Mgr Lefebvre : exposé de la situation concernant ce que Rome appelle la « réconciliation » – Le Pointet, 30 mai 1988

• Quinze ans d’op­po­si­tion aux dévia­tions doc­tri­nales du Concile et aux Réformes issues de cet esprit conci­liaire, afin de demeu­rer fidèles à la foi et aux sources de la grâce sanctifiante.

• Pour demeu­rer dans cette fidé­li­té nous subis­sons la per­sé­cu­tion de Rome et des épis­co­pats, des Congrégations religieuses.

• Réalisant le même com­bat, nous nous sommes entr’ai­dés pour conso­li­der et déve­lop­per les œuvres que la Providence a mises dans nos mains et qu’elle a visi­ble­ment bénies.

• La Providence a per­mis que nous ayons un Evêque, grâce auquel les grâces des ordi­na­tions et des confrr­ma­tions ont pu nous être don­nées, secours indis­pen­sable pour notre fidélité.

• Quinze années de vie ecclé­siale tra­di­tion­nelle, quinze années de béné­dic­tions, de vie avec le sacri­fice eucha­ris­tique, de prières, de récep­tion de sacre­ments valides et fruc­tueux. Evêque, prêtres, reli­gieux, reli­gieuses, familles chré­tiennes unis dans la foi, la fer­veur, la géné­ro­si­té, la pleine crois­sance spi­ri­tuelle et maté­rielle, au milieu d’é­preuves, de croix, de mépris, etc.

• L’Evêque for­mait le lien moral et même le lien ecclé­sial avec la Rome moder­niste actuelle. Il faut bien recon­naître que les efforts pour cor­ri­ger 1’esprit et les Réformes du Concile furent vains, ain­si que les demandes d’au­to­ri­ser offi­ciel­le­ment l”«expérience de la Tradition ».

* Cependant le problème (2) vital pour la fidélité à la Tradition se pose avec la disparition de l’Evêque.

Rome refu­sant son concours à la per­ma­nence de la Tradition, la néces­si­té pour le salut des âmes fait loi. Le 29 juin 1987 est annon­cée la déci­sion de créer quelques Evêques pour la suc­ces­sion épiscopale.

Le 14 juillet 1987 une ultime demande est faite à Rome de vive voix et par lettre. Le 28 juillet 1987 une ouver­ture sérieuse se fait jour, Rome semble effrayée par la menace de la consé­cra­tion des Evêques.

La réponse ne rejette pas l’i­dée d’une suc­ces­sion épis­co­pale, mais, après recon­nais­sance légale de la Fraternité, la litur­gie, les sémi­naires tra­di­tion­nels seront auto­ri­sés. On n’y par­lait plus de docu­ment doc­tri­nal. Ils y revien­dront. Un visi­teur apos­to­lique est envi­sa­gé. Que devons-​nous faire ?

- La visite par le car­di­nal Gagnon est déci­dée et se réa­lise du 11 novembre au 9 décembre. [NDLR : 1987]

- Rapport remis le 5 jan­vier [NDLR : 1988] au Pape.

- Le 18 mars : pro­po­si­tion d’une Commission.

- Réunion de la Commission d’ex­perts les 13–14-15 avril. Signature d’un pro­jet le 15 avril.

* Réunion de la Commission entre le Cardinal, Mgr Lefebvre et les experts, les 3 et 4 mai. Signature du Protocole le 5 mai, St Pie V.

- Procédure pour l’ap­pli­ca­tion.

- Question de la date de la consé­cra­tion ? Remise « sine die ».

- Lettre de Monseigneur au Pape du 5 mai 1988.

* Commencent les difficultés d’application :

Lettre du 6 mai au Cardinal : menace de pro­cé­der aux consé­cra­tions le 30 juin. Réponse du Cardinal le 6 mai.

Projet de lettre pour le Pape avec demande de par­don, la lettre du 5 mai étant trop administrative- (appor­tée par l’ab­bé du Chalard)

L’abbé du Chalard confrrme au Cardinal l’in­ten­tion de consa­crer le 30 juin- le Cardinal demande que je vienne à Rome.

Lettre au Pape et lettre au Cardinal au sujet de la date et du nombre des évêques et des membres de la Commission Romaine – du 20 mai et du 24 mai.

Rencontre avec le Cardinal et les Secrétaires le 24 mai – Remise des lettres – Le Cardinal fait alors allu­sion au 15 août pour la consé­cra­tion, mais ne répond pas aux autres pro­blèmes. Les Secrétaires, eux, font allu­sion aux autres pro­blèmes en disant qu’on peut exa­mi­ner les demandes !… ‑le Cardinal me remet un autre pro­jet de lettre au Pape. Le 28 mai, le Pape confirme la date du 15 août « intus l’an­no mariale ».

* L’ambiance de ces contacts et des colloques, les réflexions des uns et des autres au cours des conversations

L’ambiance de ces contacts et des col­loques, les réflexions des uns et des autres au cours des conver­sa­tions, nous mani­festent clai­re­ment que le désir du Saint-​Siège est de nous rap­pro­cher du Concile et de ses Réformes, de nous remettre aus­si dans le sein de l’Eglise Conciliaire et des Congrégations religieuses :

- Le Bureau de Rome sera pro­vi­soire (Note spéciale).

- L’Evêque est inutile, mais accor­dé de mau­vais gré. Délais !

- L’Eglise catho­lique est l’Eglise du Concile Vatican II.

- L’acceptation des nou­veau­tés conci­liaires à Saint-Nicolas !

- [Faire] retour­ner les Congrégations reli­gieuses à leurs Ordres res­pec­tifs, avec un sta­tut spécial !

- On nous remet une note doc­tri­nale à la signature.

