Discours de Benoît XVI aux évêques de France du 14 septembre 2008

Messieurs les Cardinaux,

Très chers Frères dans l’Épiscopat !

C’est la pre­mière fois depuis le début de mon Pontificat que j’ai la joie de vous ren­con­trer tous ensemble. Je salue cor­dia­le­ment votre Président, le Cardinal André Vingt-​Trois, et je le remer­cie des paroles aimables et pro­fondes qu’il m’a adres­sées en votre nom. Je salue aus­si avec plai­sir les Vice-​Présidents ain­si que le Secrétaire Général et ses col­la­bo­ra­teurs. Je salue cha­leu­reu­se­ment cha­cun de vous, mes Frères dans l’Épiscopat, qui êtes venus des quatre coins de France et d’Outre-​mer. J’inclus éga­le­ment Mgr François Garnier, Archevêque de Cambrai, qui célèbre aujourd’­hui à Valenciennes le Millénaire de Notre-​Dame du Saint-Cordon. 

Je me réjouis d’être par­mi vous ce soir dans cet hémi­cycle Sainte-​Bernadette , qui est le lieu ordi­naire de vos prières et de vos ren­contres, lieu où vous expo­sez vos sou­cis et vos espé­rances, et lieu de vos dis­cus­sions et de vos réflexions. Cette salle est située à un endroit pri­vi­lé­gié près de la grotte et des basi­liques mariales. Certes, les visites ad limi­na vous font ren­con­trer régu­liè­re­ment le Successeur de Pierre à Rome, mais ce moment, que nous vivons, nous est don­né comme une grâce pour réaf­fir­mer les liens étroits qui nous unissent dans le par­tage du même sacer­doce direc­te­ment issu de celui du Christ rédemp­teur. Je vous encou­rage à conti­nuer à tra­vailler dans l’u­ni­té et la confiance, en pleine com­mu­nion avec Pierre qui est venu pour raf­fer­mir votre foi. Vous l’avez dit, Éminence, bien nom­breuses sont actuel­le­ment vos et nos pré­oc­cu­pa­tions ! Je sais que vous avez à cœur de tra­vailler dans le nou­veau cadre défi­ni par la réor­ga­ni­sa­tion de la carte des pro­vinces ecclé­sias­tiques, et je m’en réjouis vive­ment. Je vou­drais pro­fi­ter de cette occa­sion pour réflé­chir avec vous sur quelques thèmes que je sais être au centre de votre attention.

L’Église – Une, Sainte, Catholique et Apostolique – vous a enfan­tés par le Baptême. Elle vous a appe­lés à son ser­vice ; vous lui avez don­né votre vie, d’a­bord comme diacres et prêtres, puis comme évêques. Je vous exprime toute mon estime pour ce don de vos per­sonnes : mal­gré l’am­pleur de la tâche, que ne vient pas dimi­nuer l’hon­neur qu’elle com­porte – honor, onus ! – vous accom­plis­sez avec fidé­li­té et humi­li­té la triple tâche qui est la vôtre : ensei­gner, gou­ver­ner, sanc­ti­fier sui­vant la Constitution Lumen Gentium (nn. 25–28) et le décret Christus Dominus. Successeurs des Apôtres, vous repré­sen­tez le Christ à la tête des dio­cèses qui vous ont été confiés, et vous vous effor­cez d’y réa­li­ser le por­trait de l’Évêque tra­cé par saint Paul ; vous avez à gran­dir sans cesse dans cette voie, afin d’être tou­jours plus « hos­pi­ta­liers, amis du bien, pon­dé­rés, justes, pieux, maîtres de vous, atta­chés à l’en­sei­gne­ment sûr, conformes à la doc­trine » (cf. Tt 1, 8–9). Le peuple chré­tien doit vous consi­dé­rer avec affec­tion et res­pect. Dès les ori­gines, la tra­di­tion chré­tienne a insis­té sur ce point : « Tous ceux qui sont à Dieu et à Jésus-​Christ, ceux-​là sont avec l’Évêque », disait saint Ignace d’Antioche (Aux Philad. 3, 2), qui ajou­tait encore : « celui que le maître de mai­son envoie pour admi­nis­trer sa mai­son, il faut que nous le rece­vions comme celui-​là même qui l’a envoyé » (Aux Eph. 6, 1). Votre mis­sion, spi­ri­tuelle sur­tout, consiste donc à créer les condi­tions néces­saires pour que les fidèles puissent, pour citer de nou­veau saint Ignace, « chan­ter d’une seule voix par Jésus-​Christ un hymne au Père » (Ibid. 4, 2) et faire ain­si de leur vie une offrande à Dieu.

