­la­tion ». Des anciennes asso­cia­tions de fidèles, seuls les Tiers Ordres ont été main­te­nus comme forme auto­nome, au c. 303.

Le sens authentiquement religieux de la « croisade » invoquée par Mgr lefebvre

On le sait, Mgr Lefebvre ne plia pas devant l’injustice qu’on lui fai­sait subir, il refu­sa de fer­mer son sémi­naire (aujourd’hui encore bien vivant et flo­ris­sant), et il pro­cé­da aux ordi­na­tions épis­co­pales pré­vues pour le 29 juin 1975. Il fut, pour cela, sus­pen­du a divi­nis. Quelle valeur doit-​on accor­der à cette « sus­pense » ? Nous pen­sons n’offenser per­sonne en affir­mant qu’elle doit être consi­dé­rée comme contes­table, en rai­son d’une absence de pré­misses légi­times, car pro­non­cée sur la base d’un acte qui consti­tuait un abus de pou­voir de la part de l’autorité, et qu’elle est de toute façon inva­lide. En effet, la « déso­béis­sance » de Mgr Lefebvre, dans la mesure où elle avait été pro­vo­quée par l’état de néces­si­té dans lequel il s’était trou­vé sou­dai­ne­ment et injus­te­ment, soit ne pou­vait pas consti­tuer un motif d’accusation (car le c. 2205 § 2 admet­tait la situa­tion de « néces­si­té » par­mi celles qui sup­pri­maient l’imputabilité même du « délit » éven­tuel­le­ment com­mis), soit devait être punie (dans l’esprit du code de droit canon, qui tenait en par­ti­cu­lier au prin­cipe de juste pro­por­tion entre peine et délit – c. 2218 § 1) par une sanc­tion moins sévère. Cette « déso­béis­sance », en effet, aurait très bien pu se voir appli­quer les pres­crip­tions du § 3 de ce même canon, qui énu­mé­rait cer­tains types d’actes accom­plis en état de néces­si­té, les­quels ne sup­pri­maient pas l’imputabilité mais l’atténuaient. Parmi ces actes se trou­vaient jus­te­ment les actes accom­plis « in contemp­tum eccle­sias­ti­cae auc­to­ri­ta­tis », aux­quels pou­vait être assi­mi­lé un com­por­te­ment consi­dé­ré comme déso­béis­sant (cf. c. 2331 § 1).

Mais ce qui est arri­vé par la suite à Mgr Lefebvre fut encore pire, nous le savons, avec l’excommunication de 1988 qui lui infli­geait l’étiquette de « schis­ma­tique » parce qu’il avait consa­cré quatre évêques comme ses suc­ces­seurs pour conduire la FSSPX, n’observant pas la volon­té du Pontife alors régnant, qui l’avait invi­té à sur­seoir, à conti­nuer les négo­cia­tions en cours depuis quelque temps avec le Saint Siège au sujet du choix de son ou ses suc­ces­seurs. Sur la ques­tion de l’excommunication et du « schisme » sup­po­sé de Mgr Lefebvre, notre revue s’est déjà pro­non­cée dans deux études ad hoc, parues il y a quelques années (Les consé­cra­tions épis­co­pales de S.E. Mgr Lefebvre néces­saires mal­gré le « non » du Pape. Étude théo­lo­gique, par Hirpinus (1999); Une excom­mu­ni­ca­tion inva­lide – un schisme inexis­tant. Réflexions dix ans après les sacres d’Écône. Étude cano­nique, par Causidicus, 1999). Il nous semble donc inutile de reve­nir sur le sujet. Nous sommes de ceux qui pensent que Mgr Lefebvre a tou­jours agi avec la plus grande bonne foi. Nous sommes cer­tains, et tout son com­por­te­ment le démontre, qu’il a pris sa déci­sion convain­cu de se trou­ver en état de néces­si­té, à cause des réti­cences et des ambi­guï­tés qui se pro­lon­geaient du côté du Vatican, au sujet des moda­li­tés et de la date du choix des suc­ces­seurs (un expo­sé détaillé et impar­tial des évé­ne­ments qui ont conduit au sacre des quatre évêques d’Écône est pro­po­sé par Bernard Tissier de Mallerais, op. cit., pp. 557–595).

Excommunication inva­lide, donc, parce qu’exclue expres­sé­ment par le CIC de 1983 en tant que puni­tion s’appliquant à une déso­béis­sance moti­vée par une telle convic­tion, et schisme inexis­tant, car les faits démontrent que jamais Mgr Lefebvre n’a vou­lu ins­ti­tuer une Église paral­lèle, pas plus que les quatre évêques qu’il a consa­crés. La FSSPX doit tou­jours être consi­dé­rée comme membre à part entière de l’Église mili­tante, dont per­sonne ne peut être exclu par des mesures invalides.

La « croi­sade » à laquelle Mgr Lefebvre invi­tait les catho­liques n’était donc pas celle d’un prêtre rebelle à l’enseignement de l’Église, accu­sé car­ré­ment de schisme !

Canonicus in Sì Sì No No, Année XXXIX, n°286 Mensuel – Nouvelle Série Février 2006