- On nous rede­mande le par­don de nos fautes.

Notre réin­té­gra­tion semble être un atout poli­tique, diplo­ma­tique, pour faire équi­libre aux excès des autres.

C’est alors que se pose le pro­blème moral sui­vant et pour lequel je n’ai pas cru pou­voir agir sans avoir votre avis puisque vous êtes concer­nés d’une manière directe. (Rappel de M. l’ab­bé Schmidberger des USA.)

Il faut prendre conscience qu’une nou­velle situa­tion appa­raî­tra après la mise en appli­ca­tion de 1’accord.

Disons les avan­tages :

- Normalisation cano­nique de nos œuvres. Reprise des rela­tions avec Rome de cha­cune de nos œuvres.

- En gar­dant une cer­taine indé­pen­dance pour la sau­ve­garde de la Tradition, par la litur­gie, par la confir­ma­tion des membres et des fidèles.

- Et rela­tions avec les évêques et le monde conci­liaire ; sup­pres­sion des appré­hen­sions et des réti­cences !… dans une cer­taine mesure.

- Et rela­tions faci­li­tées avec cer­taines admi­nis­tra­tions civiles.

- Contacts mis­sion­naires plus faciles pour conver­tir à la Tradition, prêtres et fidèles !…

- Afflux de voca­tions et de fidèles dans nos œuvres.

- Evêque consa­cré avec l’a­gré­ment du Saint-Siège.

Disons les incon­vé­nients :

- Dépendance mesu­rée mais cer­taine de la Rome moder­niste et conci­liaire, à tra­vers la com­mis­sion romaine diri­gée par le car­di­nal Ratzinger, dont les prin­cipes sont ceux qui nous ont éloi­gnés de la Rome moderne.

- Dissociation nor­male de notre uni­té morale créée autour de ma per­sonne, qui dis­pa­raît au pro­fit en par­tie du car­di­nal Ratzinger et en par­tie au pro­fit des dif­fé­rents Supérieurs géné­raux et géné­rales qui auront affaire direc­te­ment avec Rome, mais pour­ront conti­nuer à s’a­dres­ser à l’Evêque consa­cré pour la Tradition.

Risque de moins d’u­ni­té et de moindre force.

- Relations avec les congré­ga­tions et Ordres, avec sta­tut spé­cial, mais mal­gré tout avec une dépen­dance morale, que Rome sou­haite voir trans­for­mée le plus tôt pos­sible en dépen­dance canonique.

Danger de contamination.

- Relations avec les évêques et un cler­gé et des fidèles conci­liaires mal­gré l’exemp­tion très éten­due ; les bar­rières cano­niques dis­pa­rais­sant, il y aura néces­sai­re­ment des contacts de cour­toi­sie et peut-​être des offres de coopé­ra­tion pour les unions sco­laires, union des supé­rieurs, réunions sacer­do­tales, céré­mo­nies régio­nales, etc.

Tout ce monde est d’es­prit conci­liaire, œcu­mé­niste, charismatique.

- Un seul évêque.

Moins de pro­tec­tion, plus de danger.

Nous étions jus­qu’à pré­sent pro­té­gés natu­rel­le­ment, la sélec­tion s’as­su­rait d’elle­ même par la néces­si­té d’une rup­ture avec le monde conci­liaire ; désor­mais, il va fal­loir faire des dépis­tages conti­nuels, se pré­mu­nir sans cesse des milieux romains, des milieux diocésains.

C’est pour­quoi nous vou­lions trois ou quatre évêques et la majo­ri­té dans le Conseil Romain. Mais ils font la sourde oreille. Ils n’ont accep­té qu’un évêque, sous la menace conti­nuelle, et ont avan­cé la date. Ils estiment incon­ce­vable qu’on les traite comme un milieu conta­mi­né, après tout ce qu’ils nous accordent.

* Le problème moral se pose donc pour nous :

• Faut-​il prendre les risques de contacts avec ces milieux moder­nistes, avec l’es­poir de conver­tir quelques âmes et avec 1’espoir de se pré­mu­nir, avec la grâce de Dieu et la ver­tu de pru­dence, et ain­si demeu­rer léga­le­ment unis à Rome par la lettre, car nous le sommes par la réa­li­té et 1’esprit ?

• Ou faut-​il avant tout pré­ser­ver la famille tra­di­tion­nelle pour main­te­nir sa cohé­sion et sa vigueur dans la foi et dans la grâce, consi­dé­rant que le lien pure­ment for­mel avec la Rome moder­niste ne peut pas être mis en balance avec la pro­tec­tion de cette famille qui repré­sente ce qui demeure de la véri­table Eglise catholique ?

• Qu’est-​ce que Dieu et la Trinité Sainte et la Vierge de Fatima demandent de nous comme réponse à cette question ?

Il est clair que quatre évêques nous for­ti­fie­ront mieux qu’un seul.

* La décision doit être prise dans les 48 heures.

Réfléchissez, priez, veuillez me don­ner votre avis, même par écrit si vous le vou­lez, et il me fau­dra, avec le secours de l’Esprit Saint et de la Vierge Marie Reine, prendre une décision.

Note : Mgr de Castro-​Mayer a pro­mis de venir pour le 30 juin, pour les consé­cra­tions épis­co­pales, avec trois prêtres de son diocèse.

† Marcel LEFEBVRE

Notes

(1) Fideliter, Numéro hors-​série, 29–30 juin 1988. Texte manus­crit remis par Mgr Lefebvre aux prêtres et reli­gieuses réunis par lui au Pointet le 30 mai. Reproduit éga­le­ment dans Itinéraires, Numéro 325–326 de juillet-​octobre 1988.
(2) Les pas­sages en gras sont sou­li­gnés dans l’original.