Entretien du cardinal Kasper au Corriere della Sera – La conversion des juifs

Nous pen­sons rai­son­na­ble­ment que cette prière ne peut deve­nir un obs­tacle au dia­logue, parce qu’elle reflète la foi de l’Eglise et du reste, les juifs aus­si ont dans leurs textes litur­giques des prières qui ne nous plaisent pas à nous, chré­tiens. Cela doit être accep­té et res­pec­té dans la diversité 

Eminence, ce qui dérange les juifs, c’est cette prière qui demande leur conversion…

C’est vrai. Mais cette invo­ca­tion doit être com­prise en fonc­tion de la source des mots uti­li­sés pour cette prière. C’est un texte de l’Apître Paul qui exprime l’espérance escha­to­lo­gique – c’est-à-dire en réfé­rence aux temps der­niers, à la fin de l’histoire – que le peuple d’Israël entre aus­si dans l’Eglise quand tous les autres peuples y entre­ront. Je veux dire qu’elle exprime une espé­rance finale et n’ap­pelle pas à une mis­sion par­mi eux. 

La prière demande à Dieu « que, entrant dans la plé­ni­tude des membres de ton Église, tout Israël soit sau­vé ». On demande par consé­quent à Israël d’en­trer dans l’Église…

Vous pou­vez véri­fier que ces mots sont tirés de l’Épître de Paul aux Romains qui, au cha­pitre 11, ver­sets 25 et 26, pré­voit que « à l’en­trée de l’en­semble des païens (…) Israël tout entier sera sau­vé ». L’Écriture est pour nous un texte nor­ma­tif. Nul ne doit être offen­sé par le fait que nous sommes fidèles à nos Écritures, du moment qu’il est évident – comme c’est le cas ici – qu’on n’en donne pas une inter­pré­ta­tion offensante.

La prière demande aus­si que Dieu « illu­mine leurs cœurs, pour qu’ils recon­naissent Jésus-​Christ sau­veur de tous les hommes ».

Avec cette expres­sion, nous ren­dons témoi­gnage de notre foi en Jésus-​Christ. Pour nous, Jésus est le Christ, le Messie et le Fils de Dieu. Les juifs ne le recon­naissent pas comme tel. La dif­fé­rence sur ce point est consti­tu­tive du dia­logue et doit être accep­tée. Nous sommes de toutes nos forces pour le dia­logue, mais son objec­tif n’est cer­tai­ne­ment la sup­pres­sion des dif­fé­rences constitutives.

Il n’é­tait pas dif­fi­cile de reprendre la prière du Missel de Paul VI…

C’est vrai, mais le pape a pré­fé­ré com­po­ser une prière qui rap­pelle la place cen­trale du Christ, comme cela avait été le cas avec l’Instruction Dominus Jesus en 2000. Le Saint-​Père est très atten­tif à cet aspect de notre foi, qui est sans aucun doute cen­tral. Je dois dire que je ne com­prends pas pour­quoi les juifs ne peuvent accep­ter que nous jouis­sions de notre liber­té dans la for­mu­la­tion de nos
prières.

N’est-​ce pas à cause du mau­vais sou­ve­nir des conver­sions forcées ?

Des choses très mau­vaises ont été faites, lorsqu’on vou­lait contraindre les juifs à la conver­sion. Nous com­pre­nons le mau­vais sou­ve­nir de faits pour les­quels nous avons deman­dé par­don. Mais nous avons plus de dif­fi­cul­té à com­prendre com­ment on ne peut accep­ter le témoi­gnage de notre foi quand celle-​ci est expri­mée dans le plein res­pect de la foi d’autrui

Recueilli par Luigi Accattoli