Lettre du cardinal Seper à Mgr Lefebvre du 19 février 1981

Excellence,

Votre lettre datée du 15 décembre 1980 m’a été fidè­le­ment remise le 27 sui­vant. Je n’ai pas man­qué d’en étu­dier le conte­nu avec atten­tion. Comme c’était aus­si mon devoir, je l’ai por­tée sans retard à la connais­sance du Saint-​Père, qui du reste savait déjà par la lettre que vous lui aviez direc­te­ment adres­sée le 16 octobre 1980, quelles étaient vos propres posi­tions en vue d’une solu­tion. C’est avec son plein accord que je vous fais la pré­sente réponse.

Je me suis réjoui de l’espoir que vous expri­mez d’une nor­ma­li­sa­tion pro­chaine, et je vous remer­cie des nou­velles expli­ca­tions que vous me don­nez dans votre lettre. Il me faut cepen­dant noter que celle-​ci ne répond pas à deux points pré­cis de ma propre lettre du 20 octobre, à savoir la demande d’une « claire mani­fes­ta­tion de regrets », et de la demande d’une accep­ta­tion du Droit ecclé­sias­tique com­mun pour tout ce qui concerne votre minis­tère pas­to­ral et vos œuvres.

Je désire ajou­ter une autre obser­va­tion qui me paraît impor­tante. Même si, comme vous le dites, l’interprétation du deuxième concile du Vatican selon le cri­tère de la Tradition et du Magistère constant de l’Église fait naître pour vous per­son­nel­le­ment de graves réserves au sujet de cer­tains de ses docu­ments, cela ne peut vous auto­ri­ser à tenir ora­le­ment ou par écrit des pro­pos qui attaquent et dis­cré­ditent ce Concile ; cela doit plu­tôt vous inci­ter à cher­cher à com­prendre et à inté­grer les ensei­gne­ments de ces docu­ments dans la Tradition sécu­laire de l’Église.

Enfin je dois vous com­mu­ni­quer que le « pro­jet de décla­ra­tion » que vous vous dites prêt à signer ne paraît pas suf­fi­sam­ment expli­cite eu égard à la situa­tion qui s’est créée ; il est trop en deçà de ce que vous demande le Saint-​Père et que la deuxième par­tie de ma lettre du 20 octobre 1980 vous a fait connaître. Les termes de l’accord pro­po­sé par des car­di­naux et experts lié à la décla­ra­tion ne peuvent pas non plus être accep­tés tels quels.

La plu­part font sérieu­se­ment dif­fi­cul­té sous leur forme actuelle : ain­si la liber­té d’utiliser les seuls livres litur­giques publiés par le Pape Jean XXIII équi­vaut au rejet de l’ensemble de la réforme litur­gi­que, pour­tant déci­dée par un Concile œcu­mé­nique légi­time ; l’érection de paroisses per­son­nelles pour les uti­li­sa­teurs de ces livres est une chose sans pré­cé­dent au plan ecclé­sio­lo­gique et cano­nique ; la décla­ra­tion de nul­li­té de la sus­pen­sio a divi­nis por­tée contre vous équi­vau­drait à dire que les motifs objec­tifs qui sont à l’origine de cette mesure n’étaient pas valables ; enfin la recon­nais­sance immé­diate du droit pon­ti­fi­cal pour la Fraternité Saint-​Pie‑X consti­tue­rait une faveur qui n’est pas habi­tuel­le­ment accor­dée à une pieuse union avant son pas­sage par le stade d’institut reli­gieux de droit dio­cé­sain. D’une manière plus géné­rale, ce pro­jet d’accord anti­cipe trop évi­dem­ment sur ce qui serait l’objet propre de la mis­sion du délé­gué pon­ti­fi­cal, ain­si que je l’indiquerai plus loin, et sur le résul­tat de ses entre­tiens avec vous.

Pour cla­ri­fier la situa­tion, permettez-​moi de vous pro­po­ser ici d’une manière pré­cise les points que le Saint-​Père estime indis­pen­sables dans votre décla­ra­tion ; pour la plu­part d’entre eux, je ne puis d’ailleurs que reprendre l’essentiel de ma lettre précédente :

1 – Claire mani­fes­ta­tion de regrets pour la part que vous avez eue dans la situa­tion de rup­ture objec­tive qui s’est créée (notam­ment du fait des ordi­na­tions) et pour vos attaques exces­sives, dans le conte­nu et dans les termes, contre le Concile, contre de nom­breux évêques et contre le Siège Apostolique.

2 – Adhésion aux ensei­gne­ments du deuxième concile du Vatican « com­pris à la lumière de toute la sainte Tradition et du magis­tère constant de l’Église », et compte tenu de la qua­li­fi­ca­tion théo­lo­gique de ce Concile a vou­lu don­ner à ses ensei­gne­ments ; recon­nais­sance du « reli­gio­sum volun­ta­tis et intel­lec­tus obse­quium » dû au magis­tère authen­tique du Pontife Romain, même lorsqu’il ne parle pas ex cathe­dra, et à l’enseignement sur la foi et les mœurs don­né au nom du Christ par les évêques en com­mu­nion avec le Pontife Romain ; ces­sa­tion de toute polé­mique qui vise­rait à dis­cré­di­ter cer­tains des ensei­gne­ments du deuxième concile du Vatican.

3 – Acceptation sans res­tric­tions non seule­ment de la vali­di­té de la Messe selon le nou­vel Ordo dans son édi­tion latine ori­gi­nale, mais encore de la légi­ti­mi­té de la réforme litur­gique deman­dée par le deuxième concile du Vatican – aus­si bien dans son prin­cipe que dans ses appli­ca­tions conformes au Missel et aux autres livres litur­giques pro­mul­gués par le Siège apos­to­lique –, et aban­don de toute polé­mique ten­dant à jeter la sus­pi­cion sur l’orthodoxie de l’Ordo Missæ, pro­mul­gué par le Pape Paul VI.

4 – Acceptation des normes du droit ecclé­sias­tique com­mun pour tout ce qui concerne votre minis­tère pas­to­ral et vos œuvres ain­si que pour la Fraternité Saint-​Pie‑X.

Le délé­gué pon­ti­fi­cal, nom­mé comme vous le sou­hai­tez pour un temps limi­té et pour un but bien déter­mi­né, aura pour mis­sion de trai­ter avec vous des pro­blèmes concrets décou­lant d’une nor­ma­li­sa­tion des rap­ports entre vous-​même et la Fraternité Saint-​Pie‑X d’une part et le Siège Apostolique de l’autre. D’une manière plus pré­cise, il devra régler avec vous les ques­tions de la levée offi­cielle des cen­sures, des rites litur­giques pour la Fraternité, enfin du sta­tut juri­dique futur de la Fraternité. Il est dans les inten­tions du Saint-​Père de dési­gner comme son délé­gué un membre du Sacré Collège connu de vous, et dont les bonnes dis­po­si­tions à votre égard sont assu­rées. Cette dési­gna­tion pour­ra inter­ve­nir dès que vous aurez bien vou­lu don­ner une réponse posi­tive à la pré­sente lettre.

Dans l’attente de cette réponse, dans l’espérance aus­si qu’elle ouvre la voie à une solu­tion défi­ni­tive, je vous assure de ma prière fra­ter­nelle, et vous prie d’agréer, Excellence, l’expression de mes sen­ti­ments res­pec­tueux et dévoués en Notre Seigneur.

Franc. Card. Seper, Préf.