Vous êtes à juste titre convain­cus que, pour faire gran­dir en chaque bap­ti­sé le goût de Dieu et la com­pré­hen­sion du sens de la vie, la caté­chèse est d’une impor­tance fon­da­men­tale. Les deux ins­tru­ments prin­ci­paux dont vous dis­po­sez, le Catéchisme de l’Église catho­lique et le Catéchisme des Évêques de France consti­tuent de pré­cieux atouts. Ils donnent de la foi catho­lique une syn­thèse har­mo­nieuse et per­mettent d’an­non­cer l’Évangile dans une fidé­li­té réelle à sa richesse. La caté­chèse n’est pas d’a­bord affaire de méthode, mais de conte­nu, comme l’in­dique son nom même : il s’a­git d’une sai­sie orga­nique (kat-​echein) de l’en­semble de la révé­la­tion chré­tienne, apte à mettre à la dis­po­si­tion des intel­li­gences et des cœurs la Parole de Celui qui a don­né sa vie pour nous. De cette manière, la caté­chèse fait reten­tir au cœur de chaque être humain un unique appel sans cesse renou­ve­lé : « Suis-​moi » (Mt 9, 9). Une soi­gneuse pré­pa­ra­tion des caté­chistes per­met­tra la trans­mis­sion inté­grale de la foi, à l’exemple de saint Paul, le plus grand caté­chiste de tous les temps, vers lequel nous regar­dons avec une admi­ra­tion par­ti­cu­lière en ce bimil­lé­naire de sa nais­sance. Au milieu des sou­cis apos­to­liques, il exhor­tait ain­si : « Un temps vien­dra où l’on ne sup­por­te­ra plus l’enseignement solide, mais, au gré de leur caprice, les gens iront cher­cher une foule de maîtres pour cal­mer leur déman­geai­son d’entendre du nou­veau. Ils refu­se­ront d’entendre la Vérité pour se tour­ner vers des récits mytho­lo­giques » (2 Tm 4, 3–4). Conscients du grand réa­lisme de ses pré­vi­sions, avec humi­li­té et per­sé­vé­rance vous vous effor­cez de cor­res­pondre à ses recom­man­da­tions : « Proclame la Parole, inter­viens à temps et à contre­temps … avec une grande patience et avec le sou­ci d’ins­truire » (2 Tm 4, 2).

Pour réa­li­ser effi­ca­ce­ment cette tâche, vous avez besoin de col­la­bo­ra­teurs. Pour cette rai­son les voca­tions sacer­do­tales et reli­gieuses méritent plus que jamais d’être encou­ra­gées. J’ai été infor­mé des ini­tia­tives qui sont prises avec foi en ce domaine, et je tiens à appor­ter tout mon sou­tien à ceux qui n’ont pas peur, tel le Christ, d’in­vi­ter jeunes ou moins jeunes à se mettre au ser­vice du Maître qui est là et qui appelle (cf. Jn 11, 28). Je vou­drais remer­cier cha­leu­reu­se­ment et encou­ra­ger toutes les familles, toutes les paroisses, toutes les com­mu­nau­tés chré­tiennes et tous les mou­ve­ments d’Église qui sont la bonne terre qui donne le bon fruit (cf. Mt 13, 8) des voca­tions. Dans ce contexte, je ne veux pas omettre d’exprimer ma recon­nais­sance pour les innom­brables prières de vrais dis­ciples du Christ et de son Église. Il y a par­mi eux des prêtres, des reli­gieux et reli­gieuses, des per­sonnes âgées ou des malades, des pri­son­niers aus­si, qui durant des décen­nies ont fait mon­ter vers Dieu leurs sup­pli­ca­tions pour accom­plir le com­man­de­ment de Jésus : « Priez donc le maître de la mois­son d’envoyer des ouvriers pour sa mois­son » (Mt 9, 38). L’Évêque et les com­mu­nau­tés de fidèles doivent, pour ce qui les concerne, favo­ri­ser et accueillir les voca­tions sacer­do­tales et reli­gieuses, en s’ap­puyant sur la grâce que donne l’Esprit Saint pour opé­rer le dis­cer­ne­ment néces­saire. Oui, très chers Frères dans l’é­pis­co­pat, conti­nuez à appe­ler au sacer­doce et à la vie reli­gieuse, tout comme Pierre a lan­cé ses filets sur l’ordre du Maître, alors qu’il avait pas­sé la nuit à pêcher sans rien prendre (cf. Lc 5, 5).

On ne dira jamais assez que le sacer­doce est indis­pen­sable à l’Église, dans l’in­té­rêt même du laï­cat. Les prêtres sont un don de Dieu pour l’Église. Les prêtres ne peuvent délé­guer leurs fonc­tions aux fidèles en ce qui concerne leurs mis­sions propres. Chers Frères dans l’é­pis­co­pat, je vous invite à res­ter sou­cieux d’ai­der vos prêtres à vivre dans une union intime avec le Christ. Leur vie spi­ri­tuelle est le fon­de­ment de leur vie apos­to­lique. Vous les exhor­te­rez avec dou­ceur à la prière quo­ti­dienne et à la célé­bra­tion digne des Sacrements, sur­tout de l’Eucharistie et de la Réconciliation, comme le fai­sait saint François de Sales pour ses prêtres. Tout prêtre doit pou­voir se sen­tir heu­reux de ser­vir l’Église. A l’é­cole du curé d’Ars, fils de votre terre et patron de tous les curés du monde, ne ces­sez pas de redire qu’un homme ne peut rien faire de plus grand que de don­ner aux fidèles le corps et le sang du Christ, et de par­don­ner les péchés. Cherchez à être atten­tifs à leur for­ma­tion humaine, intel­lec­tuelle et spi­ri­tuelle et à leurs moyens d’exis­tence. Essayez, mal­gré le poids de vos lourdes occu­pa­tions, de les ren­con­trer régu­liè­re­ment et sachez les rece­voir comme des frères et des amis (cf. LG 28 et CPE 16). Les prêtres ont besoin de votre affec­tion, de votre encou­ra­ge­ment et de votre sol­li­ci­tude. Soyez proches d’eux et ayez une atten­tion par­ti­cu­lière pour ceux qui sont en dif­fi­cul­té, malades ou âgés (cf. CPE 16). N’oubliez pas qu’ils sont comme le dit le Concile Vatican II, repre­nant la superbe expres­sion uti­li­sée par saint Ignace d’Antioche aux Magnésiens, « la cou­ronne spi­ri­tuelle de l’Évêque » (LG 41).

Le culte litur­gique est l’ex­pres­sion suprême de la vie sacer­do­tale et épis­co­pale, comme aus­si de l’en­sei­gne­ment caté­ché­tique. Votre charge de sanc­ti­fi­ca­tion du peuple des fidèles, chers Frères, est indis­pen­sable à la crois­sance de l’Église. J’ai été ame­né à pré­ci­ser, dans le Motu pro­prio Summorum Pontificum, les condi­tions d’exer­cice de cette charge, en ce qui concerne la pos­si­bi­li­té d’u­ti­li­ser aus­si bien le mis­sel du bien­heu­reux Jean XXIII (1962) que celui du Pape Paul VI (1970). Des fruits de ces nou­velles dis­po­si­tions ont déjà vu le jour, et j’espère que l’in­dis­pen­sable paci­fi­ca­tion des esprits est, grâce à Dieu, en train de se faire. Je mesure les dif­fi­cul­tés qui sont les vôtres, mais je ne doute pas que vous puis­siez par­ve­nir, en temps rai­son­nable, à des solu­tions satis­fai­santes pour tous, afin que la tunique sans cou­ture du Christ ne se déchire pas davan­tage. Nul n’est de trop dans l’Église. Chacun, sans excep­tion, doit pou­voir s’y sen­tir chez lui, et jamais reje­té. Dieu qui aime tous les hommes et ne veut en perdre aucun nous confie cette mis­sion de Pasteurs, en fai­sant de nous les Bergers de ses bre­bis. Nous ne pou­vons que Lui rendre grâce de l’hon­neur et de la confiance qu’Il nous fait. Efforçons-​nous donc tou­jours d’être des ser­vi­teurs de l’unité !

Quels sont les autres domaines qui requièrent une plus grande atten­tion ? Les réponses peuvent dif­fé­rer d’un dio­cèse à l’autre, mais il y a cer­tai­ne­ment un pro­blème qui appa­raît par­tout d’une urgence par­ti­cu­lière : c’est la situa­tion de la famille. Nous savons que le couple et la famille affrontent aujourd’­hui de vraies bour­rasques. Les paroles de l’évangéliste à pro­pos de la barque dans la tem­pête au milieu du lac peuvent s’appliquer à la famille : « Les vagues se jetaient sur la barque, si bien que déjà elle se rem­plis­sait » (Mc 4, 37). Les fac­teurs qui ont ame­né cette crise sont bien connus, et je ne m’at­tar­de­rai donc pas à les énu­mé­rer. Depuis plu­sieurs décen­nies, des lois ont rela­ti­vi­sé en dif­fé­rents pays sa nature de cel­lule pri­mor­diale de la socié­té. Souvent, elles cherchent plus à s’a­dap­ter aux mœurs et aux reven­di­ca­tions de per­sonnes ou de groupes par­ti­cu­liers, qu’à pro­mou­voir le bien com­mun de la socié­té. L’union stable d’un homme et d’une femme, ordon­née à la construc­tion d’un bon­heur ter­restre grâce à la nais­sance d’en­fants don­nés par Dieu, n’est plus, dans l’es­prit de cer­tains, le modèle auquel l’engagement conju­gal se réfère. Cependant l’expérience enseigne que la famille est le socle sur lequel repose toute la socié­té. De plus, le chré­tien sait que la famille est aus­si la cel­lule vivante de l’Église. Plus la famille sera impré­gnée de l’es­prit et des valeurs de l’Évangile, plus l’Église elle-​même en sera enri­chie et répon­dra mieux à sa voca­tion. D’ailleurs je connais et j’encourage vive­ment les efforts que vous faites afin d’ap­por­ter votre sou­tien aux dif­fé­rentes asso­cia­tions qui œuvrent pour aider les familles. Vous avez rai­son de main­te­nir, même à contre-​courant, les prin­cipes qui font la force et la gran­deur du Sacrement de mariage. L’Église veut res­ter indé­fec­ti­ble­ment fidèle au man­dat que lui a confié son Fondateur, notre Maître et Seigneur Jésus-​Christ. Elle ne cesse de répé­ter avec Lui : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » (Mt 19, 6). L’Église ne s’est pas don­né cette mis­sion : elle l’a reçue. Certes, per­sonne ne peut nier l’exis­tence d’é­preuves, par­fois très dou­lou­reuses, que tra­versent cer­tains foyers. Il fau­dra accom­pa­gner ces foyers en dif­fi­cul­té, les aider à com­prendre la gran­deur du mariage, et les encou­ra­ger à ne pas rela­ti­vi­ser la volon­té de Dieu et les lois de vie qu’Il nous a don­nées. Une ques­tion par­ti­cu­liè­re­ment dou­lou­reuse, nous le savons, est celle des divor­cés rema­riés. L’Église, qui ne peut s’op­po­ser à la volon­té du Christ, main­tient fer­me­ment le prin­cipe de l’in­dis­so­lu­bi­li­té du mariage, tout en entou­rant de la plus grande affec­tion ceux et celles qui, pour de mul­tiples rai­sons, ne par­viennent pas à le res­pec­ter. On ne peut donc admettre les ini­tia­tives qui visent à bénir des unions illé­gi­times. L’Exhortation apos­to­lique Familiaris consor­tio a indi­qué le che­min ouvert par une pen­sée res­pec­tueuse de la véri­té et de la charité.

Les jeunes, je le sais bien, chers Frères, sont au centre de vos pré­oc­cu­pa­tions. Vous leur consa­crez beau­coup de temps, et vous avez rai­son. Ainsi que vous avez pu le consta­ter, je viens d’en ren­con­trer une mul­ti­tude à Sydney, au cours de la Journée Mondiale de la Jeunesse. J’ai appré­cié leur enthou­siasme et leur capa­ci­té de se consa­crer à la prière. Tout en vivant dans un monde qui les cour­tise et qui flatte leurs bas ins­tincts, por­tant, eux aus­si, le poids bien lourd d’hé­ri­tages dif­fi­ciles à assu­mer, les jeunes conservent une fraî­cheur d’âme qui a fait mon admi­ra­tion. J’ai fait appel à leur sens des res­pon­sa­bi­li­tés en les invi­tant à s’ap­puyer tou­jours sur la voca­tion que Dieu leur a don­née au jour de leur Baptême. « Notre force, c’est ce que le Christ veut de nous », disait le Cardinal Jean-​Marie Lustiger. Au cours de son pre­mier voyage en France, mon véné­ré Prédécesseur avait fait entendre aux jeunes de votre pays un dis­cours qui n’a rien per­du de son actua­li­té et qui avait alors reçu un accueil d’une fer­veur inou­bliable. « La per­mis­si­vi­té morale ne rend pas l’homme heu­reux », avait-​il pro­cla­mé au Parc-​des-​Princes, sous des ton­nerres d’ap­plau­dis­se­ments. Le bon sens qui ins­pi­rait la saine réac­tion de son audi­toire n’est pas mort. Je prie l’Esprit Saint de par­ler au cœur de tous les fidèles et, plus géné­ra­le­ment, de tous vos com­pa­triotes, afin de leur don­ner – ou de leur rendre – le goût d’une vie menée selon les cri­tères d’un bon­heur véritable.

A l’Élysée, j’ai évo­qué l’autre jour l’o­ri­gi­na­li­té de la situa­tion fran­çaise que le Saint-​Siège désire res­pec­ter. Je suis convain­cu, en effet, que les Nations ne doivent jamais accep­ter de voir dis­pa­raître ce qui fait leur iden­ti­té propre. Dans une famille, les dif­fé­rents membres ont beau avoir le même père et la même mère, ils ne sont pas des indi­vi­dus indif­fé­ren­ciés, mais bien des per­sonnes avec leur propre sin­gu­la­ri­té. Il en va de même pour les pays, qui doivent veiller à pré­ser­ver et déve­lop­per leur culture propre, sans jamais la lais­ser absor­ber par d’autres ou se noyer dans une terne uni­for­mi­té. « La Nation est en effet, pour reprendre les termes du Pape Jean-​Paul II, la grande com­mu­nau­té des hommes qui sont unis par des liens divers, mais sur­tout, pré­ci­sé­ment, par la culture. La Nation existe « par » la culture et « pour » la culture, et elle est donc la grande édu­ca­trice des hommes pour qu’ils puissent « être davan­tage » dans la com­mu­nau­té » (Discours à l’UNESCO, 2 juin 1980, n. 14). Dans cette pers­pec­tive, la mise en évi­dence des racines chré­tiennes de la France per­met­tra à cha­cun des habi­tants de ce Pays de mieux com­prendre d’où il vient et où il va. Par consé­quent, dans le cadre ins­ti­tu­tion­nel exis­tant et dans le plus grand res­pect des lois en vigueur, il fau­drait trou­ver une voie nou­velle pour inter­pré­ter et vivre au quo­ti­dien les valeurs fon­da­men­tales sur les­quelles s’est construite l’identité de la Nation. Votre Président en a évo­qué la pos­si­bi­li­té. Les pré­sup­po­sés socio­po­li­tiques d’une antique méfiance, ou même d’hostilité, s’é­va­nouissent peu à peu. L’Église ne reven­dique pas la place de l’État. Elle ne veut pas se sub­sti­tuer à lui. Elle est une socié­té basée sur des convic­tions, qui se sait res­pon­sable du tout et ne peut se limi­ter à elle-​même. Elle parle avec liber­té, et dia­logue avec autant de liber­té dans le seul désir d’ar­ri­ver à la construc­tion de la liber­té com­mune. Une saine col­la­bo­ra­tion entre la Communauté poli­tique et l’Église, réa­li­sée dans la conscience et le res­pect de l’indépendance et l’autonomie de cha­cune dans son propre domaine, est un ser­vice ren­du à l’homme, ordon­né à son épa­nouis­se­ment per­son­nel et social. De nom­breux points, pré­mices d’autres qui s’y ajou­te­ront selon les néces­si­tés, ont déjà été exa­mi­nés et réso­lus au sein de l’ « Instance de Dialogue entre l’Église et l’État ». En ver­tu de sa mis­sion propre et au nom du Saint-​Siège, le Nonce Apostolique y siège natu­rel­le­ment, lui qui est appe­lé à suivre acti­ve­ment la vie de l’Église et sa situa­tion dans la société.

Comme vous le savez, mes pré­dé­ces­seurs, le bien­heu­reux Jean XXIII, ancien Nonce à Paris, et le Pape Paul VI, ont vou­lu des Secrétariats qui sont deve­nus, en 1988, le Conseil Pontifical pour la pro­mo­tion de l’Unité des Chrétiens et le Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux. S’y ajou­tèrent très vite la Commission pour les Rapports Religieux avec le Judaïsme et la Commission pour les Rapports Religieux avec les Musulmans. Ces struc­tures sont en quelque sorte la recon­nais­sance ins­ti­tu­tion­nelle et conci­liaire des innom­brables ini­tia­tives et réa­li­sa­tions anté­rieures. Des com­mis­sions ou conseils simi­laires se trouvent d’ailleurs dans votre Conférence Épiscopale et dans vos Diocèses. Leur exis­tence et leur fonc­tion­ne­ment démontrent la volon­té de l’Église d’al­ler de l’a­vant (…) dans le dia­logue bila­té­ral. La récente Assemblée plé­nière du Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux a mis en évi­dence que le dia­logue authen­tique demande comme condi­tions fon­da­men­tales une bonne for­ma­tion pour ceux qui le pro­meuvent, et un dis­cer­ne­ment éclai­ré pour avan­cer peu à peu dans la décou­verte de la Vérité. L’objectif des dia­logues œcu­mé­nique et inter­re­li­gieux, dif­fé­rents natu­rel­le­ment dans leur nature et leur fina­li­té res­pec­tive, est la recherche et l’approfondissement de la Vérité. Il s’a­git donc d’une tâche noble et obli­ga­toire pour tout homme de foi, car le Christ lui-​même est la Vérité. La construc­tion des ponts entre les grandes tra­di­tions ecclé­siales chré­tiennes et le dia­logue avec les autres tra­di­tions reli­gieuses, exigent un réel effort de connais­sance réci­proque, car l’i­gno­rance détruit plus qu’elle ne construit. Par ailleurs, il n’y a que la Vérité qui per­mette de vivre authen­ti­que­ment le double Commandement de l’Amour que nous a lais­sé Notre Sauveur. Certes, il faut suivre avec atten­tion les dif­fé­rentes ini­tia­tives entre­prises et dis­cer­ner celles qui favo­risent la connais­sance et le res­pect réci­proques, ain­si que la pro­mo­tion du dia­logue, et évi­ter celles qui conduisent à des impasses. La bonne volon­té ne suf­fit pas. Je crois qu’il est bon de com­men­cer par l’é­coute, puis de pas­ser à la dis­cus­sion théo­lo­gique pour arri­ver enfin au témoi­gnage et à l’an­nonce de la foi elle-​même (cf. Note doc­tri­nale sur cer­tains aspects de l’é­van­gé­li­sa­tion, n. 12, 3 décembre 2007). Puisse l’Esprit Saint vous don­ner le dis­cer­ne­ment qui doit carac­té­ri­ser tout Pasteur ! Saint Paul recom­mande : « Discernez la valeur de toute chose. Ce qui est bien, gardez-​le ! » (1 Th 5, 21). La socié­té glo­ba­li­sée, plu­ri­cul­tu­relle et pluri-​religieuse dans laquelle nous vivons, est une oppor­tu­ni­té que nous donne le Seigneur de pro­cla­mer la Vérité et d’exer­cer l’Amour afin d’at­teindre tout être humain sans dis­tinc­tion, même au-​delà des limites de l’Église visible.

L’année qui a pré­cé­dé mon élec­tion au Siège de Pierre, j’ai eu la joie de venir dans votre pays pour y pré­si­der les céré­mo­nies com­mé­mo­ra­tives du soixan­tième anni­ver­saire du débar­que­ment en Normandie. Rarement comme alors, j’ai sen­ti l’at­ta­che­ment des fils et des filles de France à la terre de leurs aïeux. La France célé­brait alors sa libé­ra­tion tem­po­relle, au terme d’une guerre cruelle qui avait fait de nom­breuses vic­times. Aujourd’hui, c’est sur­tout en vue d’une véri­table libé­ra­tion spi­ri­tuelle qu’il convient d’œu­vrer. L’homme a tou­jours besoin d’être libé­ré de ses peurs et de ses péchés. L’homme doit sans cesse apprendre ou réap­prendre que Dieu n’est pas son enne­mi, mais son Créateur plein de bon­té. L’homme a besoin de savoir que sa vie a un sens et qu’il est atten­du, au terme de son séjour sur la terre, pour par­ta­ger à jamais la gloire du Christ dans les cieux. Votre mis­sion est d’a­me­ner la por­tion du Peuple de Dieu confiée à vos soins à la recon­nais­sance de ce terme glo­rieux. Veuillez trou­ver ici l’ex­pres­sion de mon admi­ra­tion et de ma gra­ti­tude pour tout ce que vous faites afin d’al­ler en ce sens. Veuillez être assu­rés de ma prière quo­ti­dienne pour cha­cun de vous. Veuillez croire que je ne cesse de deman­der au Seigneur et à sa Mère de vous gui­der sur votre route.

Avec joie et émo­tion, je vous confie, très chers Frères dans l’Épiscopat, à Notre Dame de Lourdes et à sainte Bernadette. La puis­sance de Dieu s’est tou­jours déployée dans la fai­blesse. L’Esprit Saint a tou­jours lavé ce qui était souillé, abreu­vé ce qui était sec, redres­sé ce qui était défor­mé. Le Christ Sauveur, qui a bien vou­lu faire de nous les ins­tru­ments de la com­mu­ni­ca­tion de son amour aux hommes, ne ces­se­ra jamais de vous faire gran­dir dans la foi, l’es­pé­rance et la cha­ri­té, pour vous don­ner la joie d’a­me­ner à Lui un nombre crois­sant d’hommes et de femmes de notre temps. 

En vous confiant à sa force de Rédempteur, je vous donne à tous et de tout cœur une affec­tueuse Bénédiction Apostolique.

Benedictus PP. XVI